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Les musiques amplifiées à disposition :

Les définitions de la catégorie musiques électro-amplifiées sont disponibles dans deux des textes écrits par Marc Touché : l’article « L’usage, Ethno-sociologie des musiciens utilisant des instruments electro-amplifiés » et l’ouvrage Mémoire vive. Pour ma part, je n’ai pas découvert ni rencontré ces définitions. Ces deux textes m’ont été présenté et remis par le sociologue lors de notre première entrevue à Bordeaux en mars 2001. A cette occasion je lui ai proposé le travail de maîtrise réalisé l’année précédent notre rencontre. Cet échange d’écrits, non programmé, offrait un prolongement des plus appropriés à notre travail respectif de présentation. Une manière de nous situer en dévoilant ce qui fait la visibilité de nos activités de recherche : nos productions écrites, publiées ou non. Marc Touché m’a signalé explicitement la présence de ces définitions au sein de ses textes. Nous avions déjà discuté ensemble des problèmes posés par les usages académiques de catégories musicales. Afin d’offrir une expression plus stable à son travail sur la catégorie musiques amplifiées il m’a donc proposé un référent textuel : une définition écrite. La catégorie musiques amplifiées m’était dès lors pleinement visible et appropriable. Son créateur me soumettait un support de transmission et s’ouvrait de cette façon à la citation.

Les différences relevées à la lecture de ces deux définitions semblent mineures. Ces variations que nous étudierons par la suite ne mettent pas en péril la cohérence de la catégorie musiques amplifiées. Ainsi, de part leur contenu, leur mise en scène et leur date d’édition, il nous faut admettre l’identité de ces définitions. L’existence d’une définition des musiques amplifiées ne semble pas dépendre d’un texte. Cette définition est elle-même un texte. Un document indépendant qu’un simple copier/coller permet de réintroduire dans

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de nouveaux écrits en chantier. Il nous est pourtant impossible de nous attacher à cette définition comme son auteur pourrait le faire. Nous ne pouvons substituer à une problématique de l’émergence une problématique de l’inscription. C’est pourquoi, afin de questionner la place de cette définition dans l’activité d’écriture de Marc Touché, je vous proposerai de mettre en perspective ses différentes mises à disposition.

Considérons tout d’abord cette définition dans l’article intitulé « L’usage. Ethno- sociologie des musiciens utilisant des instruments electro-amplifiés » (Touché 1998a : 40- 69). L’ouvrage dans lequel il s’inscrit est publié par le Musée de Montluçon. Il est présenté comme un « livre-catalogue » (Touché 1998a : 5) et porte le même titre que l’exposition à l’origine de sa publication : Guitares, guitaristes et bassistes électriques, qui fut présentée du 11 Juillet 1997 au 7 Janvier 1998 au musée de Montluçon29. L’article de Marc Touché cohabite dans cet ouvrage avec les articles de Sylvie Douce de la Salle, « Muséographier le contemporain », de Jacques Panisset (musicien, directeur du festival Jazz en Isère) « la Guitare dans le Jazz » et de Patrick Mignon (sociologue à l’institut national du sport, spécialiste de l’histoire du rock) « La guitare électrique dans le rock »30.

Le réseau d’acteurs mis en scène (des musiciens, des sociologues, un scénographe, un conservateur) révèle la vocation pluridisciplinaire de cette action de conservation et de mise en discours de l’histoire de l’instrumentation électro-amplifiée. L’accent mis sur cette collaboration joue d’une rhétorique relativement commune. La pertinence de cette exposition est assurée et légitimée par la diversité et la combinaison des compétences à l’œuvre. La représentation professionnelle soutenue par Marc Touché doit être reconnue dans cette mise en réseau des habiletés. Son travail au sein du Musée des Arts et Traditions Populaires étant indissociable de ses enquêtes sur les pratiques musicales, ses usages de la catégorie musiques électro-amplifiées participent de la formulation des impératifs dirigeant cette exposition sur l’histoire des pratiques musicales. Sylvie Douce De la Salle est présentée comme une historienne de l’art, sociologue, conservateur du patrimoine et

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Exposition à l’origine réalisée pour le Musée des Arts et Traditions Populaires et adapté par Marc Touché et Eric Lesné (architecte scénographe) pour le Musée de Montluçon.

30 La dernière partie de ce « livre-catalogue » est constituée de planches couleurs où sont reproduites

certaines pièces de la collection. Ces photographies sur papier glacé sont associées à des textes courts sur papier grain. Ces écrits à caractère historique portent sur l’instrumentation électro-amplifiée. Ils sont rédigés par Klaus Blasquiz (musicien co fonfateur du groupe Magma et journaliste) et par François Charles (luthier, spécialiste du banjo).

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directeur du projet de la Cité des Musiques Vivantes pour la ville de Montluçon. Elle est également, avec Marc Touché, l’un des commissaires de l’exposition Guitares, guitaristes

et bassistes électriques. Son article introductif, de par ses proportions et sa teneur, a valeur

d’éditorial. Outre la clarification des projets servis par cette exposition (Touché 1998a : 10), elle soutient une représentation citoyenne du musée et dégage succinctement les éléments constitutifs d’une muséographie du contemporain. Ce texte participe de l’inscription des auteurs et des articles présentés. Il les engage à l’extérieur de cet ouvrage, pour et dans l’action muséographique réalisée au sein du musée de Montluçon et poursuivie dans le cadre de la Cité des Musiques Vivantes. De ce point de vue, nous considérerons ce « livre-catalogue » comme un texte-satellite. Ce texte participe d’un dispositif discursif. Il gravite dans des réseaux et sert un ensemble d’actions. En ce sens, l’appréhension de la définition des musiques électro-amplifiées ne doit pas être dissociée de l’environnement discursif développé pour assurer la reconnaissance de cette exposition auprès des différents protagonistes accréditant sa constitution.

Notre définition est introduite sous le titre Essai de définition (Touché 1998a : 68). Je reviendrai sur le caractère équivoque de ce titre. La définition qu’il désigne clos l’article. Elle conclut un ensemble de parties filées thématiquement sans armature logique. L’unité dramaturgique de ces analyses est, comme le titre l’indique, relative à l’usage d’instruments électro-amplifiés. La présentation d’une action muséographique (le démantèlement et la conservation de la salle de répétition du groupe les Crocodyl) confère à cet article une dimension ethnographique. Toutefois, le cheminement proposé n’est pas narratif. La cohérence de cette approche sociologique des pratiques musicales dépend d’une rhétorique phénoménologique : les usages d’instruments électro-amplifiés comme phénomène historique observable et descriptible. La position de cette définition, en fin d’article, questionne sa fonction rhétorique. En effet, la catégorie musiques électro-

amplifiées est utilisée à de multiples reprises le long du texte. Relevons et questionnons

son premier emploi :

« Ces dimensions sociales de constitution d’un secteur économique et de service public plus ou moins spécialisé dans le champ des musiques électro-amplifiées représentent un fait social, historique qu’un musée traitant de pratiques musicales doit prendre en compte ; avec le musée de Montluçon nous commençons un travail de collectage en ce sens. » (Touché 1998a : 40)

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Cet usage de la catégorie musiques électro-amplifiées n’est accompagné d’aucune note et ne semble pas nécessiter d’éclaircissement ou de développement. Si cet emploi n’est servi par aucun travail introductif il est, d’une certaine façon, annoncé par une référence aux « musiques électriques » :

« Les lieux de spectacles sont à cet égard les récepteurs et centralisateurs d’une importante partie de la mémoire sonore et magnétique de ces musiques électriques dans lesquelles les guitares et les basses sont des instruments omniprésents. » (Touché 1998a : 40)

Toutefois, cette référence mise à part, rien ne prépare le lecteur à la réception et à la compréhension de cette catégorie musicale. Cet usage sans précédent révèle l’autonomie conférée à cette catégorie. A la différence du vocable rock par exemple, l’emploi du vocable musiques électro-amplifiées se veut transparent. L’acte de catégorisation de la musique et son critère de différenciation sont visibles dans l’étiquette sanctionnant le résultat même de cette catégorisation. Parler de musiques électro-amplifiées c’est tout simplement sous-tendre que certaines ne le sont pas. L’emploi de cette étiquette est

performatif : la catégorie et la catégorisation se confondant, l’introduction d’une référence

aux musiques électro-amplifiés engage une différence comme un action. Sa qualification en termes de « champ » révèle une acceptation sociologique des catégories musicales. Les

musiques électro-amplifiées sont constituées en espace de possibles et en domaine

d’investigation. Cet emploi, comme nous le verrons, fait écho aux ouvrages élaborés sur la vie musicale. L’utilisation d’une catégorie musicale (le rock, le jazz etc.) sert la contextualisation des problématiques sociales et économiques formulées. Cet usage participe d’une autonomisation et d’une naturalisation des catégories musicales. Elles sont constituées en dimensions de l’activité musicale.

Ce prime emploi questionne la pertinence d’une définition des musiques électro-

amplifiées. Son caractère performatif et la naturalisation de son existence dénient en effet

sa nécessité. Pourquoi définir cette catégorie si elle est utilisable et compréhensible sans définition ? D’un point de vue épistémologique et pour un lecteur de sociologie, l’occurrence de cette définition n’a rien de surprenant. La pratique scientifique accorde une place prépondérante à l’activité définitionnelle. Définir les musiques électro-amplifiées

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c’est répondre aux conventions régissant la structuration d’un discours sociologique. La vocation de ce texte-satellite ouvert au public et tourné vers l’exposition présentée au musée de Montluçon questionne toutefois la fonction rhétorique de cette définition. Positionner en fin d’article, quelles lectures réclame-t-elle ? Quelles usages pouvons-nous en faire ? Considérons ensemble cette définition :