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2. ENTREPRISES COLLECTIVES DE REVITALISATION TERRITORIALE ET « NOUVELLE

2.4. Synthèse

L’économie sociale se présente comme un projet visant à perpétuer la vie sous toutes ses formes et à réduire les déchirements qui résultent d’une économie en changement incessant. L’État n’ayant plus l’initiative d’investir ni même de redistribuer des richesses, les communautés locales entreprennent de se prendre en charge. Les sites abandonnés peuvent garder leurs populations, qui pourront revivre une autre expérience collective. Dans bien des cas, ces populations se réapproprient leur site grâce à d’énergiques actions novatrices animées par des acteurs de la société civile, soucieux de maintenir une vie économique et sociale dans leur quartier. Grâce à une canalisation judicieuse des énergies, les animateurs des entreprises collectives de revitalisation entendent apporter des solutions originales aux problèmes de l’urbanisation, peu coûteuses, acceptées par la population et ne comportant pas de risque de déviance comme les anciennes cités ouvrières « ghettoïsées » ou les villes nouvelles sans âme.

Les objectifs de l’entreprise collective de revitalisation ne sont pas de se substituer aux organisations relevant de l’économie libérale. Elle se présente certes comme un contre modèle. Elle n’investit pas les mêmes terrains et n’a pas le même credo. Entreprise de «réhabilitation» par excellence, elle s’empare des domaines sociaux et des territoires abandonnés par l’économie dite compétitive. Son ambition est d’abord de redonner vie, de «revitaliser» des territoires. Territoires et populations marginalisés constituent donc originellement ses lieux de prédilection d’intervention.

Le projet de l'entreprise collective de revitalisation dispose bel et bien d'un soubassement philosophique, voire idéologique qui lui confère une identité et un itinéraire particuliers. À défaut d’entrer en compétition avec les entreprises libérales – la notion de compétition ne guide pas son action – elle évolue en parallèle ou plutôt en autonomie, et tente d’explorer de nouvelles potentialités créatrices des populations marginalisées, de leur permettre de s’exprimer et de se prendre en charge. L'entreprise collective de revitalisation fédère les principes de l’économie sociale et du développement durable. Ce caractère multidimensionnel la fait paraître comme une synthèse des nombreuses actions relevant de l'économie non-libérale apparues ou réapparues durant ces deux dernières décennies. S’adressant tant aux besoins du marché qu’à ceux des citoyens, elle ne s’identifie ni à l’économie étatique, ni à l’économie privée; se présentant comme une autre manière de créer et de distribuer des richesses.

Conçue à travers des espaces publics ou mixtes (la dichotomie public-privé s’efface lorsque le social transcende le juridique), organisée en réseaux de proximité, l’entreprise collective de revitalisation tient finalement autant du marché que de l’engagement collectif de ses acteurs. S’enracinant dans le terroir, elle prétend à l’universalité; tout en s’enracinant dans le passé, elle a son regard tourné vers le futur. Cette « ambiguïté » apparente suscite incontestablement l’intérêt du chercheur, habitué à l’univers unidirectionnel des entreprises traditionnelles : le social ou le profit, le public ou le privé, le local ou l’universel, le passé ou l’avenir.

L'entreprise collective de revitalisation tente de s’amarrer à l’économie du savoir en lui conférant de nouveaux usages sociaux et environnementaux. Cette réappropriation intervient à travers un déploiement d’innovations sociales touchant les modes d’organisation et de gestion, l’action collective, le tissu relationnel, les réseaux d’échange et de partenariat, l’interdisciplinarité. La densité des relations entre les entreprises sociales et les universités appelle à envisager le lancement de programmes de recherche et développement élaborés en partenariat avec les réseaux associatifs qui les animent. Dans l’économie du savoir, vers laquelle s’oriente l’entreprise collective de revitalisation, les frontières entre les scientifiques et les autres professions tendent à disparaître. Il est difficile d’être acteur de l’économie du savoir si l’on n’a pas la maîtrise des concepts et des savoirs que l´on compte instrumentaliser pour atteindre ses objectifs.

Il apparaît clairement que les entreprises collectives de revitalisation constituent une expérience à double appartenance. Tout en revendiquant un idéal de solidarité sociale, elles se réclament de la nouvelle économie. La solidarité sociale qu’elles mettent de l’avant est cependant moins une morale qu’un instrument de performance économique. Ciment de l’action collective, la synergie qui s’en dégage constitue une force créatrice décisive dans la nouvelle économie du savoir. C’est précisément en cela que l’entreprise collective se distingue des actions d’insertion sociale et, de manière générale, des entreprises publiques traditionnelles. C’est aussi ce qui explique la crainte de certains acteurs de voir leurs initiatives récupérées au profit de « politiques publiques » qui iraient privilégier les institutions au détriment des acteurs, leur faisant ainsi courir le risque de perdre leur spécificité locale.

L’entreprise collective s’inscrit également dans le sillage des nouvelles théories de la science économique, particulièrement celles qui ont trait à l’évaluation et au calcul des coûts. En intégrant des préoccupations liées aux coûts de l’environnement humain et naturel, l’entreprise sociale corrobore pratiquement ce que l’éco-économie propose théoriquement : à savoir que les calculs des coûts de tout projet économique doit tenir compte de ceux liés aux conséquences de la production, en plus des facteurs de production.

L’intérêt d’engager un travail d’investigation plus approfondi autour de cette entité économique est multiple. Il se trouve d’abord dans une contribution à la redéfinition conceptuelle du concept de reconversion industrielle. Les entreprises collectives de revitalisation mettent en scène des façons différentes de procéder à une reconversion territoriale des acticité socio-économiques.

L’entreprise collective de revitalisation est certes née des décombres de la vieille économie : ceci marque sa priorité et sa raison d’être avant tout une entreprise d’insertion sociale, de mobilisation des intelligences humaines. En s’intégrant à l’économie du savoir, elle s’affiche en tant que projet global intégrant les dimensions sociales, mais aussi économiques, culturelles et politiques. Son étude appelle donc la construction d’une problématique qui dépasse le cadre étroit d’une simple évaluation en termes de réhabilitation de sites industriels. Ceci pourrait être le point fort de cette recherche exploratoire, montrer en quoi l’entreprise collective de revitalisation peut dépasser le cadre de l’économie solidaire et coopérative pour se présenter comme un projet d’économie qui tire sa compétitivité de sa capacité à mobiliser autrement et plus efficacement les ressources et les intelligences disponibles. Une telle démarche oblige à passer par une meilleure connaissance empirique de ce type d’initiative, actuellement très diversifiée.

Réfléchir sur l'entreprise collective de revitalisation suscite de multiples questionnements.

Le premier axe de réflexion est de définir la nature des acteurs et des dynamiques sociales qui l'animent, à commencer par ses initiateurs, leur profil social, leur itinéraire professionnel, leurs rapports à l’État, à la science dont ils font un élément essentiel de la dynamique de l’entreprise collective de revitalisation.

Ces acteurs inscrivent-ils leurs actions dans le cadre d’un projet global de développement et, si oui, quels en sont les différents aspects ?

Il serait sans doute très intéressant de cerner cette composante sociologique dans sa diversité, les liens qui font interagir ses membres ainsi que leurs motivations profondes.

Le deuxième axe de réflexion consiste à définir ses domaines d’innovation, tant au plan économique (conception et rôle du profit, des coûts et de l’investissement), professionnel (styles de management, profils de compétences et de qualifications privilégiés, hiérarchie, communication interne, relations

professionnelles, organisation du travail), relationnel (rapports à la clientèle, mode de communication avec l’environnement).

Cet axe se pencherait sur les pratiques de gestion qui caractérisent l’entreprise collective de revitalisation et sur la vérification de son efficacité économique et sociale. Il faudrait la situer par rapport au grand mouvement de renouvellement managérial en cours dans les entreprises relevant du champ de l’économie du savoir et à voir dans quelle mesure elle l’inspire ou s'en inspire. S’agit-il d’une convergence ou d’une influence et, dans les deux cas, quels sont les facteurs qui en sont à l’origine ?

Le troisième axe consiste à identifier ses rapports à l’économie du savoir. L'économie du savoir connaît, dans sa version néo-libérale, ces dernières années de gros efforts de théorisation qui ont conduit à des discussions intenses entre partisans et adversaires de ses thèses22. Il serait intéressant de

se pencher sur le projet global que constitue le développement de l’économie du savoir tel qu’il est vu par les animateurs de l’entreprise sociale, une vision à l'évidence bien différente de celle qui fait de la science un simple instrument de compétitivité économique. Cette vision et les pratiques auxquelles elle a donné lieu pourraient bien représenter un nouveau paradigme d'articulations entre science, société et développement. Par ailleurs, connaître l'usage et la place de la science pourrait être aussi important pour définir l'entreprise sociale, dont l’entreprise collective de revitalisation, pour la distinguer de l’économie du savoir non collectivisée.

Le quatrième axe de réflexion a trait au rapport à l'État. Le développement de l’entreprise collective de revitalisation en appelle de nouveaux modes d’articulation entre la société civile et l’État, entre l’homme et son environnement. L’entreprise collective de revitalisation voudrait certes s’inscrire dans des « politiques », dans la politique de la ville, dans la politique de lutte contre l’exclusion, mais sans pour autant être réduite à cela, étant une entité qui inscrit son action dans la durée, et non un dispositif de réinsertion ou de redistribution lié à une conjoncture. 2.5.

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2.5. Bibliographie

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