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Les nouveaux champs de l’entrepreneuriat collectif

1. PORTRAIT DE LA LITTÉRATURE SUR L’ENTREPRENARIAT COLLECTIF DANS LA

1.4. Enjeux et trajectoire de l’entrepreneuriat collectif

1.4.3. Les nouveaux champs de l’entrepreneuriat collectif

Nous avons maintes fois souligné dans ce texte le retard du milieu de la recherche sur celui de la pratique en ce qui concerne la thématique que nous étudions. S’il y a un champ où cette affirmation doit être assouplie, c’est certainement celui de l’étude des horizons nouveaux qui se dressent pour les différents acteurs de l’économie sociale et solidaire dans la nouvelle économie en plein essor. Nombreux sont les auteurs ou organisations qui traitent de cette question. Cette section traitera donc spécifiquement de ces nouvelles possibilités à travers la littérature produite par ces derniers.

Cette section se veut donc complémentaire au portrait de la situation sur le terrain présenté en annexe à travers la description d’une trentaine d’initiatives dans des domaines aussi diversifiés que la conception d’appareils médicaux de haute technologie (Benetech) et la diffusion de contenu informatif destiné aux organismes communautaires (Tour d’y voir). Nous nous intéresserons premièrement à la littérature produite par des organisations et des spécialistes du secteur coopératif.

Dans un contexte de privatisation des services et de réduction de l’implication directe de l’État dans la prestation de services d’intérêt général, Gabriele Ullrich (1998) souligne le rôle important que peut jouer le secteur des coopératives, notamment dans la provision de soins de santé et de services sociaux. De plus, elle souligne, plus particulièrement, le rôle que pourraient jouer des coopératives en ce qui concerne la distribution sous contrôle démocratique des ressources en eau. Ullrich croit que les coopératives peuvent aussi jouer un rôle important dans la prestation de services de télécommunication, toujours en s’assurant de respecter les principes propres au secteur des coopératives (continuité, égalité d’accès, universalité). Elle ajoute aussi la nécessité de repenser la formule coopérative en facilitant l’apparition de coopératives à sociétariat multiple.

Quant à lui, José Luis Monzon Campos souligne que :

Les processus de tertiarisation et de décentralisation de la production, l’accélération des changements technologiques, et les modifications de stratégie, de la structure et de la gestion des entreprises, ont créé des nouveaux champs d’activité efficaces pour des entreprises intensives en technologie et en marketing. Les coopératives de production avec des travailleurs hautement qualifiés, une bonne capacité de gestion et un produit spécialisé peuvent se développer et croître dans les prochaines décades.

Monzon Campos, 1997, 99

Pour Thordarson (1998), l’émergence de la nouvelle économie doit inciter le milieu coopératif à investir, sinon renforcer leur position, dans le champ de la production d’information (« de contenu » diront les gourous des NTIC) ainsi que dans la réduction de la fracture numérique qui fait rapidement son apparition. Pour sa part, Elizabeth Mattson, dans un texte publié en 1998, trace un inventaire des coopératives ayant fait récemment leur apparition un peu partout en Europe. Elle y note le dynamisme des coopératives dites « sociales » et l’apparition de coopératives d’utilisation collective de matériel agricole14

, de coopératives de consommation et de production dans le champ du commerce équitable, d’initiative de type coopératif dans le domaine du financement éthique, de coopératives à buts multiples et à multisociétariat (tout comme le mentionne Ullrich), de coopératives scolaires (formation continue), de nouveaux modèles de coopérative de travailleurs dont des coopératives d’insertion et des coopératives de travailleurs hautement qualifiés. De leur côté, Carlo Borzaga et Alceste Santuari discutent, dans un ouvrage intitulé « Social Enterprises and New Employment in Europe », des perspectives concernant l’évolution de l’économie sociale en Europe, pays par pays, à l’aube de l’an 2000. Cet ouvrage s’avère une source particulièrement éclairante d’information en ce qui concerne le développement et la trajectoire différenciée de l’économie solidaire dans les pays membres de l’Union européenne.

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Nous avons également pu constater, dans le contexte de la rarification de semences traditionnelles au profit des semences génétiquement modifiées et proposées par les grands groupes de l’industrie agroalimentaire typique du nouvel environnement économique, l’essor d’un nouveau type de coopérative. Celles-ci ont vu le jour dans plusieurs pays, notamment ceux du Sud, afin d’assurer la disponibilité de semences traditionnelles, ce qui permet de protéger la biodiversité contre l’invasion de monocultures destructrice de l’environnement.

Pour le Secrétariat aux coopératives du gouvernement canadien, la mondialisation des économies et l’apparition des nouvelles technologies, particulièrement en ce qui concerne le traitement et la diffusion de l’information, combinées au désengagement de l’État dans de nombreux secteurs de l’économie, pave la voie à l’essor des coopératives dans les secteurs des soins de santé, de l’environnement, du logement abordable et de l’emploi (coopérative d’activités).

D’autre part, dans la conclusion qu’il dresse d’un atelier consacré aux instruments pour le développement des coopératives (lors du Colloque sur l’entrepreneuriat coopératif dans l’Europe de l’an 2000), que nous avons déjà cité (1998), Monzon Campos fait une distinction particulièrement intéressante quant à l’évolution possible du secteur coopératif au cours du prochain siècle :

Par ailleurs, l’apparition de nouveaux besoins sociaux et l’impact des technologies innovantes sur le système de production ont donné lieu au développement d’un secteur de plus en plus important de nouvelles coopératives. Au sein de ces nouvelles coopératives, il faut distinguer un groupe de petites et moyennes coopératives intensives en matière de technologie produisant des biens privés sur des marchés compétitifs et un autre groupe développant des activités d’intérêt général sur des marchés très régulés et de préférence, en collaboration avec des organisations non lucratives, publiques et privées.

Ce constat complète donc le portrait que permet de tracer l’ensemble de la littérature provenant du secteur coopératif que nous avons pu consulter. Par ailleurs, il nous rappelle gentiment à l’ordre et souligne la nécessité de bien faire attention avant d’inciter le secteur coopératif sur l’une ou l’autre des voies suggérées par les nombreux auteurs dont nous venons d’exposer les recommandations. Il est évident que chaque coopérative possède son identité propre et le constat de Monzon Campos souligne donc la nécessité de réfléchir sur la mission spécifique à chacune d’entre elles avant de se lancer vers des horizons inconnus.

De façon plus vaste, certains auteurs se sont également intéressés sur les possibilités offertes par le nouvel environnement économique en mettant toutefois l’ensemble de l’économie sociale au centre de leur interrogation. Pour ce volet, la littérature que nous avons pu retracer provient essentiellement du continent européen. Il semble que du côté québécois et canadien, la littérature est plus rare à ce sujet, sinon inexistante (à part, bien sûr, la littérature produite directement par les entreprises d’économie sociale et les coopératives).

Le colloque « Osons l’entrepreneuriat collectif » organisé à Paris en 2001 par le Centre des jeunes dirigeants et des acteurs de l’économie sociale (CJDES) est une source particulièrement éclairante quant aux nouveaux défis et enjeux de l’entrepreneuriat collectif dans la nouvelle économie. Une brève présentation des actes de quelques-uns de ses panels de discussion nous apparaît appropriée dans le cadre de cette recension d’écrits.

Le premier atelier consacré à la question du temps est intitulé : « Temps libéré, temps citoyen, nouveaux usages de consommation : des champs à explorer pour l’économie sociale ». On s’y

interroge sur le rôle que pourraient jouer les entreprises de l’économie sociale sur la réduction du temps de travail et sur une flexibilisation « citoyenne » des horaires de travail. Ces enjeux sont importants et l’économie sociale doit assumer un leadership dans ce domaine tout en insistant sur les dangers de la flexibilité. « Une telle structuration pourrait avoir des effets pervers. La protection des salariés doit suivre ces évolutions », soulignait d’ailleurs un des participants au colloque. On suggère également la mise en place de nouveaux partenariats novateurs avec l’entreprise privée afin de favoriser la pluri-activité; une entreprise privée pouvant par exemple libérer du temps à un de ses employés pour lui permettre de se dégager du temps dans le domaine associatif, un soutien de l’État pourrait également faciliter ce processus en partageant une partie des coûts de ces partenariats.

Le second atelier s’intéresse à la question des services aux personnes, aux emplois de proximité ainsi qu’aux nouveaux besoins collectifs et souligne que :

Dans une société marquée par l'allongement de la durée de vie, la généralisation du travail des femmes, l’éclatement de la famille, la solitude des personnes « hors circuit social », la recherche d'aide et de services de qualité, constitueront, de plus en plus, le cœur de la demande sociale : l’économie sociale n'est-elle pas la mieux placée pour y répondre ?

CJDES, 2001, Acte de l’atelier 2

Devant un tel constat, il faut donc s’attendre à un nouvel essor des entreprises d’économie sociale dans la prestation de services de proximité; ceux-ci étant destinés à prendre de l’ampleur au fur et à mesure que le nouvel environnement économique est appelé à prendre plus de place. La « Conférence européenne sur les perspectives de l’économie sociale dans le cadre du développement durable » (2001) s’intéresse également fortement à la question des services de proximité.

Le troisième atelier s’est intéressé à la question des flux financiers et s’interroge sur la nécessité de penser la richesse autrement. Il s’agit là d’un autre terrain où l’économie sociale est appelée à s’engager. Le recours à des pratiques telle que la création d’une monnaie sociale comme mode d’échange et de rémunération, comme le propose M. Poulnot associé au projet SOL, la mise en place de fonds éthique ou encore l’épargne solidaire se veulent des exemples bien concrets de ce qui est possible de mettre en marche collectivement en s’appropriant les nouvelles technologies. Du point de vue de la recherche, on souligne également l’importance pour les entreprises d’économie sociale de participer à des démarches cherchant à implanter le « bilan sociétal » ou à développer de nouveaux indicateurs économiques plus significatifs. Voilà donc pour cette brève présentation de quelques thèmes abordés lors du colloque organisé par le CJDES.

Nous avons déjà (section 1.2.1.) largement discuté du rapport intitulé « L’économie sociale face au 21e siècle » et présenté par Thierry Jeantet au secrétaire d’État français à l’économie solidaire. Sans s’étirer indûment sur ce rapport, il nous paraît nécessaire d’ajouter ici un certain nombre de propositions de cet auteur en ce qui concerne les nouveaux champs d’action pour l’économie sociale au tournant du millénaire.

Comme nous l’avons déjà souligné, le rapporteur suggère fortement que l’économie sociale investisse les secteurs des communications et de la culture. Il propose à cet effet l’instauration de télévision- citoyenne, de coopératives d’accès à Internet ainsi que d’autres initiatives relevant de ces secteurs de pointe de la nouvelle économie.

Jeantet, également associé de près aux travaux du CJDES, partage une bonne partie des suggestions présentées lors du colloque dont nous venons de discuter. Il insiste sur la nécessité et les possibilités nouvelles de « maîtriser » le temps de travail, sur la nécessité d’implanter le bilan sociétal, dans l’économie sociale d’abord afin d’amener, par la suite, l’industrie sur cette voie ainsi que sur la facilitation de la pluri-activité, nouvelle forme d’organisation du travail découlant de l’essor de la nouvelle économie.

Dans le domaine des télécommunications et des biotechnologies notamment, Jeantet propose de faciliter l’émergence de nouvelles formes de coopératives d’activités permettant aux travailleurs de la nouvelle économie de conjuguer le caractère hautement technologique de leur travail à des visées socialement utiles.

Voilà donc pour un portrait, somme toute, très sommaire des enjeux et trajectoires ainsi que des nouveaux champs d’activités de l’entrepreneuriat collectif dans la nouvelle économie. Afin de mieux saisir comment se traduisent ces intentions, recommandations et autres discussions dans le milieu de la pratique, nous invitons, encore une fois, le lecteur à parcourir la liste des initiatives proposées dans l’Annexe 1 de ce document.

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