Le cas grec : recherches effectuées et contexte législatif

Les premières études sur les migrants installés comme commerçants indépendants en Grèce concernent les omogenis, c’est-à-dire des migrants ou des descendants de migrants d’origine grecque, rapatriés dans les années 1990. L’ouvrage d’Ursula Apitzsch et de Maria Kontos (2008) est un des premiers à introduire cette thématique.10 Il étudie l’entreprenariat à travers une approche intergénérationnelle et porte un regard particulier sur l’insertion des femmes dans le commerce.

Par la suite, quand les courants migratoires internationaux s’intensifient, la littérature devient plus riche. Quatre articles de l’ouvrage collectif publié par Hellenic Migration Policy Institute (IMEPO) donnent une image d’ensemble des migrants entrepreneurs à

10 _{Voir également l’ouvrage de Serdedakis, Tsiolis, Tzanakis, Papaioannou, 2003 et Apitzsch, 2005. Ils}

sont issus d’un projet de recherche sur les récits de vie de femmes omogenis, originaires de l’ex-Union Soviétique.

69 Athènes. L’article de Giorgos Mauromatis (2008) en fait une catégorisation basée sur deux critères : d’une part, par rapport à la visibilité de leurs activités dans l’espace urbain, et d’autre part, par rapport à leur degré d’insertion dans les structures de l’économie nationale. Selon l’auteur, la grande majorité des commerces migrants tendent vers l’insertion dans l’économie nationale, ainsi que vers une invisibilité dans l’espace. Même si son approche spatiale reste limitée, il a le mérite d’introduire la problématique de la visibilité comme un facteur important. L’article de Maria Liapi, dans ce même ouvrage, basé sur les effets de l’entreprenariat au sein de la famille et plus spécifiquement de la deuxième génération des migrants, met le point sur les activités entrepreneuriales en tant que « solution de survie » face aux discriminations imposées par les structures socioéconomiques du pays d’accueil.

Nicolas Kolios (2003), dans son travail axé sur le capital social des migrants, s’inscrit dans cette même approche. Il examine les activités indépendantes dans le centre-ville, et particulièrement dans le quartier de Gerani, comme résultat de la ségrégation économique : il souligne l’importance de ce capital induit par la mise en place de nombreux commerces de migrants.

L’étude de Lois Lambrianidis et Panos Hatziprokopiou (2010) sur l’entreprenariat des migrants à Thessalonique est une contribution très importante en la matière (voir aussi Hatziprokopiou, 2006, 2008). Les auteurs mettent surtout l’accent sur les parcours des migrants, les motivations qui les ont conduits à l’exercice d’une activité indépendante, et les stratégies qui en découlent. Leur enquête, effectuée en 2006, concerne quatre groupes des migrants : ceux originaires de l’ex-Union Soviétique, d’Albanie, du Niger et de la Chine. Ils constatent que la majorité des migrants se lancent dans les activités indépendantes après avoir travaillé comme employés dans de nombreux secteurs du marché national. Exception notoire, les commerçants chinois, puisqu’ils se dirigent vers la Grèce dans un but précis : l’exercice d’une activité principalement commerciale.

Le point commun entre ces travaux est le constat suivant : l’entreprenariat des migrants est peu développé en Grèce. À titre indicatif, les permis de séjour pour exercer une activité économique dite « indépendante » représentent seulement 0,3 %, tandis que ceux destinés à exercer une activité économique dite « dépendante »,

70 représentent, eux, 68 %. La faible représentation de migrants dans cette première catégorie frappe encore plus si elle est mise en comparaison avec le pourcentage équivalent que nous rencontrons pour le reste de la population. Le commerce, branche importante et traditionnelle de l’économie grecque, occupe une grande partie de la population active. Il s’agit d’un des taux parmi les plus forts rencontrés en Europe.

Soulignons ici que le contexte social et législatif a joué un rôle important pour le faible développement des activités entrepreneuriales en Grèce (Tableau 3). En effet, le contexte législatif entre 1991 et 2001 est particulièrement strict. Il donne peu de possibilités de permis de séjour pour exercer une activité dite « indépendante ». Seules les entreprises mixtes, comportant au moins un Grec dans leur conseil d’administration, peuvent avoir accès à une autorisation de fonctionnement. Jusqu’en 2001, seulement 2 900 entreprises ont pu ainsi être créés dans le pays, et dans leur majorité, entre les mains de migrants d’origine albanaise (Baldwin-Edwards, n.d., : 29 – 31).

À partir de 2001, le cadre devient plus souple et moins de conditions sont requises. Or, en 2005, la loi 3386 revient à des conditions plus strictes. Elle pose, comme condition préalable à l’exercice d’une activité indépendante, les mêmes conditions que précédemment, mais avec une dimension économique à laquelle peu de migrants peuvent répondre : la nécessité de faire un dépôt de 60 000 euros. C’est un véritable obstacle pour la grande majorité des migrants.

Cette évolution du cadre législatif conditionne les premiers aspects sous lesquels prend forme l’entreprenariat des migrants, et montre qu’il s’agit d’un phénomène limité au niveau du pays. Pas à pas, il gagne du terrain dans la municipalité d’Athènes, et tout particulièrement dans son centre. Ce manque de mesures d’encouragement à l’entreprenariat des migrants reste toujours valable aujourd’hui, quoiqu’à un moindre degré par rapport à celui rencontré à ses débuts dans les années 1990. La complexité du labyrinthe administratif, à travers lequel doivent passer les migrants entrepreneurs avant l’ouverture de leur commerce, rendent leur gestion, dans un cadre légal, assez problématique (CLIP, 2007 ; Hatziprokopiou, 2008).

71 dans le centre-ville athénien, ainsi que des principaux groupes de migrants qui s’y investissent, faisons une description des recompositions que connaît le commerce de détail à Athènes dans le contexte de la crise économique.