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Nouveaux rapports entre migrations et territorialités : éléments de définition

Première partie Migrations et mutations sociospatiales à Athènes : la question de l’insertion dans la ville et de

hapitre 1. Migrations et nouvelles territorialités : politiques et débats

1.1. Migrations et nouvelles territorialités

1.1.2. Nouveaux rapports entre migrations et territorialités : éléments de définition

À partir des années 1980, les flux migratoires internationaux prennent une nouvelle ampleur et se diversifient tant par rapport au statut social des migrants que par rapport

33 à l’ouverture de nouveaux pays d’accès. Selon Gildas Simon, « de profonds changements affectent la planète migratoire dans la mondialisation actuelle, avec la diversification des flux, l’importance des mouvements de transit, l’allongement des routes et des parcours, l’adoption des nouvelles pratiques spatiales » (2008 : 39). Ces flux contemporains, qui sont à la base de la « mondialisation par le bas », sont caractérisés par une forte tension entre, d’une part, leurs intensités et, d’autre part, les politiques de restriction des entrées (Portes, 1999 ; Tarrius, 2002 ; Sassen, 2009).

De plus, ces migrations contemporaines font émerger de nouvelles pratiques spatiales qui doivent être analysées sous une approche théorique différente, qui lie le local au global (Massey, 1994). Cette approche, qui met en exergue la notion du transnationalisme, souligne que les migrants sont acteurs de la mondialisation, puisqu’ils entretiennent des relations sociales et économiques suivies entre différents pays, réduisant, de ce fait, les frontières entre des États-Nations (Glick-Sciller, Bach, Blanc-Szanton, 1992).

Toujours selon Gildas Simon, les migrants établissent aussi des « champs migratoires » qui lient intensément les lieux de départ et d’arrivée par le biais de multiples réseaux transnationaux. En même temps, ces flux migratoires, surtout en raison de leurs intensités, génèrent de très importants échanges économiques, de nouveaux accès à l’information, tout en ayant des répercussions spatiales inattendues (Simon, 2008 : 80). Les villes d’accueil en sont profondément affectées, le tout conduisant à une métropolisation accrue. Dans ce cadre, la relation entre courants migratoires et espace urbain acquière une nouvelle dynamique : les villes d’accueil, et tout particulièrement leurs centres, se transforment (Miret, 1998 : 3). Les migrants s’y localisent en grand nombre, entraînant ainsi des configurations spatiales inédites. Dans le cas de la diaspora chinoise, de nouvelles réalités sont mises en place, qu’il s’agisse d’une nouvelle installation ou du renforcement d’un premier point d’ancrage. Bien entendu, ces réalités évoluent différemment entre les villes concernées.

La définition de global cities, avancée par Saskia Sassen (2009), est, elle aussi, caractéristique des nouvelles formes de territorialités engendrées par les migrations internationales. Les quartiers ethniques, ou « centralités minoritaires », selon le terme utilisé par Anne Raulin (2000), qui s’établissent dans les métropoles européennes et

34 méditerranéennes, sont une des manifestations les plus claires du processus de globalisation engagé. Les espaces investis par les migrants présentent des typologies souvent similaires : regroupement des commerces ethniques, émergence d’appropriations « signifiantes » (Ma Mung, 1999 : 111), qu’elles soient volontaires ou involontaires, réactivation du stock de logement, fréquentation des espaces publics par un ou plusieurs groupes de migrants.

Comme soulevé par de nombreux chercheurs, la relation entre migration et territoire ne peut pas être seulement analysée dans un cadre strictement local. Elle doit être considérée en liaison étroite avec le global. C’est une approche qui alimente le débat entre migrations transnationales et nouvelles territorialités et qui met l’accent sur l’importance des espaces de départ (Simon, 2008 : 13). Dans cette optique, notre problématique sur les processus d’installation suivis par la population chinoise dans l’espace athénien est vue comme étant partie prenante de la diaspora chinoise qui fait son apparition en Europe, et plus spécialement dans le sud à partir des années 1980 (Ma Mung, 2000 ; Guerassimoff-Pina, 2003 ; Rouleau-Berger, 2009).

Plus spécifiquement, pour le cas de l’immigration chinoise à Athènes, la relation entre immigration et espace ne peut pas être analysée dans un cadre strictement local, et ceci pour une raison supplémentaire : le commerce et les activités d’importation – exportation occupent une place centrale dans son organisation et impliquent une relation étroite avec la Chine, ainsi que des relations « multipolaires » avec d’autres localisations chinoises en Europe (Ma Mung, 2000). Un bon exemple sont les liens étroits qu’entretiennent les commerçants chinois d’Athènes et de Prato en Italie ; liens qui dépassent les frontières administratives d’un seul État et qui mettent en évidence les relations étroites avec le global. Ces liens peuvent être sociaux, familiaux ou économiques. Nous reviendrons sur ces diverses formes d’échanges, de « va-et-vient », entre ces deux pôles.

Selon Manuel Castells (2001, [1998]), qui utilise systématiquement ce terme pour décrire un ensemble de processus sociaux et économiques dans la globalisation actuelle, l’expansion des réseaux, soit à travers l’évolution des nouvelles technologies soit à travers la souveraineté qu’ils exercent, gagne l’« ordre mondial économique » ; un ordre qui est fondé sur des modes de gouvernance supranationaux qui impliquent, à

35 leur tour, des hiérarchies économiques nouvelles entre les États et les villes dites « globales ». Toujours selon lui, des institutions supranationales, comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’Organisation mondiale de commerce (OMC), assurent ces hiérarchies économiques.

À la suite de cette approche qui met l’accent sur le rôle des espaces de départ, c’est surtout l’existence de réseaux sociaux et de leurs configurations spatiales qui nous intéresse le plus. Malgré leur dimension a priori globale, c’est le contexte local qui différencie nettement leurs impacts sur le territoire. Michael Peter Smith (Smith, Guarnizo, 2006) souligne que l’accent doit être mis sur chaque localité en tant que « terrain multidimensionnel et historiquement ancré ». Le global dans le local se manifeste de deux manières : par le haut, top-down, à travers l’exemple d’entreprises financières ou d’investissements de capitaux qui solidifient lesdits « espaces globaux et néolibéraux », et par le bas, bottom-up, à travers les flux migratoires qui produisent également des réseaux ou territoires transnationaux qui « globalisent » le local ; les migrants restant les « acteurs invisibles » et non dominants dans ce double processus, puisque leur travail se limite souvent à l’invisibilité du secteur informel et leurs conditions de vie deviennent de plus en plus précaires. Saskia Sassen (2009) souligne cette relation paradoxale qui est à la base du système économique des villes occidentales : les capitaux et les grandes entreprises dominent les villes au niveau économique grâce à la précarité et à la flexibilité des migrants, ainsi qu’à l’ampleur du secteur informel.

Les recherches de Nina Glick-Schiller et Ayse Çaglar (2009) mettent l’accent sur les relations étroites existantes entre flux migratoires, réseaux et recompositions urbaines, dans le processus de globalisation des villes. Elles soulignent que la présence de migrants dans l’espace urbain contribue à la remise en échelle de la ville, à l’effet de rescaling. En suivant l’approche d’Eric Swyngedouw (2000) sur l’intersection entre échelles spatiales, les auteures introduisent un point de vue nouveau sur le rôle des migrants dans les villes d’accueil : les scale-makers, comme elles les nomment. Dans un article plus récent, les mêmes auteures (2013), mettent l’accent sur un aspect différent du rôle des migrants entrepreneurs dans l’espace urbain. Un aspect qui voit les migrants comme « acteurs de réhabilitation des centres-villes » ou même des quartiers défavorisés. Elles disent : « depending on the relative political, economic and

36 cultural positioning of the city and its response to the global neoliberal agenda, migrant businesses can play different roles at different times, not only in terms of the emplacement of migrants in the city, but also in terms of the efforts of the city to shape itself for competition within a global market. Migrant retail businesses may revitalize urban areas from which other entrepreneurs have withdrawn » (p. 510).

Nous reviendrons plus spécialement sur cette approche, qui voit le rôle des migrants comme particulièrement décisif dans les perspectives d’évolution de leur quartier d’installation, dans la troisième partie de notre travail. Cette approche permet de dépasser certaines dichotomies qui produisent des interprétations unilatérales des phénomènes urbains.

Au final, soulignons ici l’usage de la notion « espace » que nous utilisons dans notre travail. En adoptant a priori le constat que le « spatial est une dimension inhérente dans les rapports sociaux » (Rippol, Tissot, 2010), et qui en même temps reflète le social, nous suivons trois propositions qu’introduit Doreen Massey (2005). En premier, que l’espace est le produit de relations et de pratiques qui s’y inscrivent. Dans ce sens, il implique une simultanéité des réalités sociales. La deuxième proposition est que l’espace reflète de multiples hétérogénéités, de classe, de sexe, d’orientation politique ou d’ethnicité, et, selon la troisième proposition, il ne constitue pas une entité donnée ou déjà déterminée, mais il s’agit surtout d’un processus qui reste ouvert.

Les notions et termes utilisés dorénavant, et qui incorporent la dimension spatiale, sont basées et impliquent la simultanéité de ces trois propositions précédemment décrites. Il s’agit de l’utilisation des termes : ville, quartier, terrain d’étude et îlot urbain.

Concernant la notion de territorialité, Claude Raffestin (1977) la définit comme la « prise de procession », physique ou symbolique, par un groupe ou par un individu. Guy Di Meo (2000) ajoute que cette notion découle des rapports que personnes ou diverses collectivités entretiennent avec l’espace. Ces rapports se traduisent en pratiques, usages ou représentations exprimées. Il s’agit donc d’une notion relationnelle, ouverte et non statique.

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