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1. PORTRAIT DE LA LITTÉRATURE SUR L’ENTREPRENARIAT COLLECTIF DANS LA

1.2. Vers une définition de l’entrepreneuriat collectif ?

1.2.1. Les travaux de Benoît Lévesque

Au Québec, le travail de Benoît Lévesque, du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), trace la voie en ce qui concerne la notion d’entrepreneuriat collectif. Dans une communication présentée récemment dans le cadre du forum « L’entrepreneurship en économie sociale : oser l’entrepreneuriat différemment », organisé en février 2002 par le Centre local de développement des Moulins et par Emploi-Québec, M. Lévesque a tenté de clarifier le concept. Tout d’abord, il mentionne que l’entrepreneurship collectif est « un phénomène incontournable au Québec et qu’on a spontanément tendance à l’oublier et surtout à ne pas le voir » (Lévesque, 2002 ; 4). À cet égard, Lévesque nous rappelle le constat de Bourque (2000) : le Québec se caractérise par une économie plurielle dont les principaux piliers sont sans doute des entreprises privées, mais également des entreprises publiques et d’économie sociale.

Par ailleurs, Lévesque appuie le travail ardu et nécessaire de la Fondation de l’entrepreneurship (soutenu financièrement par les grands acteurs de l’entrepreneurship collectif québécois tels Hydro- Québec, le mouvement Desjardins et le Fonds de Solidarité des travailleurs et travailleuses du Québec) dont l’un des objectifs est de promouvoir et soutenir les initiatives relevant de l’entrepreneuriat collectif ici au Québec. Sur le plan provincial, nous savons, bien sûr, que le gouvernement du Parti Québécois a lancé un vaste chantier de l’économie sociale en 1996 et que celui-ci a également contribué au soutien et au développement de l’entrepreneuriat collectif.

Toutes ces initiatives n’empêchent pas que le concept d’entrepreneuriat collectif demeure flou. Afin de clarifier le concept et après avoir mentionné que la littérature théorique s’intéresse beaucoup plus à la théorie des entreprises qu’à celle de « l’entrepreneuriat », Lévesque s’interroge sur les distinctions pouvant exister entre l’entrepreneuriat collectif ou social et l’entrepreneurship capitaliste traditionnel. Pour lui :

… un examen de la théorie économique classique de l'entrepreneur capitaliste (Schumpeter, Cantillon, Weber) laisse voir clairement que l'entrepreneur collectif ne se distingue pas formellement de l'entrepreneur capitaliste mais s'en distingue substantivement. Comme l'entrepreneur capitaliste, l'entrepreneur collectif doit prendre des risques calculés, innover et se donner un projet d'entreprise (point de vue formel) mais il s'en distingue par la nature des risques, des moyens dont il dispose et par le projet d'entreprise qui l'anime (point de vue substantif).

Lévesque, 2002, p.11

L’auteur note ensuite l’apparition d’une littérature théorique au sujet de « l’entrepreneur social » depuis quelques années. Cependant, il prend quelque peu ses distances avec cette notion :

Le terme d’entrepreneur social est de plus en plus utilisé dans un sens qui ne coïncide pas nécessairement avec celui d’entrepreneur collectif dans la mesure où l’entrepreneur social peut être un entrepreneur individuel soucieux des intérêts collectifs sans être par ailleurs soumis juridiquement à une association/organisation (OBNL, coopératives, conventions d’actionnaires) comme c’est le cas de l’entrepreneur collectif. Quoi qu'il en soit, l’entrepreneur social, comme l’entrepreneur collectif, porte une entreprise habituellement enracinée fortement dans la collectivité locale ou dans une organisation communautaire (Lévesque, 2002). Même si l’organisation n’est pas toujours entreprise au sens juridique et même s’il n’y a pas distribution d’excédents comme c’est le cas d’une OBNL, il y a toujours production d'un bien ou d'un service et donc la mobilisation de ressources matérielles et humaines.

Lorendahl, 19972

À ce sujet, Lévesque présente les travaux effectués en Angleterre par Stephen Thake et Simon Zadek (1996)3:

Les individus, qui travaillent à l'amélioration sociale des communautés (c.-à-d. les entrepreneurs sociaux), trouvent souvent des solutions innovatrices aux problèmes

qu'affronte leur communauté ; d'autre part, ils partagent « plusieurs

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Cité par Lévesque, 2002, p. 13.

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caractéristiques avec les entrepreneurs commerciaux ». Les entrepreneurs sociaux ont le même désir de recherche des opportunités que les entrepreneurs capitalistes, le même souci d'innovation, la même capacité de mobiliser des ressources pour transformer un rêve en réalité. Par ailleurs, ils se distingueraient clairement par leur souci pour la justice sociale. De plus, ils combineraient habituellement trois ensembles d'aptitudes qui sont souvent indépendantes : un activisme militant avec des compétences professionnelles; la capacité d'être visionnaire tout en étant pragmatique; une fibre éthique (conviction) avec une confiance tactique (sens des responsabilités).

Nos propres recherches sur le sujet, nous ont également amenés à relever l’émergence de ce type de littérature concernant l’entrepreneur social ou encore le « civic entrepreneur » comme le nomme Henton, Melville et Walesh (Grassroots Leaders for a New Economy, 1997) et Miller (1995, 1996) dans quelques ouvrages publiés aux éditions Jossey-Bass. Constatons en terminant, que nos recherches nous ont surtout permis de rencontrer ce type d’approche dans la littérature anglophone, ce qui semble aussi être le cas de Lévesque.

De plus, permettons-nous d’ajouter quelques constats au sujet de l’entrepreneur social comme le rapporte Lévesque à travers des citations de quelques auteurs. Pour Thake et Zadek, les pouvoirs publics se doivent de reconnaître la contribution sociale et économique de ces entrepreneurs. Laville (1995), de son côté, ajoute qu’une condition est nécessaire à l’émergence et à la pérennité de ce type d’entrepreneuriat : la forte implication de la communauté concernée. Pour ces auteurs, autant Thake et Zadek que Laville : Les entrepreneurs sociaux participent à l’empowerment des collectivités et à la démocratisation de la société civile4.

Cette réflexion initiale au sujet de l’entrepreneur social permet à Lévesque de mettre en contexte la réflexion qu’il amorce au sujet de l’entrepreneuriat collectif dont nous exposerons ici les grandes lignes.

Reprenant le constat de Petitclerc (2001) et de Desroches (1976), Lévesque avance que l’entrepreneur collectif, notamment celui de type coopératif et mutualiste est plutôt le grand-oncle que le cousin de l'entrepreneuriat social puisque son origine remonte au XIXe siècle. Toujours selon Lévesque :

L'entrepreneur collectif partage plusieurs des traits de l'entrepreneur social mais s'en distingue sous deux aspects : en premier lieu, l’entreprise collective suppose un fonctionnement démocratique pour donner son plein potentiel ; en deuxième lieu, la création d’une entreprise collective suppose généralement la mise sur pied préalable d’un regroupement de personnes.

Lévesque, 2002, p. 16

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Revenant sur chacun des deux aspects, Lévesque identifie plusieurs caractéristiques de l’entrepreneuriat collectif ; il développe même une typologie de l’entrepreneuriat sans toutefois proposer de définition comme telle au sujet du concept que nous étudions. Il semble, comme dans bien des cas en sciences sociales, que le concept de « l’entrepreneuriat collectif » soit tellement vaste que la caractérisation l’emporte sur la définition (Lautier, De Miras, Morice, 1991).

En ce qui concerne le fonctionnement démocratique, Lévesque note l’indispensable participation des personnes qui sont associées à l’entreprise afin d’identifier les besoins non satisfaits et les besoins peu visibles comme le sont souvent les besoins sociaux. L’auteur souligne également la construction conjointe de l’offre et de la demande par les usagers et les professionnels. En ce qui concerne le

second aspect de la distinction entre l’entrepreneuriat social et collectif, c’est-à-dire le regroupement au préalable de personnes, Lévesque cite Vienney (1980,1994) qui écrit que la structure même de l’entreprise collective se distingue de toutes les autres formes par le fait qu’elle est constituée de « la combinaison d'une entreprise et d'un groupement de personnes réunies par un double rapport de sociétariat et d'activités5. »

Par la suite, un bon nombre de caractéristiques de l’entrepreneuriat collectif est discuté par Lévesque. Citant une enquête de Côté et Robillard, il note que l’entrepreneur collectif doit être capable de mobiliser d’abord du capital social mais que celui-ci ne peut être mis complètement en valeur dans le projet d’entreprise sans capital financier (Lévesque, 2002, 18). De plus, le projet d’entreprise collective est, dans la majorité des cas, soutenu initialement par un groupe de personnes en relation à partir de la proximité géographique ou professionnelle. Une autre des caractéristiques de l’entrepreneuriat collectif soulevée par Lévesque est sa relativement longue période de gestation et la lente diffusion de son apport auprès de la communauté. L’auteur souligne aussi la forte mobilisation nécessaire lors du démarrage des initiatives. Enfin, en ce qui concerne le potentiel d’innovation de l’entreprise collective, Lévesque ajoute :

Outre l'innovation de biens nouveaux ou la création de débouchés nouveaux, on peut également retrouver des innovations dans les procédés et même dans l'organisation (ex. le travail en équipe et la polyvalence que les coopératives de travail ont expérimenté avant les entreprises capitalistes et japonaises). En somme, les entreprises collectives qui émergent sont contraintes d’être innovatrices, leur défi sera évidemment de le demeurer.

p. 19

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En conclusion, Lévesque souligne :

Par rapport aux entreprises privées, les entreprises collectives sont habituellement plus complexes puisqu’elles résultent d’une combinaison d’une entreprise et d’un regroupement de personnes. Ce faisant, elles internalisent ce que les autres entreprises considèrent comme des externalités, mais elles ne réussissent à le faire que dans la mesure où elles misent sur leur fonctionnement démocratique, ce qui leur permet également de mobiliser des ressources non seulement marchandes, mais également non marchandes et même non monétaire. Cette complexité, combinée à des difficultés spécifiques à leur structure de propriété font qu’elles ne peuvent se développer sans un soutien approprié tant du point de vue financier que de celui du conseil et des ressources techniques. En revanche, une fois démarrées, ces entreprises semblent pouvoir se maintenir en opération plus que ne le réussissent les entreprises privées. Enfin, leurs retombées socio-économiques couvrent un spectre qui dépasse la seule viabilité financière de sorte que leur rentabilité sociale s’impose en raison même de leur mission.

Lévesque, 2002, p. 23

En terminant cette section consacrée aux travaux de Benoît Lévesque, mentionnons que cet auteur s’intéresse également aux modalités de gestion appropriées pour l’entreprise collective. À ce sujet, il trace trois configurations répondant à différents types d’entreprise collective :

…la configuration professionnelle qui convient pour les services aux personnes, mais qui a l’inconvénient de tendre vers la bureaucratisation, même potentiellement décentralisée; la configuration innovatrice plus adaptée pour un secteur de haute technologie, puisqu’elle fait appel à un niveau élevé d'expertise, mais elle favorise les équipes de projets de petite taille tout en encourageant l'ajustement mutuel; la configuration missionnaire définie à partir du cas des entreprises japonaises où l'idéologie est utilisée comme instrument de gestion : "les normes et les croyances remplaçant les standards et les procédures6.

Lévesque, 2002, 25-26

Bref, sans parvenir à une définition claire et nette du concept qu’il cherche à clarifier, Lévesque parvient certainement à tracer quelques balises autour de cette notion. Avant de porter notre attention sur les travaux de David J. Connell et ainsi de pousser la réflexion un peu plus loin, nous avons cru bon d’insérer deux tableaux permettant de comparer différentes formes d’entrepreneuriat. Ces tableaux sont repris tels que présentés dans l’article de Benoît Lévesque.

Concernant la typologie de l’entrepreneuriat développé par Lévesque, nous reproduisons ici le Tableau 1 développé par ce dernier. Lévesque présente également un autre modèle développé par

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Roger Spear et Allan Thomas (1997) en ce qui concerne la comparaison entre les différents types d’entrepreneuriat. C’est le second tableau que nous proposons.

TABLEAU 1

Typologie des formes d’entrepreneuriat

DIMENSION TYPE

INDIVIDU COLLECTIF COMMUNAUTÉ

RATIONALITÉ RISQUE PROJET INNOVATION

CAPITALISME Plutôt

individu

Plutôt formel

(calcul comptable) Financier

Plutôt individu (réalisation de soi et famille) Sens Schumpeterien SOCIAL Individu Communauté Plutôt en valeur vers la communauté (proximité) Financier et social (réputation) Risque moindre Plutôt engagement social Développement local (intérêt général) Besoins non satisfaits + formes d’organisation COLLECTIF Individu Collectif Plutôt en valeur vers le collectif (membres) Financier et social (réputation) Risque moindre Plutôt entrepreneurial mais collectif Besoins non satisfaits + formes d’organisation

TABLEAU 2 Spear et Thomas 1997

Source : Spear et Thomas 1997

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