• Aucun résultat trouvé

Evolution historique : entre facteurs endogènes et exogènes

Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Chapitre 3. Flux et destinations de la diaspora chinoise : du

3.1. Evolution historique : entre facteurs endogènes et exogènes

Les mouvements de populations qui se dirigent hors de Chine et qui alimentent la diaspora ont un long passé historique. Ils couvrent essentiellement deux périodes : la première débute fin du 19ème siècle et s’étale sur tout le 20ème, et la deuxième va des années 1980 et continue encore de nos jours. Leurs points communs sont, d’une part, les intensités produites de l’ouverture économique de la Chine vers le reste du monde, et d’autre part, l’importance des échanges commerciaux entretenus. Ces deux périodes sont influencées par des facteurs endogènes, comme la situation économique et sociale prévalant dans le monde rural des provinces et régions de départ, mais aussi exogènes. La phase contemporaine la plus décisive de cette émigration se situe au début des années 1980, quand prend forme le tournant vers un système économique dominant : le capitalisme étatique résultant des réformes engagées sous Deng Xiaoping.

3.1.1. De la fin du 19ème siècle au 20ème : les premières migrations massives

C’est durant la deuxième moitié du 19ème siècle, et surtout vers sa fin, que les départs hors de Chine prennent un caractère massif. Les principales raisons sont les guerres de l’opium et les nombreux traités signés entre l’empire de Chine et les puissances coloniales installées dans les provinces méridionales. La majorité de ces traités sont signés entre 1842 et 1860. N’oublions pas qu’à cette époque, un ensemble de régions et villes côtières du sud de la Chine sont assignées aux puissances britanniques, françaises, russes et hollandaises. La révolution de Taiping crée, elle aussi, des bouleversements économiques à l’intérieur du pays, qui alimentent, à leur tour, de nouveaux départs (Lyn, 2000).

À cette même époque, l’abolition progressive de l’esclavage – surtout en Amérique du Nord – crée de nouveaux besoins pour une main d’œuvre nombreuse et à faible coût. Les grands courants migratoires qui s’ensuivent seront « officialisés » à travers une série d’accords, dits coolie trade. Ils s’adressent principalement à une population originaire des ports marchands, qui sont sous contrôle économique des traités signés. Le port d’Amoy est un bon exemple de cette évasion massive. Les départs sont régis par des contrats à long terme. Jusqu’à la fin du siècle, ce courant migratoire comprend entre 8 et 10 millions de personnes et est surtout composé d’hommes d’âge productif.

91 Ils se dirigent principalement vers la côte Est des États-Unis et vers le Canada, vers l’Amérique du Sud (le Chili et le Pérou), vers l’océan Indien (l’Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande), ainsi que vers certains pays des Caraïbes comme la Jamaïque, la Martinique et la Guadeloupe (Ma Mung, 2000).

À la fin de ces accords et malgré le fait qu’ils donnent aux migrants la possibilité d’un retour au pays, ceux-ci sont peu nombreux à rentrer. Ils s’installent progressivement, essentiellement comme commerçants, dans les nouveaux pays d’accueil (Cohen, 2003 : 177). Pourtant, les contacts avec les régions de départ restent nombreux. Ainsi, de véritables réseaux migratoires se mettent en place, engendrant à leur tour de nouveaux départs. C’est l’apogée des migrations dites « en chaîne ».

À l’aide des puissants réseaux communautaires la migration chinoise s’accroît et acquiert les caractéristiques d’une installation permanente (Lynn, 2000 : 61). Ainsi, depuis les années 1900, aux États-Unis, nous voyons apparaître pour la première fois le terme Chinatown, un terme communément admis pour désigner ce regroupement spatial (Wong, 1982). Il est le signe le plus visible et à travers lequel cette « communauté » se met progressivement en place.

La période de 1949 à 1976 signe temporairement l’arrêt des courants migratoires traditionnels. L’établissement de la République Populaire par Mao Zhedong conduit à la réforme agraire et établit le système du permis hukou (Chan, Zhang, 1999 ; Froissart, 2013)17. Il oblige la population à avoir une résidence permanente, de préférence à la campagne, tandis que les mouvements de populations entre régions et surtout vers les grandes villes sont réglementés. À travers l’application de ce strict système de contrôles, de nouvelles injustices sociospatiales sont instaurées. Les ruraux sont conduits à rester attachés à leur terre, au moment où les infrastructures sociales périclitent. Malgré ce système de contrôles, les nettes différenciations entre campagnes et villes alimentent les aspirations à une vie meilleure, à travers l’exode rural.

17

Il s’agit d’un système d’enregistrement établit en 1958. Il divise la population selon le lieu d’origine, principalement entre « ménages ruraux » et « non ruraux ». Ce système conditionne l’accès au travail, à la santé et à l’éducation, tout en créant de fortes inégalités entre campagnes et villes. Les populations rurales travaillant dans les grandes villes acquièrent très difficilement le hukou non rural, même après de longues années de travail. Le but de ce système est de contrôler les mobilités vers les centres urbains (Chan, Zhang, 1999 ; Froissart, 2013 ; J. Zhang 2013).

92

3.1.2. Des années 1980 à nos jours : principaux facteurs de mobilité

Durant les trente dernières années, qui vont précisément de 1980 à 2010, les migrations chinoises internationales évoluent et modifient leur trajet. De caractère transocéanique et surtout nord-américain, elles se transforment en vaste courant migratoire tous azimuts et, l’Europe, en est partie prenante. Les réformes entreprises par Deng Xiaoping changent profondément leur visage et leur intensité.

Le développement à l’échelle mondiale se trouve désormais à l’épicentre de la politique économique de la Chine. C’est l’époque où, selon Castels (2001), les « nouvelles idéologies migratoires » prennent forme. Bien plus que précédemment, les portes de sortie s’ouvrent et sont mises au service d’une politique économique qui se veut principalement exportatrice, et donc globale (Harvey, 2005). Les politiques suivies font surgir des polarités accrues entre les élites économiques, principalement installées dans les centres urbains, et les nouveaux pauvres de la mondialisation, principalement installés comme ouvriers à la périphérie de ces mêmes centres urbains. La classe au pouvoir continue à composer majoritairement l’élite économique du pays. Bien entendu, la stratification sociale s’élargit, mais reste profondément échangée. Les rapports de pouvoir suivent des relations très hiérarchisées, qui vont du haut vers le bas, et en même temps, ils assurent le maintien et la reproduction de la classe dominante (Lulu, 2009 : 119 – 139). En fin de compte, l’accumulation du capital reste en faveur des élites économiques urbaines. Les inégalités sociales et économiques sont renforcées par l’intensité du commerce qu’entretien la Chine avec le reste du monde (Harvey, 2005).

Après les réformes des années 1980, une forte vague migratoire atteint les centres urbains du pays. Comme Li Zhang (2001 : 182) le note, il s’agit principalement d’une immigration massive de travail. Cette population dite « flottante » est actuellement estimée à 230 millions de personnes. Il s’agit d’une main d’œuvre flexible et non qualifiée, puisque majoritairement composée d’ouvriers agricoles et d’anciens villageois. Du fait que le système d’enregistrement des ménages hukou reste toujours en vigueur, ces migrants acquièrent très difficilement le permis de séjour nécessaire pour leur installation en ville. Lesdits mingong ou waidiren, comme sont communément définit en Chine, n’ont pas les mêmes droits ni les mêmes couvertures

93 sociales que les urbains. Ils ont droit à un permis de travail à titre temporaire.18 Quoique certains réussissent à accumuler un petit capital et créent leurs propres entreprises, majoritairement, ils ne parviennent pas à devenir travailleurs indépendants. Ils alimentent surtout la construction, la restauration ou le travail à domicile ; ces ex- ouvriers ruraux n’ont que leur force de travail à vendre. Même si cette population n’est pas homogène – puisque les différentiations de genre, d’origine et d’appartenance à des réseaux créent des parcours différenciés –, leurs perspectives d’ascension sociale sont très limitées, et les réglementations du marché les conditionnent (X. Zhang, 2013). 19

Une des possibilités offertes pour les nouveaux prolétaires des mégalopoles chinoises est l’émigration. Or, celle-ci nécessite un capital de départ important et des réseaux sociaux étendus. Elle n’est donc envisageable que pour une partie des migrants internes. Dans la plupart des cas, l’émigration transnationale devient la deuxième phase du processus de déplacement campagne – ville (Pieke, 2002 : 13).

À côté de ces clivages, les couches moyennes se renforcent (Zhou, 2008) : à titre d’exemple, le revenu annuel moyen de ces populations passe de 150 à 2 000 yuans entre 1978 et 1997 (Auguin 2009 : 5). Ce renforcement des couches moyennes favorise les mobilités vers l’Europe ou les Etats-Unis.

Ces mobilités sont le résultat d’une transition vers un nouveau capitalisme qui, tout en possédant ses propres caractéristiques, s’inscrit dans le modèle classique de passage d’une organisation sociétale traditionnelle et agraire à une organisation industrialisée (Paugam, 2008). Comme Li Zhang le souligne (2001), le passage entre socialisme et capitalisme est perçu comme un passage progressif et linéaire. Or, bien entendu, cette transition politique et économique est plus complexe et incertaine, non seulement dans le cas de Chine, mais aussi dans d’autres cas postsocialistes. Au final, les conséquences induites par ce tournant néolibéral sont visibles, tant sur la composition sociale des nouveaux migrants, que sur la participation au mouvement migratoire des nouvelles provinces de départ (Ma Mung, 2009 : 100).

18 Le premier terme provient de la combinaison des mots villageois et ouvrier et le second signifie :

personne issue d’une « autre » région ou d’une région « étrangère ».

19 Le film récent de Lixin Fan, Last train home, réalisé en 2009, donne une image très réaliste des

94

Outline

Documents relatifs