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Essai de définition :

Musiques électro-amplifiées ne désignent pas un genre musical en particulier mais se conjuguent au pluriel pour signifier un ensemble de musiques qui utilisent l’électricité et l’amplification sonore électronique comme éléments plus ou moins majeurs des créations musicales et des modes de vie (transport, stockage, conditions de pratiques, modalités d’apprentissage…).

A la différence des musiques acoustiques qui nécessitent l’appoint ponctuel de sonorisation pour une plus large diffusion, les « musiques électro-amplifiées » sont crées, jouées à partir de la chaîne technique constituée par :

- micro et pré-amplification (travail sur les fréquences et les effets sonores, de plus en plus caractérisés par un usage abondant de très basse fréquences…) ;

- amplification et haut-parleurs.

Pour reprendre les catégories de classement en vogue, le terme de « musiques amplifiées » représente un outil fédérateur regroupant des univers qui peuvent être très contrastés : certaines formes des musiques de chansons dites de variétés, certains types de jazz et de musiques dites du monde, de fusions, le funk, le hard rock, la house-music, le jazz rock, la musique industrielle, le reggae, le rap, le rock’n roll, la techno, la dance-musique, de recherche…et tous les bricolages sonores non encore identifiés.

Dans le domaine sportif on identifie les sports mécaniques et motorisés. Cela permet de décliner un ensemble d’enjeux en matière d’apprentissage, de santé, d’environnement, de compétences… Cela permet de qualifier des pratiques et non de les réduire à une terminologie, telle que celle de musiques actuelles, qui empêche toute qualification et qui les rend innommables au sens premier du terme. Les musiques amplifiées peuvent être actuelles, artisanales, émergentes, plus ou moins exclues des médias, improvisées, industrialisées, institutionnalisées, précarisées, traditionnelles (de répertoire ancré dans le passé)…

Sonorité « cleans », « propres », « saturées », « sales », « sons chauds », et « froids », « sons trafiqués »…le voyage dans les musiques de guitares et basses électro-amplifiées n’est pas de tout confort, il demande quelques efforts et beaucoup de curiosité : si les objets semblent simples au premier regard, les usages, eux, sont complexes. Les musiciens peuvent détourner les guitares de leur fonction première telles les aventures de combats de guitare de Team Laser. Les définitions

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elles-mêmes doivent être interrogées du point de vue des musiciens dans d’autres registres que ceux purement techniques, ainsi par exemple : « le groove c’est donner aux autres de soi. » guitariste électrique de reggae, 25 ans. (Touché 1998a : 68)

Le titre de cette partie, « Essai de définition », désamorce quelque peu les problèmes posés par un travail définitionnel. Un essai peut être recommencé, il peut être également raté. Cet intitulé mine la lecture de ce texte. Singulièrement, les dernières lignes de cette partie conclusive font écho au péril sceptique introduit par ce titre anodin :

« Les définitions elles-mêmes doivent être interrogées du point de vue des musiciens dans d’autres registres que ceux purement techniques, ainsi par exemple : « le groove c’est donner aux autres de soi. » guitariste électrique de reggae, 25 ans ». (Touché 1998a : 68)

Cette seconde mise en cause du travail définitionnel révèle ce qui fait l’originalité de ce texte. Cette définition (comme texte) pose au sein même de sa construction le problème de la définition (comme activité) des mots de la musique. Il est nécessaire avant de nous immerger dans leur construction de considérer la seconde occurrence de cette définition afin de mettre à jour le réseau de problématiques activé par l’inscription de ces textes sur les musiques électro-amplifiées.

Mémoire Vive, où l’on peut rencontrer cette seconde définition de la catégorie musiques électro-amplifiées, a été publié en 1998 par l’association Musiques Amplifiées

aux Marquisats d’Annecy le Brise Glace31. Marc Touché, lorsqu’il m’a remis cet ouvrage, a jugé nécessaire de prévenir ma lecture. Il paraissait, si mes souvenirs sont bons, considérer ce premier rendu comme prématuré. Cette précipitation, contraire à la maturité revendiquée par le discours historique, est, semble-t-il, le fait de sa collaboration. Cet écrit est une commande. Sa composition résulte d’une négociation entre le chercheur et l’association Musiques Amplifiées aux Marquisats d’Annecy. La forme du texte et son agencement traduisent un ajustement ponctuel entre les nécessités de la recherche et les

31 Cet ouvrage se veut le premier volume d’une série de quatre. Il couvre les années 50 et le début des années

60 et traite plus particulièrement de l’apprentissage et de la répétition musicale. Il est réalisé dans le cadre d’une convention qui associe de 1997 à 2000 l’association Musiques Amplifiées aux Marquisats d’Annecy et le centre d’Ethnologie Française (C.N.R.S.- M.N.A.T.P. – Ministère de la Culture).

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impératifs de l’action située. Cet avertissement oral du sociologue ne trouve pas de contrepartie écrite aussi explicite. Marc Touché, dans son texte, supporte sans retenue cette nécessité d’un rendu, même prématuré, auprès des intéressés :

« Nous avons tenu sans plus tarder à rendre aux musiciens et aux passionnés de musiques de toutes les générations, une partie du fruit du travail en cours qui est en état de mûrissement. Nous l’avons pensé déjà assez riche en informations et en saveurs. » (Touché 1998b : 7)

Si le travail historique réalisé par le sociologue est présenté comme « en cours » et en « état de mûrissement », il admet toutefois une première lecture. La référence à une

ethnologie de l’urgence faite en amont (Touché 1998b : 6) est de ce point vue doublée :

une nécessité de faire une histoire des pratiques musicales électro-amplifiées avant que ses témoins et ses traces ne disparaissent, une nécessité de faire entendre cette histoire pour susciter un travail de mémoire et développer une lecture historique de nos pratiques musicales et une lecture critique des actions politiques les concernant.

En prévenant oralement ma lecture de Mémoire Vive, Marc Touché a mis à jour les interférences possibles entre ses façons de soutenir sa représentation professionnelle. En effet, cet écart entre l’expression textuelle de son activité et sa représentation conversationnelle interroge les positions qu’est amené à investir le sociologue autour de son texte devant ses lecteurs. De mon point de vue, averti par le sociologue, plusieurs questions émergent : Marc Touché considère-t-il son ouvrage comme une production répondant aux normes propres à son milieu professionnel ? Son avertissement traduit-il une gêne relative à l’adresse dirigée et située de ce texte ? Mémoire Vive est destiné à un public indigène et est diffusé sur une échelle locale. Dans ce texte, le statut professionnel soutenu par Marc Touché ne s’établit pas sur un jeu de connivence académique. Ainsi, on ne relèvera aucune citation ou note nous renvoyant à un ouvrage sociologique et aucun débat méthodologique ou théorique affilié à la discipline représentée. Le chercheur de Mémoire

Vive soutient son statut professionnel dans une problématique de l’indigénéité. Se

positionnant comme étranger à l’histoire locale d’Annecy, il s’intègre à celle-ci en promouvant son activité d’investigation. Ainsi, Marc Touché fait de sa sociologie le vecteur de sa reconnaissance auprès de ses interlocuteurs. Une rhétorique de la compétence professionnelle : « le sociologue, un travailleur comme les autres ». La définition des

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musiques électro-amplifiées fait partie des outils qu’il est à même de produire et de

proposer à ses lecteurs : une des expressions de son travail de sociologue.

La catégorie musiques électro-amplifiées et son abréviation musiques amplifiées sont utilisées à plusieurs reprises dans le texte. Ces multiples usages sont pourtant supplantés par l’emploi éponyme qu’en font les commanditaires du texte discuté : l’association Musiques Amplifiées aux Marquisats d’Annecy. La préface de ce livre est écrite par le président de cette association, Jean-François Braun. La présentation de l’intervention de Marc Touché révèle la condition singulière de cette définition de la catégorie musiques amplifiées :

« Même si l’accueil qui m’a été réservé a été plus souvent cordial qu’hostile, il m’a semblé intéressant de faire appel à quelqu’un de plus « neutre » pour approfondir davantage, et avec des méthodes moins empiriques, ce que je découvrais ou supposais. C’est ainsi qu’après la création de l’Association Musiques Amplifiées aux Marquisats d’Annecy, c’est Marc Touché, sociologue, par ailleurs auteur de ces termes de « musiques amplifiées », qui a été sollicité pour étendre ses travaux à ce nouveau terrain à explorer. »(Touché 1998b : 2)

Cette « délégation » au sociologue s’appuie textuellement sur un double précédent. Marc Touché a déjà effectué des travaux sur l’histoire des pratiques musicales amateurs. Il a élaboré dans ce but une catégorie musicale qui se trouve être celle utilisée par l’association commanditaire. Son point de vue « neutre » et l’utilisation de techniques d’investigation reconnues sont les attributs déclarés de son autorité discursive. Son statut de créateur de la catégorie musiques amplifiées confère toutefois à ce « recrutement » un caractère particulier. Le sociologue légitime par son action la pertinence de l’appellation de cette association autant que cette association par son appellation vérifie l’efficacité de son travail sociologique. Cet effet d’accréditation mutuelle trouve dans la définition de la catégorie

musiques amplifiées un développement des plus ambigus : quel est l’objet de cette

définition ? Quel est son champ d’action ? L’étude de la construction de cette définition nous permettra de dégager ultérieurement quelques éléments de réponse.

Dans Mémoire Vive, la définition de la catégorie musiques amplifiées est proposée en exergue (Touché 1998b : 84). Sa présentation stylisée (sur un papier froissé posé sur la

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page de texte) la distingue clairement de l’ensemble proposé à lire. Cette mise en scène confère à cette définition un caractère autonome. Comme sa présentation le suggère : il s’agit d’un document qu’un simple copier/coller (ici représenté par un effet graphique) permet de réinsérer dans un texte en chantier. Une astérisque relie cette définition au texte. Ce lien semble quelque peu forcé : il est un peu tardif pour être attaché de façon pertinente à cette occurrence de la catégorie musique électro-amplifiée. Conventionnellement on définit un terme lors de son premier usage. L’abréviation musiques amplifiées, employée par le sociologue dès les premières pages, aurait méritée par exemple d’être définie (Touché 1998b : 7). Cette intrusion tardive d’une définition, en déniant l’intérêt de cette convention, souligne la spécificité de son contexte.

La partie où cette définition est présentée se nomme « La répétition des musiques électro-amplifiées comme temps fort de la socialisation musicale » et a pour sous-titre « Texte relatif à une quinzaine d’années de travaux de recherches sur l’histoire des musiques électro-amplifiées et de la répétition, dans lequel sont incorporés des éléments relatifs au travail de recherche effectué à Annecy » (Touché 1998b : 82-110). Comme le sous-titre l’indique, les thèmes développés dépassent le seul cadre de cette enquête historique sur Annecy tout en lui étant référés et appliqués. Le sociologue propose en utilisant ses multiples recherches sur la répétition, un ensemble d’outils pour l’action engagée par l’association avec laquelle il travaille, à savoir la création d’une salle de répétition ouverte sur les musiques électro-amplifiées. La catégorie musiques électro-

amplifiées contient le travail mené par Marc Touché depuis une quinzaine d’années et la

recherche historique effectuée de 1997 à 2000 sur Annecy. Cette définition couvre l’ensemble de ces travaux et leur offre un cadre d’expression a-contextuel. Son occurrence ne tire par sa pertinence de son usage ponctuel mais de sa fonction capitale dans la construction et la représentation du travail socio-historique de Marc Touché.

La sous-partie 6 (Touché 1998b : 93-97) intitulée « Les classements, les étiquetages, les labellisations, une foison de genres musicaux et l’art de la distinction sociale et musicale » fait écho à la définition proposée (Touché 1998b : 84). Cette partie développe les questions qui y sont mises à jour. Cet effet de redondance participe de l’autonomisation de cette définition. Elle devient un texte amovible, à la fois une excroissance et une conséquence de la recherche. Cet usage accrédite l’interprétation proposée en amont : cette définition fait partie de la représentation professionnelle de Marc

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Touché, une des expressions et un des domaines de ses compétences. Cette définition montre ce que peut proposer un sociologue : des catégories à employer et à diffuser. Nous pouvons, à loisir, faire « nôtre » cette définition :

*« Musiques électro-amplifiées » ne désigne pas un genre musical en particulier, mais se conjugue au pluriel, pour signifier un ensemble de musiques qui utilisent l’électricité et l’amplification sonore électronique comme élément plus ou moins majeur des créations musicales et des modes de vie (transport, stockage, conditions de pratiques, modalités d’apprentissage…).

A la différence des musiques acoustiques qui nécessitent l’appoint ponctuel de sonorisation pour une plus large diffusion, les « musiques électro-amplifiées » sont crées, jouées à partir de la chaîne technique constituée par :

- micro et pré-amplification (travail sur les fréquences et les effets sonores, de plus en plus caractérisés par un usage abondant de très basse fréquences…) ;

- amplification et haut-parleurs.

Pour reprendre les catégories de classement en vogue, le terme de « musiques amplifiées » représente un outil fédérateur regroupant des univers qui peuvent être très contrastés : certaines formes des musiques de chansons dites de variétés, certains types de jazz et de musiques dites du monde, de fusions ; le jazz rock, le rock’n roll, le hard rock, le reggae, le rap, la techno, la house- music la musique industrielle, le funk, la dance-musique…et tous les bricolages sonores non encore identifiés.