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Habitation : quartier de Nikea, B Travail : axe routier de Petrou Ralli, C Lieu de

Deuxième partie Du global au local : aspects de la diaspora chinoise en Europe et parcours divergents des migrants

Carte 9. Répartition spatiale des ressortissants chinois dans les sept arrondissements

A. Habitation : quartier de Nikea, B Travail : axe routier de Petrou Ralli, C Lieu de

sociabilité : rue Kolonou, bureau et siège de l’Association Greece Overseas

Association of Fujian Province, D. Achats alimentaires : marché ouvert d’Agisilaou.

5.3.3. Parcours « indépendants » : une situation d’entre-deux

Le troisième parcours migratoire identifié parmi les migrants chinois interviewés est suivit par des originaires des métropoles Shanghai et Beijing, ainsi que de certaines provinces du nord, comme Dongbei. Les réseaux diasporiques en place, dans ce cas, sont presque inexistants et les décisions migratoires proviennent principalement de stratégies individuelles. Le fil conducteur de ces mobilités sont les mauvaises conditions de vie prévalant au départ, ainsi que les forts espoirs pour une éventuelle « capillarité sociale ». Nous avons interviewé deux personnes de cette catégorie : M B. et M J. Avec le premier, nous avons réalisé trois entretiens, entre mars 2009 et mai 2013, quand il a décidé de rentrer en Chine. Avec le second, nous n’en avons réalisé qu’un seul.

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Entretien I. 26 (M W. 31 ans) -- avril 2013

Originaire de Fujin Propriétaire d’un garage de réparation de voitures

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181 L’exemple de M B. est caractéristique : il est arrivé en Grèce en 2002 comme étudiant d’une université privée dans laquelle il a suivi des cours pendant trois mois. Quoique son but ne fût pas tant les études, il s’y est inscrit, car c’était le seul moyen de venir en Grèce. Entre 2002 et 2005, il a changé plusieurs fois d’emploi, dans différents lieux et villes : Crète, Kos et Rhodes pendant l’été, puis Athènes et Thessalonique pendant l’hiver. Dans les îles, il travaillait comme employé dans des restaurants tenus principalement par des Grecs, et dans les villes, comme employé de commerçants chinois. Fin 2005, il s’est établi définitivement à Athènes et a suivi un parcours plus stable : employé dans un commerce de gros à Metaxourgio. Durant un premier entretien en 2009, il dit : « Quand le propriétaire est présent au magasin, il faut rester debout tout le temps. Il ne m’a pas dit de le faire, mais il faut qu’il voie que je suis motivé. Dans quelques mois, j’espère que j’aurai le poste d’employé – caissier. Mon rêve est de gagner de l’argent est de devenir propriétaire » (entretien I. 6, n°1 mars 2009). Effectivement, un an après, il occupait le poste de caissier. Le fait de montrer des capacités organisationnelles importantes et d’avoir gagné la confiance de ses employeurs lui a permis d’avoir ce poste. Il a clairement souligné que pour devenir caissier, il faut être éduqué, savoir écrire le chinois et parler un peu le grec, et avoir un minimum de connaissances en comptabilité.

Après le poste de caissier, il a travaillé dans une agence de transfert d’argent, exerçant une activité encore plus valorisante à ses yeux. En effet, ces agences sont proches des commerçants chinois en leur proposant des transactions compétitives. Il était chargé du démarchage de la clientèle, faisant du porte-à-porte chez les autres commerçants du quartier. Il devait établir des contacts amicaux suivis pour gagner leur confiance, sortir en soirée, leur offrir des repas et rendre différents services de traduction. Il a occupé ce poste pendant six mois. Par la suite, entre 2011 et 2013, il a travaillé dans un restaurant chinois, le restaurant East Pearl, qui est considéré comme le meilleur restaurant chinois d’Athènes. Il possède une clientèle prestigieuse, comme des membres d’ambassades et des employés de compagnies maritimes. Son salaire net était de 900 euros et sa sécurité sociale était régulièrement payée par son employeur.

À son arrivée, les réseaux sociaux de M B. étaient inexistants, sans intermédiaires via sa proche famille ou autres compatriotes. C’est à travers le travail qu’il a construit son propre réseau de connaissances. En même temps, grâce au fait d’avoir occupé des

182 postes qui demandaient un contact suivi avec des Grecs, il maîtrisait relativement bien la langue et connaissait les codes de communication à suivre. Nous pouvons dire que son insertion s’est effectuée dans un double sens : d’une part, dans la société d’accueil, et d’autre part, au sein des réseaux chinois déjà établis. Il reconnaissait tout de même avoir un certain malaise dû au manque de rapports sociaux suivis avec des Grecs : « en ce qui concerne le travail et les services offerts aux clients des restaurants, je peux très bien me débrouiller. De même, j’ai de bons contacts avec les Chinois, je comment ils fonctionnent, comment ils travaillent. Mais, quand le moment vient de parler aux amis grecs, je suis en grande difficulté. Je ne connais pas les blagues ou les mots d’argot qu’ils emploient entre eux » (entretien I. 6, n°2 mai 2010).

Ses perspectives professionnelles témoignent de ce double encastrement. D’une part, de vouloir s’insérer comme commerçant indépendant, et d’autre part, de trouver un travail hors du secteur chinois : « je sais comment ouvrir un commerce à Omonia : 7 000 euros pour les premiers loyers, puis 20 000 euros pour la première commande. C’est autre chose de travailler à ton compte, malgré les nombreuses heures, et autre chose de travailler pour quelqu’un d’autre ». Dans le contexte d’une troisième discussion, il nous confirmait que le seul moyen de connaître des Grecs était à travers les seules activités professionnelles : « je voudrais quitter le restaurant et trouver un travail de bureau, comme ça, je pourrais avoir un meilleur salaire et contacter des Grecs ».

Durant le troisième et dernier entretien, la question du mariage surgit. Ce sujet le préoccupait énormément, il dit : « j’ai 32 ans et c’est le moment de me marier. Mon premier choix est de me marier avec une grecque. Comme ça, je peux m’établir ici définitivement. Je ne veux pas une chinoise qui soit venue ici seulement pour travailler. Ces gens n’ont pas d’éducation, ils viennent pour l’argent, ce sont de simples migrants, [metanastes en grec]. De plus, on serait tous deux étrangers dans le pays. Quand je suis allé voir ma famille en Chine, j’ai rencontré l’amie d’une amie originaire de Shanghai. Elle habite là-bas et a un salaire. Le problème est qu’elle ne veut pas partir, elle préfère rester en Chine. Donc, la seule solution est que je rentre. Mais est-ce-que je vais pouvoir gagner un bon salaire ? Est-ce-que je vais pouvoir acheter un logement ? Ici, mon salaire est bien meilleur. Je ne veux pas rentrer, mais il faut bien y réfléchir » (entretien I. 6, n°3 novembre 2012). Finalement, six mois

183 après cet entretien, il est rentré en Chine pour se marier et s’installer aux environs de Shanghai.

Notons que M. B. ne voulait pas se marier avec une autre « migrante chinoise », comme il le décrivait. Dans un processus de construction d’une nouvelle identité sociale, il établissait une distinction entre « eux et lui ». Cette dénomination des migrants en tant que simples metanastes, sans éducation et seulement motivés par l’argent, lui a permis de se dissocier du reste de la population chinoise, de mieux marquer ses « frontières ethniques ».

Son parcours ascendant est aussi vu en rapport avec les lieux d’habitation choisis. Tandis que, dans un premier temps, il habitait avec trois autres personnes dans un petit appartement près d’Omonia, quatre ans plus tard, et au fur et à mesure que sa situation économique s’améliorait, il a pu louer un deux-pièces, un logement bien placé dans le quartier de Nea Smirni. Ses trajectoires quotidiennes confirment cette stratégie « indépendante ». Comme nous le constatons dans le Graphique 7, le quartier de Metaxourgio n’a, pour lui, qu’un rôle social et économique très limité. Il n’y entretient que très peu de rapports et il le visite uniquement pour ses restaurants et ses commerces alimentaires. De plus, il n’y entretient aucune sociabilité particulière. À l’opposé, sa quotidienneté est fortement liée à Nea Smirni. Soulignons aussi un autre détail : pour ces entretiens, il ne nous a jamais donné rendez-vous à Metaxourgio, mais dans d’autres lieux socialement plus acceptables à ses yeux : place Karitsi ou Sintagma. Le processus de construction identitaire était pour lui synonyme d’ascension sociale au sein de la société d’accueil et à laquelle il désirait fortement s’identifier.

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Graphique 7. Trajectoires quotidiennes de M B.

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