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6. DÉVELOPPEMENT COOPÉRATIF DANS UN CONTEXTE DE TRANSITION ÉCONOMIQUE

6.1. L’économie vietnamienne

6.1.1. L’instauration du Doi Moi

Le Vietnam a connu des temps difficiles. En effet, le pays fut déchiré par d’importantes guerres, soit la Guerre d’Indochine qui fut suivie de près par la guerre du Vietnam. Ces guerres ont contribué à mettre à mal l’économie du pays. À la fin des années 1960, l’économie vietnamienne fait face à des difficultés importantes telles que l’inertie et l’inefficacité dans ses activités économiques. Des initiatives sont mises de l’avant en 1979 par le Parti communiste. Intégrant certains mécanismes de l’économie de marché tels que les prix négociés et les contrats, ces initiatives s’inspirent des expérimentations et des recherches menées dans les coopératives agricoles, les entreprises industrielles d’État et les unités commerciales. C’est ainsi qu’en 1986, le Parti communiste vietnamien instaure une restructuration économique, le Doi Moi, fondée sur un nouveau modèle et ayant pour but de passer d’une économie planifiée et centralisée vers une économie de libre marché :

Ainsi, le dôi moi est une solution née des demandes impérieuses de l’économie nationale, il est le résultat de la combinaison entre les initiatives des masses et la rénovation de la pensée de l’appareil dirigeant. Historiquement, il fut un produit vietnamien - avec ses réussites et ses faiblesses, il ne copiait aucun modèle de l’époque.

Lê Dang Doanh, 2001, p. 147

La politique du Doi Moi visait à développer les ressources nationales et à renforcer les composantes économiques dans un nouveau cadre législatif tout en répondant aux mécanismes de l’économie de marché. Grâce à cette réforme, le Vietnam a pu surmonter la crise économique, juguler l’inflation, briser l’encerclement de l’embargo économique et s’intégrer à l’économie mondiale, réalisant ainsi une importante croissance économique. Différents facteurs, tels que le passage à une économie de marché, la libération des forces de production nationales, l’élaboration d’un nouveau cadre juridique et législatif conforme au mécanisme de marché, la mise en pratique de la politique d’ouverture et la diversification des rapports économiques et commerciaux avec différents pays et organisations

mondiales, ont contribué à donner un nouvel essor à l’économie vietnamienne en lui permettant d’entrer dans une nouvelle phase de développement, d’industrialisation et de modernisation.

En 2002, la croissance du PIB du Vietnam était estimée à 7 %, amenant ce dernier à 536 098 milliards de dongs vietnamiens, soit environ 35 milliards en dollars américains. Le PIB par habitant est alors de 439 dollars américains. Cette croissance du PIB est essentiellement portée par les secteurs de l’industrie et de la construction, suivie de près par le secteur des services. Quant à l’agriculture, la sylviculture et la pêche, elles ne représentent plus que 23 % de la richesse du pays bien que le Vietnam constitue l’un des premiers pays exportateurs de riz sur le plan mondial.

De façon générale, la nouvelle croissance économique du Vietnam aurait contribué à améliorer les conditions de vie des habitants :

The 1990s saw the continuing integration of Vietnam into the global economy, with further liberalisation of its trade regime and increasing access to world markets. At the same time, poverty in Vietnam saw a substantial decline, with the numbers of people in poverty failing from 58.1 % of the population in 1992-93 to 37.4 % in 1997 98.

Thoburn et Jones, 2002, p. 1

Se basant sur des indicateurs strictement économiques, un rapport récent des Nations Unies sur la situation socio-économique au Vietnam53

estime que les conditions sociales et économiques de ce pays se seraient considérablement améliorées depuis 1986. De même, selon un rapport54

d’un groupe consultatif de travail s’intéressant au phénomène de la pauvreté au Vietnam, cette dernière aurait diminué entre 1993 et 1998. Cette affirmation s’appuie sur l’augmentation des dépenses par individu, une élévation des unités de mesure des indicateurs sociaux et la perception des ménages pauvres quant à l’amélioration de leur bien-être général au cours de ces cinq années.

Cependant, les avis sont partagés quant aux effets de la nouvelle politique vietnamienne de Rénovation (Doi Moi). Selon le rapport du Centre national de recherches pour le développement international (CRDI) de 199755, suite à la restructuration économique, aux coupures dans les services

sociaux et à la privatisation d’entreprises publiques qui accompagnent les politiques d’ouverture à l’économie mondiale, les conditions de vie de millions de vietnamiens qui dépendaient de l’État ou d’employés d’entreprises publiques auraient décliné depuis 1986. Les bénéfices que peut procurer l’insertion dans l’économie de marché à certaines classes sociales s’obtiendraient, en fait, aux dépens des groupes les plus pauvres de la société, autant dans les régions urbaines que rurales, aggravant ainsi l’écart entre les riches et les pauvres, creusant de ce fait les disparités sociales (Lavoie, 2002).

53

Nations Unies au Vietnam (1999), Looking Ahead. A Common Country Assessment, Hanoi

54

Consultative Group Meeting for Vietnam (1999), Attacking Poverty. Vietnam Development Report 2000, Vietnam

55

En effet, on note des disparités sociales de plus en plus grandes au sein de la population. Par exemple, en milieu rural on observe un sous-emploi endémique, un faible niveau de scolarisation, un accès limité à l’information, un réseau routier précaire ainsi que des conditions sanitaires déficientes comparé aux régions urbaines (World Bank, 2001). De plus, le peu de diversification des activités économiques et le manque de terres cultivables en milieu rural ainsi que la concentration des investissements privés dans les grandes villes créent d’importantes inégalités sociales et économiques entre les milieux ruraux et urbains en formant d’importantes poches de pauvreté en milieu rural. Ainsi, la population pauvre du Vietnam est principalement constituée de familles, souvent nombreuses, d’agriculteurs vivant en milieu rural possédant un faible niveau d’instruction et un accès limité à l’information et à l’éducation.

Observant les impacts des traités de développement économique sur la redistribution des revenus au Vietnam, Pham Lan Huong (2001) ⎯ économiste de l'Institut de gestion économique du Vietnam ⎯ note cette augmentation des disparités de revenus entre les régions urbaines et rurales. Une étude réalisée par le UK Department for International Development explique majoritairement ces disparités par des facteurs socio-économiques tels que la géographie (régions reculées, réseau routier déficient), l’origine ethnique, la taille des ménages, etc. (Thoburn et Jones, 2002, p. 1). Toutefois, selon Pham Lan Huong, le retrait progressif de l'État d'un certain nombre de secteurs de services aurait aussi quelque chose à voir avec cette tendance (Ullrich, 2001). Et cela semble particulièrement inquiétant dans un contexte où le retrait étatique n’est que partiellement pallié, en milieu rural, par les investissements privés. En effet, ces derniers sont malheureusement fortement concentrés dans les grandes villes du Vietnam, et ce depuis le début du Doi Moi56

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6.1.2. Les défis d’une économie de marché dans un système socialiste

Nguyen Dang Thanh, politicologue et vice-recteur de l’Institut des sciences politiques à Hanoï, explique que dans la plupart des sociétés, l’intervention du politique dans l’économie a pour but de l’organiser et de la réguler afin qu’elle profite à la classe dirigeante :

Dans une économie moderne, les formes et les contenus des relations économiques de base sont multiples et mélangent de nombreux secteurs, forces économiques, modèles de gestion et de distribution. (…) dans leur essence propre, ces formes d’organisation et ces relations économiques qui semblent être « au delà des classes » et « apolitiques » sont précisément les produits de décisions politiques en matière économique. L’ordre de ces relations est appelé à devenir un mécanisme utile au maintien et à la protection des intérêts de la classe gouvernante et de son groupe social.

Lê Dang Doanh, 2001, p. 162

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Au Vietnam, le leadership politique se manifeste dans la mise en place d’une économie de marché dans le cadre d’un système socialiste. Nguyen Dang Thanh explique que cette dernière exigence amène de nombreuses contradictions et pose d’importants défis que l’Unesco résume en ces termes (Lê Dang Doanh, 2001) :

89. Croissance économique et pénurie d’emplois ;

90. Croissance économique et fossé entre riches et pauvres ;

91. Croissance économique et manque réel de démocratie ;

92. Croissance économique et perte d’identité culturelle ;

93. Croissance économique et fardeau transmis aux générations futures.

Ainsi, bien que la politique de Rénovation ait grandement participé à la réussite de l’intégration du Vietnam à l’économie mondiale et contribué à sa croissance économique, les bénéfices de ce nouvel essor économique seraient en fait inégalitairement répartis au sein de la population créant ainsi de nouveaux problèmes sociaux telles que les disparités sociales avec, entre autres, la création d’une classe bourgeoise et l’appauvrissement en milieu rural. Face à ces défis de taille et à des problèmes sociaux grandissants, des solutions originales, puisqu’adaptées à un contexte particulier, doivent être trouvées.

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