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Origines, structures familiales, conditions d’habitat et mobilités

Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Carte 9. Répartition spatiale des ressortissants chinois dans les sept arrondissements

5.2. Enquête sur deux immeubles caractéristiques du terrain d’étude

5.2.1. Origines, structures familiales, conditions d’habitat et mobilités

Au niveau de la répartition par âge des occupants chinois nous confirmons, quoique avec des différences, les remarques sociodémographiques précédentes. L’écrasante majorité, soit 120 personnes (89 %), est comprise dans la tranche d’âge productive, de 19 à 45 ans. Les enfants sont peu nombreux (8 %), les plus de 46 ans sont seulement 4, tandis qu’aucune personne de plus de 66 ans n’y habite (Tableau 15).

Tranches d’âge Résidents chinois

0-18 11 8

19-45 120 89

46-65 4 3

66+ 0 0

Total 135 100

Tableau 15. Répartition par âge des résidants chinois de deux immeubles

caractéristiques du terrain d’étude Source : enquête par questionnaire

Le pourcentage des hommes est plus important et se situe autour de 60 %. Au niveau éducatif, nous ne constatons pas de grandes différences avec la situation précédente : ceux qui ont terminé leurs études secondaires sont compris entre 40 % et 45 %, soit un peu moins de la moitié de cet échantillon.

158 À travers ces questionnaires, nous avons un meilleur aperçu des provinces de départ, de la composition des ménages, ainsi que de leurs conditions d’habitation. Dans leur très grande majorité (88 %), ces migrants sont originaires de deux provinces du sud-est de la Chine : Zhejiang et Fujian.

Parmi les Zheijiang, les deux tiers, soit 70 % de l’ensemble des migrants enquêtés, sont nés principalement dans les régions de Wenzhou et de Qingtian. La répartition exacte entre les villes de ces régions n’a pas toujours été possible à établir, puisque la majorité des migrants évoquent « Wenzhou » comme lieu de naissance du fait qu’elle est la région la plus connue.

Puis, suivent les migrants originaires de la province de Fujian – située plus au sud et en face de l’île de Taïwan – dans un pourcentage de 8 %. Ils proviennent de ses principaux centres urbains, Fuzhou et Fujin. La prépondérance des régions du sud-est dans le courant migratoire constaté à Athènes est nette.

Moins nombreux sont les migrants provenant des grandes métropoles, de Shanghai, ou de la capitale, Beijing. Encore moins présents sont les migrants originaires du nord : nous avons recensé quatre femmes, seulement, provenant de la province de Dongbei. À travers ces questionnaires, nous voyons aussi que dix personnes sont nées en Grèce : il s’agit des premiers membres de la deuxième génération (Tableau 16).

Lieu de naissance Résidents chinois (%) Province de Zhejiang :

villes de Wenzhou, Qing tian, Rui’an 99 74

Province de Fujian :

villes de Fuzhou, Fuqing 11 8

Autres centres urbains :

Shanghai, Beijing, etc 11 8

Grèce 10 7

Province de Dongbei :

Liaoning, Jilin, Heilongjiang 4 3

Total 135 100

Tableau 16. Provinces d’origine des résidants chinois de deux immeubles

caractéristiques du terrain d’étude Source : enquête par questionnaire

159 Par rapport à la composition de la population des 44 appartements questionnés, nous constatons que 35 sont occupés par des familles, 8 sont en cohabitation et un seul est occupé par une personne seule.

Dans le cas des familles, il s’agit surtout de couples ou de parents proches vivant ensemble. En grande majorité, les enfants n’habitent pas avec les parents, ils vivent en Chine où ils sont élevés par les grands-parents. M Q., questionné en 2011, nous dit : « il est impossible de vivre ici avec mon enfant. Le travail et très exigent et il faut bien gagner sa vie. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Mes cousins prennent soin de mon enfant et nous, ici, on héberge les leurs, qui sont déjà des adultes. Ils sont venus à Athènes pour travailler et ils vivent chez nous » (entretien I. 18). Dans d’autres cas, les grands-parents sont mobilisés. M C.-H. dit : « avec ma femme, nous avons décidé de faire venir à Athènes les grands-parents pour garder notre fille. Pour cela, nous avons créé un petit magasin et nous leur en avons donné la gestion. Il est situé juste à côté de l’école maternelle [école privée située à Tavros]. Comme cela, après la fin de l’école, ils vont la chercher » (entretien I. 24).

Dans des cas plus rares, des migrantes chinoises sont chargées de la garde des enfants. En majorité, ce sont des femmes originaires des provinces du nord, comme nous avons pu le constater dans quatre appartements (Annexe 3 et no 5, 16, 41, 22). Elles vivent avec la famille et, en dehors des enfants, sont chargées de l’appartement, des repas et des achats. Le fait d’embaucher une femme de ménage est un signe incontestable de réussite économique parmi les migrants, et surtout parmi les commerçants.

Selon Gao Yun, Florence Lévy et Véronique Poisson (2006), cette immigration féminine, qui est assez importante numériquement en France, ne participe pas aux réseaux commerciaux proprement dit. Ces femmes ont un statut social plus marginal en comparaison avec le reste des migrants et surtout en comparaison avec ceux originaires de Zhejiang.41 Ce statut est renforcé par des rapports préétablis dans le pays d’origine. En effet, avant la période des réformes, les populations originaires du nord étaient considérées comme plus éduquées et avaient un statut social supérieur, tandis que celles du sud avaient un statut plus bas. Après le tournant économique des années

41 Souvent elles travaillent comme nourrice à domicile à des ménages chinois du Zhejiang ou tournent

160 1980, ces hiérarchies ont été bouleversées et une grande partie des populations du nord s’est trouvée au chômage.

Les autres renseignements qui proviennent de cette enquête concernent les conditions d’habitation : la grande majorité des appartements sont des deux pièces et des studios. La qualité des espaces communs et des habitations est bonne en règle générale, quoique, comme nous avons pu le constater, de grandes différences apparaissent. Elles proviennent surtout du grand nombre de personnes qui y habitent : dans les 8 appartements en cohabitation, nous avons dénombré 35 personnes, ce qui nous donne une densité comprise entre 4 et 5 personnes par appartement.

Parmi ces 44 appartements, 35 sont en location et 9 appartiennent à des propriétaires chinois. Ils ont été achetés entre les années 2003 et 2008, et d’après nos interlocuteurs, à des prix très abordables, qu’ils n’ont cependant pas voulu nous communiquer. La crise économique qui a suivi a fait cesser toute transaction immobilière dans ces deux bâtiments, comme l’a affirmé le concierge des immeubles. Quant au niveau des prix des loyers, nous remarquons qu’ils variaient entre 350 et 400 euros en 2011 pour les deux pièces, et entre 250 et 300 euros pour les studios. Depuis lors, ces prix ont baissé d’environ 50 euros par appartement.

Une autre caractéristique qui ressort de cette enquête est la forte mobilité des migrants chinois avant leur installation en Grèce ; une mobilité qui se rencontre aussi dans la majorité des implantations chinoises en Europe (Ma Mung, 2000 ; Pieke 2002).

Pays d’installation avant l’arrivée en Grèce Nombre

Chine 82 61

Pays sud-européen : Italie, Espagne 39 29

Pays centre européen : France, Allemagne 3 2

Nés en Grèce 11 8

Total 135 100

Tableau 17. Provenances par dernier pays d’installation des résidants chinois de deux

immeubles caractéristiques du terrain d’étude Source : enquête par questionnaire

161 Dans leur grande majorité (61 %), les Chinois récemment arrivés en Grèce sont venus directement de Chine. Le reste (29 %) provient essentiellement de deux pays du sud européen : l’Italie et l’Espagne. Peu viennent de France et d’Allemagne et aucun des pays balkaniques limitrophes (Image 17).

Image 17. Intensités des flux migratoires et mobilités antérieures entre les provinces

de départ et la Grèce

L’image 17 est basée sur le traitement des 135 questionnaires menés avec les membres de la population étudiée. Elle montre les intensités des flux entre les provinces de départ et le dernier pays d’installation avant l’arrivée en Grèce : Chine, Italie, Espagne, France, Allemagne. Nous observons ainsi que les originaires de Zhejiang présentent une importante mobilité intra-européenne, tandis que les originaires de Fujian, des centres urbains et de Dongbei arrivent, en majorité, directement de Chine.

De ces renseignements, découle qu’un Chinois sur trois environ a déjà transité par un autre pays européen. Dans la majorité des cas, cette mobilité intra-européenne varie après un séjour dans le pays d’accueil, allant d’un mois à trois ans. Un petit nombre avait procédé à un premier séjour exploratoire. Les entretiens confirment que durant leur parcours antérieur, ces migrants travaillaient soit dans un secteur économique équivalent, comme la confection, soit étaient à la recherche d’un travail.

Plus particulièrement, de cet échantillon, il ressort qu’un migrant sur quatre vivait précédemment en Italie. C’est un facteur important qui montre les liens étroits de la Grèce avec ce réseau économique sud-européen, un réseau déjà bien établi. Cela nous amène à nous poser la question de savoir si la Grèce ne constituerait pas une extension

162 de la migration chinoise installée en Italie. Comme nous observons dans l’image 17, parmi les migrants chinois précédemment installés dans ce dernier pays, un fort pourcentage provient de la province de Zhejiang et de la région de Wenzhou, ce qui renforce encore plus la particularité de cette « migration Wenzhou ».

Soulignons aussi que le parcours migratoire de ces migrants débute, dans la majorité des cas, avec une première mobilité campagne – ville survenue en Chine. Dans le but de mieux suivre ces différentes étapes, prenons l’exemple des mobilités successives de Mme L. : elle a vécu dans cinq villes différentes dans un intervalle de cinq ans (Image 18).

Image 18. L’exemple de Mme L.: mobilités successives dans un cadre transnational,

de 1995 à 2000

Elle dit : « je suis de Zhejiang, de la ville de Qingtian. Je suis partie en 1995 pour l’Italie, puis je suis rentrée en Chine. Je me suis installée au nord, dans la province de Shaanxi, ville de Xi’an. J’ai travaillé dans une usine de fabrication de boîtes et puis dans un salon de coiffure. En 1998, je suis retournée en Italie, car mon frère habitait à Turin. Après, je me suis installée à Naples, dans une usine de fabrication de vêtements qui appartenait à un Chinois. J’ai travaillé à la machine à coudre. Je suis restée deux

163 ans et fin 2000, je suis arrivée en Grèce. À ce moment-là, la loi pour les permis de séjour des étrangers était très favorable ; quand j’ai su cela, je suis venue. J’ai eu mes papiers. Au début, les premiers mois, j’ai vendu des vêtements au laiki [marché ouvert hebdomadaire] et dans la rue. En même temps, j’ai travaillé comme coiffeuse et j’ai connu petit à petit d’autres Chinois » (entretien I. 9).

Les différentes phases de cette mobilité sont indicatives des parcours migratoires ancrés dans une dynamique transnationale. Cet exemple, ainsi que les flux migratoires identifiés, montrent que l’arrivée des migrants en Grèce n’est pas un processus linéaire entre deux pays, mais est le résultat d’un parcours plus complexe qui implique, tant des « allers retours » en Chine, que des installations dans d’autres pôles de la diaspora chinoise.

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