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Le bâtiment Chinatown et sa place distincte dans le quartier

Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Carte 8. Sièges d’associations, commerces et services communautaires dans le terrain

4.3.2. Le bâtiment Chinatown et sa place distincte dans le quartier

Le bâtiment Chinatown occupe une place distincte, tant au niveau du quartier que du terrain d’étude. Il fait partie d’un ensemble de quatre bâtiments construits presque en même temps, entre 1963 et 1965. Il occupe la totalité d’un îlot urbain délimité par les rues Agisilaou, Millerou, Pireos et Thermopilon. Il a été bâti sur le système de la contreprestation, sur l’ancien terrain de l’orphelinat Chatzikosta.

Le premier bâtiment, au 68 A et B rue Pireos, a comme usage principal le logement et comporte 163 appartements, dont la moitié est occupée par des Chinois. Nous en avons eu une bonne image puisque nous y avons mené, en mai 2011, une enquête par questionnaire. Le deuxième, dont l’entrée est située en face de l’église Agios Georgios de la rue Thermopilon et construit initialement comme hôtel, est occupé par les bureaux de la loterie nationale grecque (kratika lahia) et a donc un caractère

148 monofonctionnel. Comme il ne comporte pas de commerce au rez-de-chaussée, il présente une image de bâtiment vide, retourné sur lui-même. Le troisième, au 1 rue Milerou, est un bâtiment de bureaux et d’entrepôts et présente un taux de vacance important (Mangouliotis, Perdikis 2013).

Le quatrième bâtiment, de loin le plus intéressant, est surnommé Chinatown. Il est composé de six étages et de deux larges sous-sols. Au dernier étage, se trouvent les bureaux de la société anonyme Chinatown S.A., qui a comme objet principal les activités d’import-export. Elle est dirigée par deux copropriétaires chinois, originaires de la province du Zhejiang et de la ville de Qingtian. D’après eux, la société couvre 20 % des importations chinoises en Grèce. Dans ce même étage, nous découvrons le siège du journal hebdomadaire chinois, ayant comme titre China Greece Times, le siège de l’Association des Chinois originaires de Qingtian, ainsi qu’une école primaire privée de langue chinoise. Cette dernière s’adresse principalement aux enfants des migrants qui habitent le quartier. Dans les étages inférieurs, nous pouvons voir des commerces, ainsi qu’un restaurant. Le rez-de-chaussée comporte la partie du bâtiment la plus ouverte vers la ville. Nous y rencontrons plusieurs commerces de gros et deux petits commerces de détail vendant du tabac, des boissons ou des cartes téléphoniques. Le sous-sol, quant à lui, abrite des commerces et des parkings.

L’envergure de ce bâtiment dépasse fortement ses limites géographiques, tandis que ses usages s’étalent sur l’espace public environnant. Il possède une grande cour intérieure qui est souvent occupée par de nombreux employeurs et employés qui habitent ou travaillent aux alentours. Les pratiques quotidiennes que l’on remarque sont renforcées par la liaison entre lieu d’habitation et lieu de travail. En effet, nombreux sont les commerçants qui travaillent dans le bâtiment et habitent dans les appartements voisins. Le marché alimentaire ouvert de la rue Agisilaou se fait principalement à son entrée principale. Ce bâtiment crée une densité ethnique très marquée qui rayonne sur les rues adjacentes, et va jusqu’aux rues Pireos, Thermopilon et Milerou.

Ce fort marquage territorial conduit à une appropriation exclusive de l’ensemble de l’îlot : sur les 28 commerces dénombrés sur sa périphérie, sans prendre en compte ceux situés dans sa cour intérieure et ses passages, 24 fonctionnent sous enseignes

149 chinoises. Ce nombre nous permet de parler d’une vraie « homogénéité » du commerce chinois dans cet espace spécifique.

En 2013, un seul commerce a changé de mains. En effet, la boutique chinoise qui vendait des vêtements féminins a été remplacée par un commerce de gros grec. Il propose exactement le même type de produits, mais ceux-ci, comme les drapeaux grecs qui décorent sa façade le manifestent, sont censés être fabriqués en Grèce. Cette dernière remarque nous permet de parler d’un nouveau commerce qui semble être concurrentiel. Nous reviendrons sur ce point dans le Chapitre 6.

En conclusion, une remarque concernant les deux principaux types de commerce rencontrés dans notre étude de cas émerge : nos observations confirment la distinction proposée par Emmanuel Ma Mung (1992, 2000) entre « marché extra- communautaire », principalement basé sur les commerces de gros, et « marché intra- communautaire », principalement basé sur les entreprises ou services d’amont. Nous avons pu constater que ces deux marchés s’entremêlent puisque le marché extracommunautaire alimente tant des détaillants non chinois, que des détaillants chinois.

Une deuxième remarque est que les pratiques commerçantes suivies par les commerçants de gros au sein du marché se différencient selon l’origine de la clientèle : dans le cas d’une clientèle co-ethnique, des obligations réciproques bien plus fortes se tissent, les modes de paiement peuvent être plus flexibles, mais au final, le choix des partenaires dépend des liens sociaux. C’est-à-dire que des relations de réciprocité influencent les échanges commerciaux. Pourtant, comme souligné dans d’autres études de cas, ce facteur de réciprocité entre client et propriétaire de la même origine, quoique formant un point essentiel du fonctionnement de l’entreprenariat ethnique, n’est pas toujours en faveur du propriétaire de l’entreprise. Ce dernier se trouve souvent obligé d’offrir de meilleurs prix à ses compatriotes. Cette critique est surtout mise en avant par Neil Sanders et Victor Nee (1987) et concerne l’ensemble de ladite « solidarité ethnique ». Nous reviendrons sur ce point après l’analyse des parcours migratoires suivis par les personnes interviewées.

150 Dans le cas où les échanges commerciaux concernent une clientèle non chinoise, les liens sociaux et la confiance sont moins forts, et donc, le choix des partenaires est plus flexible et est surtout basé sur des critères économiques et moins sur des critères sociaux. Autrement dit, le manque de rapports sociaux préexistants conduit à des échanges centrés sur les seules activités de commerce. Au final, nous pouvons dire que sur le plan économique, ce sont les deux facettes de ce marché ethnique (extra et intra- communautaire) qui assurent l’ « autonomie » progressive, au sens du terme donné par Emmanuel Ma Mung (1999, 2012), de cette présence chinoise ; une « autonomie » qui se manifeste localement, dans le contexte urbain étudié, mais est intimement liée avec le contexte global.

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Chapitre 5. Structures sociales, réseaux et parcours

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