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Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Chapitre 3. Flux et destinations de la diaspora chinoise : du

3.3. Entre Chinatown et quartier chinois Deux cas distincts en Europe

3.3.4. Le cas particulier de Prato en Italie

L’intensification de la présence chinoise en Italie dans les années 1980 peut être vue comme une extension des implantations équivalentes établies en France (Ma Mung, 2000 : 106). À travers l’analyse de l’exemple de Prato, nous avons recherché les échanges entre l’implantation chinoise en Italie et celle en Grèce ; un questionnement

107 qui nous a été posé à travers les parcours migratoires suivis par bon nombre de nos interlocuteurs à Athènes.

Aujourd’hui, les Chinois composent le quatrième groupe des migrants installés en Italie. Parmi les implantations dans plusieurs grandes villes du pays, comme Rome, Milan ou Naples (Schmoll, 2000 ; Ceccagno, 2003 ; Luca, 2004), Prato forme un cas à part. Elle fait partie des districts industriels, Industrial District ID, dans lesquels de nombreuses unités de textile, de petite ou moyenne taille, s’y regroupent. Quoique ce modèle de développement ait été fortement idéalisé comme modèle de production « alternatif », plusieurs critiques ont mis en avant certains de ces aspects moins connus. Mauvaises conditions de travail, travail informel ou non rémunéré ont fortement soutenu ce mode de production (Hadjimichalis, 2006 ; Ceccagno, 2012).

À la fin des années 1990, Prato, ainsi que le reste de ces districts, connaissent un déclin progressif dû à des restructurations globales. La délocalisation de la production et les coûts plus élevés de la main d’œuvre, ainsi que la suppression de l’accord sur les textiles et les vêtements par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ont surtout favorisé les importations.22 Les migrants chinois, arrivés en grand nombre à la fin des années 1990, se sont installés au début comme simple employés. Puis, la crise économique du secteur de l’habillement, qui affectera fortement les firmes locales, leur permettra de devenir progressivement propriétaires des ateliers. Vingt ans plus tard, sous l’emprise de la globalisation, le travail informel et la flexibilité de la main d’œuvre chinoise ont totalement revitalisé le secteur du prêt-à-porter, remettant Prato aux premiers rangs de ce secteur industriel. À titre indicatif, 80 % des firmes à Prato sont occupées par des patrons chinois (Ceccagno, 2003, 2012).

À partir de 2010, les activités des firmes chinoises n’ont pas la même dynamique et ne sont plus en expansion continue. De nombreux articles de presses soulignent que l’importation de marchandises gagne du terrain, au détriment de la fabrication sur place. Comme Antonella Ceccagno le souligne, nombreux sont les patrons chinois qui quittent leurs entreprises : entre 100 et 200 firmes ont déjà fermé leurs portes. Un facteur supplémentaire, qui contribue aux départs des fabricants chinois, est

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108 l’intensification des contrôles sur les conditions de travail, ainsi que le prix élevé des amendes affligées.23 Au même moment, au niveau du pays, le pourcentage des migrants chinois qui quitte le pays est estimé à 10 % (Jozsef, 26/5/2013). La crise économique se faisant sentir, les clients sont de moins en moins nombreux.

Les effets de cette migration sont au cœur d’un vif débat entre acteurs locaux et différents points de vue scientifiques. Tandis qu’une partie des chercheurs qui se sont penchés sur ce sujet, expliquent le déclin industriel de Prato comme étant un effet direct de la globalisation, et perçoivent l’arrivée des Chinois comme un résultat du déclin du prêt-à-porter italien (Dei Ottati, 2009 ; Nessi, 2010), d’autres voient leur présence comme « recomposition du local », et considèrent que les activités chinoises, directes ou induites, ont grandement contribué à cette revitalisation économique (Ceccagno, 2012). Ils soulignent également que sans la dynamique des firmes chinoises, la ville de Prato, dont les Chinois composent encore le tiers environ de la population, n’aurait pu rester compétitive.

Cet exemple, et les différentes réactions qu’il suscite, montrent un changement d’attitude face aux répercussions des courants migratoires sur les villes d’installation : il met le point sur les effets éventuellement négatifs qu’auront les départs sur les villes et leur économie. À travers ce point de vue, la présence chinoise n’est plus perçue comme une éventuelle menace, mais – dans le contexte de la crise économique que l’Europe connaît – comme source de revitalisation.

Les évolutions survenues à Prato ont un intérêt particulier pour notre étude de cas. La population chinoise établie continue à entretenir des relations économiques privilégiées avec les commerçants chinois installés à Athènes. Comme nous avons pu le noter, les échanges commerciaux et d’approvisionnement entre ces deux pôles de la diaspora chinois sont denses.

En guise de conclusion, nous procéderons à deux constats :

Le premier constat est le poids des activités de loisirs dans les espaces investis par une

23 Ces contrôles s’intensifient à partir des élections municipales de 2009. Selon Éric Jozsef (26/5/2013),

109 forte présence migratoire. Tandis que le Chinatown londonien ou new-yorkais sont deux exemples dans lesquels ce tournant vers les activités de loisirs est presque total, les cas analysés en France ou en Italie montrent une plus grande persistance envers ces activités. Soulignons que les importations et le commerce de gros évoluent dynamiquement parmi les implantations chinoises en Europe (Ma Mung, 2009 : 107). Le cas athénien suit cette tendance : il est essentiellement axé sur le commerce, tandis que les activités de loisirs ne sont que très peu représentées.

Le deuxième constat est l’importance jouée par le contexte social et économique d’installation. Ce contexte influence, et nous pouvons même dire qu’il conditionne, le développement des activités entrepreneuriales : tandis qu’à Paris, l’installation des grossistes chinois se fait dans un quartier (11ème) déjà marqué par une tradition dans le prêt-à-porter, à Prato, ce sont les ateliers de confection qui se développent. En conclusion, nous constatons que les structures préexistantes affectent et interfèrent dans les modes d’installation suivis.

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Chapitre 4. Installations du commerce chinois dans le

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