Provinces de départ Migrations en chaîne de Wenzhou

Comment peut-on expliquer la « tradition » qu’ont certaines provinces chinoises à l’émigration ? Continuent-elles jusqu’aujourd’hui à alimenter les courants migratoires vers l’Europe du Sud ? Nous essaierons de répondre à ces questions en regardant de plus près la province de Zhejiang, et plus particulièrement la région de Wenzhou, puisque la majorité des migrants chinois établis à Athènes en sont originaires.

3.2.1. Ports et régions côtières : le rôle des zones économiques spéciales

En revenant sur la dimension historique de la diaspora chinoise, nous observons qu’elle entretient des liens profonds avec les origines géographiques des primo- migrants. Il y a quatre principales provinces de départ : Zhejiang, Fujian, Guangdong et Hainan. Toutes sont situées au sud-est du pays et sont tournées vers la mer de Nan Yang. À la fin des années 1990, les provinces du nord-est, Heilongjiang, Jilin, Liaoning, ainsi que les centres urbains, Beijing et Shanghai, commencent à participer au processus migratoire (Image 6). Une deuxième caractéristique des provinces de départ est leur proximité avec les grands ports marchands qui, tout au long des siècles, alimentent le commerce. Selon Emmanuel Ma Mung, « les migrations sont en Chine un phénomène essentiellement maritime et méridional » (2000 : 35).

À côté de ce passé marchand, le développement contemporain rencontré y est très intense. C’est le résultat des politiques appliquées après les années 1980 et la période des réformes, comme nous l’avons analysé précédemment. Ce développement économique a des références spatiales marquées puisque les zones économiques spéciales (ZES), instaurées dès 1979, s’y localisent majoritairement. Dans celles-ci, les mesures financières et législatives décrétées permettent d’importants investissements, souvent étrangers. Ces mesures conduisent au renforcement du capitalisme étatique qui, en même temps, prend des dimensions géographiques définies. Dernièrement, cette politique évolue : elle s’étale sur l’ensemble du territoire, et vers le nord en particulier, comme vers les grands centres urbains et les grandes métropoles (Nyiri, 2009).

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Image 6. Chine: principales provinces de départ

Les provinces de départ les plus importantes sont situées au sud, tandis que les nouveaux lieux d’émigration, au nord du pays.

Une fois de plus, nous observons que les notions de migration et de développement économique vont de pair. Ce sont les deux facettes du même processus, selon David Harvey (2005 : 125), qui souligne que la « démocratie de la consommation » coïncide avec l’application de ces zones économiques qui s’étalent progressivement sur l’ensemble du territoire chinois. L’exemple de la province de Zhejiang et de sa région Wenzhou est caractéristique.

3.2.2. Province de Zhejiang et région de Wenzhou : un modèle de développement économique extraverti

Les grandes différences de comportement remarquées entre provinces face au phénomène migratoire doivent aussi être attribuées à l’importance jouée par les réseaux entretenus entre diaspora et province d’origine. Cette remarque conduit de nombreux chercheurs à dire qu’il n’y a pas une diaspora, mais plusieurs diasporas chinoises (Chang, Tang et al., 2002 ; Khuan, 2008; Auguin, 2009). L’émigration en provenance de la province de Zhejiang, et de la région de Wenzhou, qui se dirige majoritairement vers la Grèce, est intéressante à plus d’un point : les liens et les réseaux sociaux, qui sont induits par le fort attachement que les migrants maintiennent

96 avec leurs lieux d’origine, expliquent en grande partie les « migrations en chaîne de Wenzhou » (Poisson, 2006).

Cette province est depuis longtemps un des principaux points de départ pour les migrants chinois qu’arrivent en Europe. Comme Frank Pieke le souligne (2002), déjà, du début du 20ème siècle, les migrants originaires de cette province s’installent aux Pays-Bas et en France. Ces premiers regroupements dans l’espace européen, mettent les bases pour l’expansion future de cette migration dans d’autres pays et, notamment, en Europe du Sud.

À partir des années 1980, une émigration massive débute : elle provient principalement du district de Qingtian et de la région de Wenzhou. Cette dernière regroupe plusieurs villes et districts : elle est composée de trois districts, deux centres urbains, et de six espaces géographiques plus restreints, les county areas. Au total, elle englobe une population de neuf millions d’habitants, dont seulement trois millions habitent dans la partie la plus urbanisée, dans ladite Wenzhou city (Auguin, 2009).

Image 7. La province de Zhejiang et son découpage administratif

Zhejiang est composé de 54 500 000 habitants (2010) et a pour capitale administrative Hangzhou

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Image 8. La région côtière de Wenzhou : une des onze régions de Zhejiang, située à

l’extrême sud

Source: http://image.baidu.com/

Jusqu’à la période des réformes, Wenzhou est surtout un port commercial, isolé du reste du pays et peu extraverti. Sa localisation, entourée par une chaîne de montagnes et par la rivière Ou, renforce cet aspect et limite, en même temps, ses échanges avec son arrière-pays. Pendant la période maoïste, cette région entre même en déclin, puisque les grands projets d’infrastructure qui viennent de débuter n’arrivent pas à la lier organiquement avec le reste du pays (Auguin, 2008).

Wenzhou est une des premières régions où se créent les ZES. À partir de 1980, une nébuleuse d’entreprises aux statuts juridiques divers s’y installe. Il s’agit d’entreprises majoritairement privées de petite ou moyenne taille, appartenant souvent aux membres d’une même famille ou à des familles aux ramifications étendues (Poisson, 2006). En même temps, de grandes entreprises nationales s’y établissent aussi, comme China’s Shoes Capital et China’s Capital of Electrical Equipment. Les produits made in Wenzhou deviennent un label courant. Ils couvrent une très vaste gamme d’articles qui alimentent seulement en partie le marché intérieur, puisqu’ils sont surtout voués à l’export. Cette région s’élève rapidement au rang de leader national pour le commerce extérieur de la Chine. Elle est un des centres économiques les plus dynamiques, une vitrine du modèle de développement extravertie suivie par la Chine (Tan, 2011). Soulignons que le nombre d’entreprises, toutes tailles confondues, est estimé à 240 000 (Wenzhou, Wikipedia, n.d.).

98 Nous avons pu observer le caractère d’économie éminemment extraverti de cette région durant une visite d’étude effectuée dans le cadre d’un colloque organisé par l’Université de Wenzhou, et qui avait comme thème principal les répercutions et les perspectives des flux migratoires provenant de cette région.20 _{Il s’agit d’un sujet de} forte préoccupation locale puisque étroitement imbriqué à l’intensité des échanges économiques mondiaux, mais qui est aussi lié aux préoccupations provenant de la situation des économies des pays d’accueil. L’évolution des migrants chinois établis dans le Sud Européen, et spécialement à Prato en Italie, est didactique à plus d’un point.

Les images qui dominent dans le centre-ville de Wenzhou sont celles d’un commerce dynamique qui reflète les rapports étroits avec le marché global. Toutes les grandes firmes internationales, de vêtement notamment, y sont implantées (Image 9).

Image 9. Au centre-ville de Wenzhou city : les façades des fonds de commerce

attestent son caractère extraverti

Signalons ici que de fortes différenciations économiques et sociales existent entre les migrants provenant de cette même région. Essentiellement, elles sont dues à leurs origines, rurales ou non-rurales (Wu, Hong, 2012). Les paroles d’une jeune cadre d’entreprise, que nous avons rencontré à Wenzhou, sont significatives. Elle venait de rentrer après cinq années d’études à Paris : « nous, jeunes diplômés nés dans la ville, nous allons principalement en Europe pour les études. Ceux qui travaillent comme

20 _{Le colloque 3rd Wenzhouese Diaspora Symposium a été organisé par l’école économique de}

99 petits salariés ou employés, sont, eux, surtout originaires des villages environnants. Ceci crée entre nous une nette distinction » (entretien non enregistré, 19/10/2012 à Wenzhou). Nous avons observé ces différenciations parmi les migrants chinois enquêtés et nous reviendrons sur cette question dans le Chapitre 5.