• Aucun résultat trouvé

Partager les « petits moments » de Maud :

Maud est une de mes amies et j’aime sa façon d’aimer la musique. Sa pratique m’exaspère. Qu’elle soit seule ou non, Maud est capable d’écouter en boucle un morceau de musique qu’elle découvre et apprécie. Ce goût pour la répétition a quelque chose de radiophonique. Il épuise. Cette tendance monomaniaque trouve une expression certaine dans son amour pour les Beatles et sa passion sans borne pour son ex-membre : Paul Mc Cartney. De fait, il n’est pas possible de traiter des « goûts musicaux » de Maud sans parler du chanteur anglais. Cette particularité – mon amie est une fan des Beatles et de Paul Mc Cartney - ne simplifie pas la compréhension de sa pratique musicale. Je ne peux me résoudre à qualifier ainsi sa façon d’aimer la musique et par la même l’attention que je lui porte. J’accuse un égocentrisme ethnographique, une expression personnelle du scepticisme généré par ma lecture de l’ouvrage de Christian Le Bart : Les fans des Beatles.

Sociologie d’une passion (Le Bart 2000).

Je n’étudierai pas la pratique musicale de Maud comme une passion pour les Beatles. L’expérience proposée ne touche pas à ce qu’elle aime écouter mais à ce qu’elle

187

aime vivre en écoutant. Ainsi, je vous intéresserai à sa recherche de « petits moments », une recherche que nous essayerons de partager. Mon amitié pour Maud ne m’explique pas mon penchant pour sa pratique musicale. Pourtant, cette attention pour sa façon d’aimer la musique me renseigne sur notre relation. Ce principe de liaison anime nos parcours d’amateurs. Nous vivons la musique en mobilisant nos relations et en nous nourrissant des sentiments et des souvenirs parfois contradictoires qu’ils nous inspirent. Partager les

« petits moments » de Maud : de mon ordinaire, je vous invite à suivre ce projet intimiste

en questionnant de façon réflexive son mouvement et son ethnographie.

J’ai commencé une licence en anthropologie en octobre 1998, en octobre 2001 j’engageais ma première année de thèse. J’ai connu Maud en septembre 1998. Elle est entrée dans ma vie en sortant avec un de mes amis proches. Leur fille, Emma, est née en juillet 1999. L’entretien que je produirai a été enregistré un mercredi après-midi d’octobre 2001, le 3 octobre, près d’un an après avoir réalisé mes entretiens avec Stéphane, Thomas et leur famille. Produit d’un DEA consacré à des analyses conversationnelles, mon économie ethnographique semblait réglée : j’anticipais ce que j’allais trouver dans mes entretiens et ce que j’allais pouvoir en faire. Je pensais maîtriser l’indétermination nécessaire à une recherche universitaire. Cette paisible période d’enquête augurait semble- t-il les crises à venir, tant dans mon travail d’écriture que dans mes relations amicales. J’aimerais que nous gardions quelque chose de cette quiétude perdue.

Naturellement, j’ai proposé à Maud d’enregistrer un entretien. Avant d’être

programmé et effectivement réalisé, ce projet a fait l’objet pendant plusieurs semaines d’un travail conversationnel préparatoire. D’abord référé aux enregistrements réalisés avec Stéphane et Thomas et au mémoire de DEA en résultant, « notre » entretien a progressivement acquis une existence discursive propre. Ce processus a mis à contribution notre réseau amical. Maud a discuté cet entretien avec Stéphane et Cyril. Ces conversations n’ont pas servi la banalisation de ma pratique. Mes façons de faire ne sont pas normalisées par mon cercle amical. Mes libertés méthodologiques (mon « laisser-aller ») contestent la légitimité scolaire de ma pratique anthropologique. L’attention déplacée que je manifeste pour notre ordinaire met en cause ma santé mentale. L’humour et l’auto-dérision nous ont permis de rendre acceptable la bizarrerie de mon enquête. Ainsi, ce projet d’entretien nous a servi de sujet de plaisanterie et de raillerie. Mes relances et ses relances ont rythmé l’histoire de sa réalisation. Me posant comme demandeur, Maud se trouvait en droit de me

188

refuser capricieusement cette interview. En feignant de n’accorder aucune importance à son refus, je pouvais dévaluer dédaigneusement sa pratique musicale. Ces jeux assuraient la réalisation de cette interview en identifiant sur un mode humoristique ses enjeux.

Maud et moi avons enregistré cet entretien le mercredi 3 octobre 2001. Nous sommes chez elle, il doit être 14h, nous prenons un café. Je me penche sur la table basse pour lancer mon enregistreur minidisc.

[début de l’enregistrement]

Maud : [désignant l’enregistreur] t’es obligé de voir ? Moi : hein ! ?

Maud : t’es obligé de le regarder ?

Moi : oh non pas du tout non, tout marche bien [je recouvre l’enregistreur avec une

feuille de papier présente sur la table]

Maud : [rigolant nerveusement], je peux pas là

Moi : [rigolant] ben non…mais c’est pas grave/ de toute façon, ça c’est vraiment/ enfin c’est pas tant du [Maud : je sais] ça cherche pas à être strict…

Maud : c’est toi qui m’intimide

Moi : [je perche ma voix et parle avec entrain] alors t’écoutais les Beatles à partir de 90 c’est ça [je reprends une voix normale] je suis pas un journaliste [nous rigolons] Maud : [silence]…oh la non je peux pas le faire…je peux pas, il faut qu’on fasse autrement, il faut qu’on fasse une discussion/ ça tourne là ?

Moi : ouais ouais ça tourne là

Maud : pour moi, c’est une discussion normale, [Moi : ouais ouais] tu sais on discute on pourrait faire comme si on se connaissait pas…

189

Moi : /mais par exemple… /non non, justement le but/ le problème c’est qu’on se connaît…et c’est l’intérêt aussi. Alors moi je veux [de façon décidé] c’est quoi le rapport entre les Beatles et XTC quoi ? Comment ça se fait que t’es arrivée à XTC comment t’as connu XTC ?

[…]

- « t’es obligé de le regarder ? »

L’activation de mon enregistreur engendre une crise. Sa présence physique que mes attentions et mes regards rendent tangible empêche mon amie de parler. L’introduction de ce tiers dans notre relation suffit à remettre en cause notre contrat tacite. Je doute un instant, mais laisse l’enregistreur en marche. Il n’est pas question d’ajourner cet entretien, pas pour si peu. L’enregistreur tourne, laissons le tourner. Pour endiguer ce que je crois être une résurgence de problèmes scolaires (comment répondre correctement aux questions posées ?), je mobilise mon argumentation déjà éprouvée : je ne teste pas une connaissance musicale ou même - de façon biaisée - une compétence linguistique, j’essaye d’obtenir des informations sur un parcours biographique et une pratique. Maud sait tout cela. Elle ne me laisse pas commencer mes explications. Elle ne peut pas. Sa nervosité et sa gêne ne sont pas uniquement référés au déclenchement de l’enregistreur et à l’activité ainsi déclarée :

- « c’est toi qui m’intimide »

La gêne provoquée par mon action sur l’enregistreur se déplace vers ma personne. Les nouvelles positions que cette situation distribue mettent à mal notre conversation. Mon attention est incommodante. Comment peut-elle me parler maintenant ? En m’attachant de cette façon à notre relation je libère un espace de possibles troublant. J’active un commerce biographique alors inédit, d’où la singulière proposition de Maud, solution potentielle pour contrer cet accès de gêne et retrouver les voies de la conversation :

- « on pourrait faire comme si on se connaissait pas… »

Il n’y a aucun jeu de séduction dans notre échange. Notre relation m’apparaît au contraire entretenir une certaine distance : elle se fait cordiale. Une ambiguïté dans nos rapports aurait permis à Maud de jouer sur le caractère extraordinaire et subversif de la situation. A

190

contrario, la solution qu’elle préconise souligne l’étrangeté ineffable de ma démarche.

Mon volontarisme amical est incongrue. Il nous est gênant de reconnaître qu’on ne se connaît pas, et tout aussi gênant de montrer qu’on désire se connaître. Maud préfère suspendre la relation que mon enquête ethnographique cherche à investir. La solution est drastique : désavouer l’existence de notre amitié.

- « non non, justement le but/ le problème c’est qu’on se connaît…et c’est l’intérêt aussi. »

Je n’ai pas accepté cette proposition. Mon ethnographie repose sur la reconnaissance d’une relation. Cet investissement ne sert par l’affirmation d’une autorité interprétative mais nous permet de questionner la diversité des ressources mobilisées pour partager nos façons de vivre la musique. Je connais dans ses grandes lignes le parcours musical de mon amie et j’entends me servir de ces connaissances pour discuter avec elle de ce qu’elle écoutait et écoute comme musique. Mon statut d’anthropologue indigène se revendique dans ces moments d’indétermination : je suis un chercheur qui travaille dans le familier. La réaffirmation de notre relation est consacrée par ma référence à ce qu’elle écoute. Notre retour sur ce terrain commun (parler des Beatles et de XTC) est aussi une reconnaissance du chemin qu’il nous reste à faire pour nous connaître. Ma détermination engage sa prise de parole et notre conversation.

En lui proposant de faire un entretien quelques semaines auparavant j’ai signifié à mon amie le désir de l’entendre parler de ce qu’elle écoutait et écoute comme musique. Son adolescence par exemple : comment est-elle venue à la musique ? Comment a-t-elle découvert les Beatles et Paul Mc Cartney ? etc. D’un point de vue méthodologique et thématique rien ne devait distinguer cet entretien de ceux réalisés avec Stéphane et Thomas. Pourtant son existence et sa réalisation sont en partie liées à la singularisation progressive de son objet. Ainsi, mon attention pour Maud ne concerne pas simplement sa biographie mais un aspect singulier de son dispositif d’écoute. En effet, mon absence d’intérêt pour la musique de Paul Mc Cartney, liée il est vrai à de nombreux préjugés, m’a conduit spontanément à élaborer d’autres voies pour accepter et comprendre l’écoute de Maud, notamment sa propension à répéter un même morceau plus que de raison. Ainsi nos conversations autour de sa pratique se sont organisées au fil de notre relation autour de ce qu’elle appelle - et ce que nous appelons désormais ensemble - ses « petits moments ».

191

Cette expression suffit à activer notre relation. Elle me sert d’entrée dans sa façon d’aimer la musique. Nous essayerons de l’emprunter ensemble.

Maud s’attendait à ce que je la questionne sur ses « petits moments ». Ils sont l’objet même de notre entretien et en assurent la légitimité. Cette activité – parler des petits

moments – nous est familière. Toutefois son enregistrement et sa conservation constituent

une première qu’il était nécessaire de reconnaître :

[…]

Moi : alors, explique-moi ta théorie des moments ?

Maud : je l’attendais ! Qu’est ce que c’est oh la…..ben je sais pas c’est un… c’est une seconde dans un morceau qui va me … ben j’ai l’impression que c’est le …. c’est le/ on peut pas mieux ! On peux pas composer quelque chose de mieux quoi. C’est vraiment le summum. C’est ce qu’il y a de mieux et moi ça me prend [elle met ses

mains sur sa poitrine] et très souvent… comme je te l’ai dit tout à l’heure, j’ai

l’impression que c’est toujours la même chose, finalement, les petits moments se ressemblent sans obligatoirement que ça soit les mêmes notes quoi, mais te dire ce que ça fait… ça prend là ouais j’adore…

[…]

- « alors, explique-moi ta théorie des moments ? »

Ma question mobilise un ensemble d’expériences partagées. Maud m’a familiarisé avec ses « petits moments ». S’il nous semble à tous deux difficile de les définir, il est possible d’en produire de nombreux exemples. Ainsi, mon amie m’a montré à différentes reprises ses « petits moments ». Ses commentaires sont ponctuels et se font le plus souvent sur un mode déictique. De la musique passe, Maud m’indique s’il va y avoir un « petit moment » - elle éveille mon attention - ou l’instant précis où va se produire ce « petit moment » - je

dois attendre qu’il arrive en prêtant attention à mon écoute - ou si ce « petit moment »

vient de se produire - elle m’engage à revenir sur mon écoute. Ces jeux de langage m’ont permis d’expérimenter le savoir de mon amie. Singulièrement ces exercices servent d’apprentissage à l’emploi même de cette expression en mettant à l’épreuve sa grammaire : ses implications et son inscription. Avec une félicité peu concluante nous avons répété certains de ces jeux de langage durant notre entretien. Maud m’a fait écouter plusieurs

192

morceaux de musique dans lesquelles elle identifiait à la seconde près ses « petits moments ».

L’étude des savoirs nécessaires à la reconnaissance de ces « petits moments » engage une anthropologie performative : un travail sur la matière même de notre « vivre ensemble ». Suis-je capable de reconnaître les « petits moment » de Maud et de les partager avec elle ? Est-ce que je peux en reconnaître dans ma propre pratique et vous les faire partager ? Est-ce que je peux vous faire reconnaître vos « petits moments » ? Ne pouvant pratiquer avec vous les jeux de langage que nous réalisons avec Maud je nous intéresserai au travail d’explicitation ouvrant notre échange sur les « petits moments ». La performance mérite d’être appréciée : comment chercher et partager ces « petits moments » sans en produire un seul exemple ?

Maud : […] ben je sais pas c’est un… c’est une seconde dans un morceau qui va me … ben j’ai l’impression que c’est le …. c’est le/ on peut pas mieux ! On peux pas composer quelque chose de mieux quoi. C’est vraiment le summum. C’est ce qu’il y a de mieux et moi ça me prend [elle met ses mains sur sa poitrine] […]

Il ne peut y avoir meilleure entrée pour notre recherche que celle choisie par mon amie – toute autosatisfaction mise à part. Pour reconnaître ces « petits moments » il nous faut estimer leur valeur et, à cette fin, accorder notre sens du remarquable (Cavell 1996 : 317). Ces « petits moments » constituent pour Maud un « summum », un « summum » dans la composition d’un morceau et un « summum » dans son vécu. Cette façon de distinguer ses « petits moments » engage une distinction dans le panel d’émotions et de dispositions que nous recherchons et attendons en nous liant à la musique. La compréhension de cette notion va de paire avec leur comparaison et leur évaluation. Qu’est ce que nous entendons par aimer la musique ? Aimez-vous avoir peur, être stressé, être triste ? Les catégories cinématographiques et les attentes qui leur sont associées (film d’horreur ou d’épouvante, drame, comédie, thriller, etc.) suggèrent ce que peut nous offrir la musique et ce que nous pouvons lui demander. Que recherchons-nous en écoutant de la musique ? Qu’attendons- nous quand nous écoutons de la musique ? Quels états, sentiments, impressions, attitudes,

énergies, etc. aimerions-nous expérimenter ? Comment la grammaire de ces « objets »

193

Maud cherche des « petits moments ». Quand est-il pour vous ? Cherchez-vous ce genre de « summum » ? Votre possible absence d’intérêt pour ces sensations fugitives et violentes recherchées par mon amie ne conteste pas leur existence. C’est ce qu’elle m’indique explicitement. Ses « petits moments » sont notables avant d’être remarquables. Ses « petits moments », ou plutôt ces « petits moments » clament leur réalité. De fait nous pouvons et nous devrions les trouver. Comment positionner nos écoutes pour reconnaître nos « petits moments »? Mon amie se sert du chant pour se remémorer leur position. De même, dans sa pratique quotidienne, lorsque Maud répète l’écoute d’un morceau, il est rare qu’elle n’y joigne pas sa voix. Elle chante très bien (avec un certain humour) et éprouve un réel plaisir à le faire. Ce rapport à l’écoute qu’elle expérimente par le chant densifie sans troubler notre projet de partager ses « petits moments ». Il nous faut le remarquer, nous pouvons avoir des « écoutes chantées » ou des « écoutes dansées »71 et vivre de façon réflexive nos « petits moments ». La suite de notre échange nous offre un complément d’informations :

[…]

Moi : y a que quelques, y a pas, tout les morceaux n’ont pas des moments déjà Maud : ah non… ah non non…

Moi : …y en a que quelques uns…

Maud : …Paul Mc Cartney en a vachement.

Moi : C’est un, c’est un petit passage dans la chanson ?

Maud : ouais même un passage c’est beaucoup trop, c’est enfin une seconde [Moi : ouais] c’est une note enfin je sais pas […]

71Le chant et la danse se constituant à la fois comme des commentaires sur nos écoutes et des façons de

194

[…]

Maud : je sais que je suis dans l’excès quand même, je peux l’écouter jusqu’à 10 fois de suite. Pourquoi ben parce que je la trouve hyper bien et voilà…je sais pas pourquoi, mais c’est vrai qu’après je m’en lasse par contre…

Moi : …c’est vrai ? tu t’en lasses plus vite…

Maud : …à chaque fois c’est pareil ouais, à chaque fois au bout d’un moment je retrouve plus, d’ailleurs je crois que le petit moment s’éteint à force [Moi : ah oui] je crois ouais, certains morceaux que j’ai trop écouté et du coup ben…ouais je m’en lasse …voilà quoi…

Moi : quand tu y reviens un peu plus tard ça te re/ Maud : oui, si/ ça revient si tu laisses…

Moi : …un petit temps… Maud : …ouais carrément.

Moi : Et les Beatles ils ont toujours gardé ce…..bonne durée de vie, quoi enfin… Maud : ouais c’est clair, y’a tellement de morceaux aussi que j’aime, y a tellement de trucs, voilà eux ils ont vachement d’album et………ouais, les Beatles, toujours, toujours et à vie, j’arrêterai jamais.

Moi : forever […]

Les informations échangées dans ces deux séquences peuvent nous permettre de compléter notre grammaire. Ces « petits moments » peuvent être localisés précisément : ce sont des événements reconnaissables, d’une durée très brève. La manifestation de ces « petits moments » a quelque chose d’un peu brutal. Il s’agit d’un effet : un effet physique indissociable d’un effet musical. Tous nos morceaux de musique ne disposent pas de « petits moments ». Toutefois, on peut en trouver dans plusieurs morceaux d’un même compositeur. Leur reconnaissance et leur désignation comme telle sont indissociables

195

d’une écoute. Ces « petits moments » font « une différence », une « différence » dans un morceau comme une « différence » dans son vécu. Leur existence se comprend dans cette matière sensible. Leur « durée de vie » est naturellement limitée : une écoute répétitive contribue à les épuiser.

- « je crois que le petit moment s’éteint à force »

La signification de ce phénomène par Maud mérite d’être remarquée. La disparition d’un « petit moment » est progressif et n’est pas définitif. Cet épuisement a quelque chose de naturel. Ces « petits moments » semblent trouver dans nos vies leur matière et leur condition. Leur extinction attendue nous renseigne sur la félicité de notre projet de recherche. Nous ne choisissons pas de trouver ces petits moments, ils sont là ou non. Ils peuvent disparaître comme ils peuvent réapparaître. La pratique de mon amie semble avoir pour but cette recherche et cette extinction des « petits moments ». Maud épuise des effets. J’ai noté à différentes reprises sa tendance à écouter les morceaux qu’elle découvre et quelle aime de façon répétitive. Cette pratique concerne notamment les morceaux qu’elle télécharge sur Internet. Kazaa72, par exemple, un logiciel d’échange peer to peer de fichiers mp373 (entres autres), lui permet d’investir dans un temps relationnel complexe son amour de la musique. Elle retrouve les morceaux qu’elle écoutait plus jeune et réactive des « petits moments » disparus jusqu’à les épuiser à nouveau : une façon de se rechercher et de se retrouver dans sa musique. Cette pratique réalise ces « petits moments » comme un critère de catégorisation : il est possible de compiler les morceaux de musique en fonction de leur présence. Le rapport entre cette possibilité et la passion que Maud porte aux Beatles nous renseigne sur l’« histoire naturelle » de cette recherche des « petits moments ». Les