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Triangle de Choisy, Sedaine-Popincourt et Aubervilliers à Paris

Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Chapitre 3. Flux et destinations de la diaspora chinoise : du

3.3. Entre Chinatown et quartier chinois Deux cas distincts en Europe

3.3.2. Triangle de Choisy, Sedaine-Popincourt et Aubervilliers à Paris

Les recherches sur les « quartiers ethniques » en Europe deviennent plus systématiques entre les années 1980 et 1990 (Berbagui, 2005). Les migrants chinois sont parmi les premiers groupes étudiés dans une perspective d’analyse des relations interethniques, ainsi que des regroupements communautaires qui s’y font. Nous rencontrons également de nombreuses études sur d’autres migrants, surtout à travers une approche historique et sociologique (Brody, 1995 ; Blanc-Chaleard et al., 2000).

Une des premières destinations de l’immigration chinoise contemporaine en Europe est la France. Elle se compose de populations provenant surtout des régions côtières. Durant l’entre-deux-guerres, et plus particulièrement entre 1926 et 1936, la population chinoise à Paris est estimée à 3 000 personnes, dont 29 % exercent une activité commerciale. Le premier lieu d’installation est le 3ème arrondissement, à côté de l’implantation juive existante (Ma Mung, 2000 : 107 – 113).

Un second courant migratoire apparaît après les années 1970. Il est composé de réfugiés provenant du Cambodge, du Vietnam et du Laos. Parmi eux, nombreux sont ceux d’origine chinoise, installés comme commerçants dans les anciennes colonies. Par la suite arrivent de nouveaux réfugiés provenant des zones militaires contrôlées par les khmers rouges et les vietkhongs. Les affrontements militaires sont à l’origine de cette importante vague migratoire vers les pays européens.

L’élargissement de leur présence dans la capitale française débute avec la création du quartier chinois, le Triangle de Choisy, dans le 13ème arrondissement (Hassoun, 1986 ; Live, 1992 ; Costa-Lascoux, Live, 1995 ; Béja, 2001). Les facteurs qui ont conduit à cette installation sont principalement les bas prix du sol, engendrés par la zone de rénovation déjà engagée autour de la porte de Choisy. Ce vaste programme n’avait pas, jusqu’alors, réussi à attirer de nombreux locataires, tandis que les anciens habitants l’abandonnaient déjà (Coing, 1966). Les logements vides ont trouvé

103 rapidement preneurs aux yeux des commerçants chinois, à côté d’activités commerciales à forte identité asiatique. Le quartier devient aussi progressivement un lieu d’habitation.

Selon Michelle Guillon et Isabelle Taboada-Leonetti (1986), qui sont parmi les premières à l’avoir analysée, cette installation est caractérisée comme « interethnique ». À leurs yeux, « peu de points d’intersection réels » existent entre les différents groupes sociaux présents, même si les rapports ne sont pas conflictuels. Elles ne caractérisent pas le quartier comme Chinatown, mais comme « tête de pont » du commerce chinois à Paris, ou « territoire de ressourcement culturel » pour la communauté chinoise (p. 100) ; un regroupement lié à l’apparition d’un « fort sentiment communautaire » et qui constitue une « alternative d’insertion dans le pays d’accueil » (p. 100).

Aujourd’hui, le discours a évolué pour le Triangle de Choisy. Il devient progressivement synonyme de « quartier asiatique » et aux facettes multiples. Il complète ses fonctions initiales – commerces de détail et habitations – par une fonction complémentaire : celle liée aux loisirs. Dans un article de presse locale, portant comme titre « Pourquoi Paris ne mise pas plus sur son Chinatown », la question posée est : pourquoi sa base économique traditionnelle n’est-elle pas encore plus liée à cette nouvelle fonction et pourquoi ne vise-t-il pas à un profil de « quartier plus global » ? (Le troisième du mois, n° 14, janvier 2012).

La discussion sur la formation et les perspectives de cet espace urbain à forte présence migratoire tend à englober progressivement cette nouvelle dimension de quartier multifonctionnel possédant une forte identité. Dans ce même article, l’association des commerçants, asiatiques et non asiatiques, souligne : « Que serait Paris sans ses villages ? Quand les clichés de Montmartre ou du Marais s’entassent dans les appareils photos des touristes, les Tamouls de La Chapelle, les Africains de Barbès ou Château Rouge et, bien sûr, les Sino-asiatiques de Belleville ou du Triangle de Choisy, pourquoi ils n’ont pas droit aux mêmes égards ? »

Nous constatons que pour cette association, la projection du 13ème arrondissement comme « quartier interethnique » est perçue comme positive. Elle va aider à le

104 caractériser aux yeux du plus vaste public, non pas seulement comme « chinois », mais aussi comme « asiatique ». C’est dans ce contexte qu’ils revendiquent une plus grande ouverture par un marquage territorial plus précis et par sa signalisation comme « zone touristique ». L’exemple des Chinatown des pays anglo-saxons est mis en comparaison pour montrer les avantages économiques qu’une telle politique d’ouverture aurait pour l’ensemble de la ville de Paris. 21

Un cas différent est celui du quartier de Sedaine-Popincourt, dans le 11ème arrondissement. Il réunit majoritairement des migrants originaires de Wenzhou (Pribetich, 2005 ; Chuang, 2013). Peu sont impliqués dans la fabrication de textile ou dans le commerce de détail, comme dans le cas précédent. Ils s’activent, eux, essentiellement dans le commerce de gros et demi-gros, et surtout dans le prêt-à-porter et les accessoires de mode (Image 10).

Tandis que la présence chinoise dans le Triangle de Choisy est caractéristique d’un quartier à dominante commerciale mixte, le cas de Sedaine-Popincourt est différent. Il s’agit d’un quartier « monofonctionnel », composé exclusivement de commerçants grossistes (Pribetich, 2005). Ce caractère très spécifique, puisque exclusivement destiné à cette vente, a connu une expansion spectaculaire et a provoqué des réactions négatives de la part des habitants et autres commerçants. C’est le cheval de bataille de George Sarre, le maire de cet arrondissement à l’époque : « 512 boutiques de demi- gros textile se concentrent dans le quartier. C’est une véritable mono-activité qui a pris des proportions gigantesques, en l’espace d’à peine dix ans. À l’instar de la rue Montgallet, la communauté asiatique tient la majorité des boutiques. Pour un commerce vaquant, les grossistes sont prêts à mettre 300 000 euros pour un droit au bail d’une surface de 70 m², alors que dans des quartiers de standing équivalent, il se négocie autour de 30 000 euros » (Journal du net, 22/12/2010).

21 Ces dernières années, d’autres articles de presse sur l’migrations chinoise ont vus le jour (Nouvel

Obs, 16 – 29 janvier, 2014, Le 13ème du mois, n°36, janvier 2014). Or, peu d’études ou recherches se focalisent sur les évolutions sociospatiales des implantations chinoises.

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Image 10. Façades des commerces de gros chinois à Sedaine-Popincourt

Plus particulièrement, la forte installation de grossistes a déclenché de nombreux débats et a conduit à des mesures spécifiques. Depuis 2004, la société d’économie mixte d’aménagement de l’est de Paris (SEMAEST) est en charge de la revitalisation commerciale de l’ensemble du quartier. Ce programme de revitalisation, nommé Vital’Quartier, vise à redynamiser les secteurs commerciaux à Paris qui ont des taux de vacance significatifs et qui sont dominés d’activités commerciales jugées comme « monofonctionnelles » (APUR, 2013).

Ce projet – à travers l’acquisition de fonds de commerce, ainsi qu’à travers la prise à bail et la sous-location – vise à remettre sur le marché de nouveaux commerces. À la place des commerces de gros chinois, un commerce de proximité et de service est promu : des salons de coiffure, des petits restaurants, des boulangeries et des épiceries. Tandis qu’en 2003, les commerces de gros étaient majoritaires, dix ans plus tard, leur nombre se stabilise, passant de 531 à 594 (APUR, 2013 : 18).

Un troisième cas de concentration chinoise à Paris est celle rencontrée à Aubervilliers, dans la municipalité de la Seine-Saint-Denis. La forte désindustrialisation de ces dernières années a laissé un stock important d’entrepôts et de bâtiments industriels désaffectés. Face à ce problème, la municipalité a fortement soutenu l’installation de commerces de toutes tailles, en vue de revitaliser la dynamique urbaine. Les commerçants chinois y ont trouvé un environnement propice et ceci surtout grâce aux faibles prix du sol. Ils ont commencé à investir massivement ici aussi, et essentiellement dans le commerce de gros. Selon des études récentes, le cas

106 d’Aubervilliers est considéré comme étant de loin le plus homogène parmi les implantations du commerce chinois à Paris (Ma Mung, Li, 2012 ; Chuang, Trémon, 2013 ; Trémon, 2013).

Deux remarques peuvent être faites à partir de ces trois installations :

La première est que la définition d’un espace en tant que « quartier chinois » n’est pas tant liée au nombre de commerces ou services implantés. C’est plus le facteur « ethnique » et le marquage territorial qui conduisent à cette description. Tandis que le Triangle de Choisy porte communément cette définition même si les activités chinoises ne sont pas prédominantes, Sedaine-Popincourt et Aubervilliers, qui regroupent presque uniquement des commerces de gros, ne portent pas cette définition. Un facteur supplémentaire, qui joue un rôle sur cette définition, est l’existence d’autres fonctions ou services ouverts à un large public, comme les restaurants. Ces fonctions renforcent le marquage ethnique. Par exemple, les cas de Sedaine-Popincourt et d’Aubervilliers – qui n’attirent pas un large public, mais seulement une clientèle ciblée qui vient principalement pour s’approvisionner – ne sont pas perçus comme seulement chinois.

La deuxième remarque est que les importations gagnent du terrain. Au début, les ateliers de fabrication et les restaurants étaient de règle, tandis qu’aujourd’hui, le commerce se dynamise et présente des perspectives solides. En effet, Emmanuel Ma Mung et Zhipeng Li (2013) ont montré qu’il a provoqué le déclin des ateliers tenus par la première ou deuxième génération de migrants chinois. Cette évolution se confirme dans le cas des implantations chinoises en Italie. Nous constatons donc qu’il s’agit d’une nouvelle tendance induite principalement par l’intensification de la diaspora chinoise à partir les années 1980.

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