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Les difficultés rencontrées par les coopératives de Thai Nguyen

6. DÉVELOPPEMENT COOPÉRATIF DANS UN CONTEXTE DE TRANSITION ÉCONOMIQUE

6.4. Les difficultés rencontrées par les coopératives de Thai Nguyen

Comme nous le mentionnons dans cette section, nombreuses sont les difficultés rencontrées par les coopératives, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le modèle de coopérative tel que nous le connaissons est plutôt récent au Vietnam. En effet, la loi sur les coopératives « nouveau modèle » ne

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À ce propos, voir l’annexe 3 dans laquelle nous décrivons brièvement ce qu’est le réseau du commerce équitable, ses avantages pour les petits producteurs ainsi que ces limitations actuelles.

date que de 1997. Dès lors, il règne encore de nos jours une confusion certaine entre l’ancien et le nouveau modèle. D’autre part, le marché du thé est un marché bien gardé au Vietnam et faire sa place demande bien des efforts et des ressources physiques et financières. Finalement, l'accès difficile au crédit ainsi que le manque de solidarité en partie créé par l'appât du gain dans un contexte de libéralisation des marchés pose des sérieux problèmes.

6.4.1. L'ancien modèle de coopérative

Bien que le mouvement de collectivisation forcée des terres ait donné de bons résultats dans les années de guerre avec les États-Unis, les coopératives agricoles établies par l'État sont devenues de plus en plus impopulaires dans les années 1980. Les gens étaient forcés d'adhérer à ces coopératives et ils n'en tiraient aucun bénéfice direct, à l'exception d'une contribution à l’essor de la nation65

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Bien que de nos jours, il demeure très peu de ce type de coopératives au Vietnam, la plupart des fermiers en gardent un souvenir plutôt amer. Et ce souvenir entraîne une réticence certaine à adhérer à une coopérative de nos jours, bien que le modèle proposé soit tout à fait différent. Ainsi, le développement de nouvelles coopératives au Vietnam se traduit d'abord et avant tout par un travail sur les mentalités des éventuels membres.

En effet, cela prit plus de deux ans à l'équipe du MEPP pour convaincre les producteurs de thé de la province de Thai Nguyen de tenter l'expérience coopérative. Mais une fois les coopératives établies, les fermiers ont rapidement vu les avantages d'adhérer à une telle entreprise. Le fait que l'État se retire du secteur agricole fait en sorte que les producteurs sont à la recherche d'organisations offrant des produits (engrais, plants de thé, pesticide) et des services (points de vente, marketing) dont ils ont besoin. Bien que les grandes multinationales soient déjà au Vietnam et offrent des produits et des services aux fermiers, ces derniers doivent payer le gros prix pour les obtenir. Les produits et les services réalisés par les coopératives sont offerts à moindre coût et les bénéfices sont retournés aux membres sous forme de ristourne. Toutefois, avant que les producteurs s'en rendent compte et acceptent l'idée de joindre une coopérative, cela nécessite de nombreuses campagnes de sensibilisation et d'information visant à expliquer la nature du « nouveau modèle », ce qui représente un obstacle majeur au développement coopératif au Vietnam.

6.4.2. Le marché du thé, un marché bien gardé

La partie est loin d'être gagnée pour les coopératives de thé vert de Thai Nguyen. En effet, au Vietnam, l'État contrôle encore la plupart des entreprises de transformation du thé et celles qui ne lui

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Voir Report on the Workshop on Strategy for Cooperative Development in Vietnam (1995) et Review of Coop Laws in Vietnam (1997) publiés par l' International Co-operative Association.

appartiennent pas sont la propriété de multinationales comme Lipton ou Dilmah. Environ 90 % des points de vente et des boutiques de consommation de café appartiennent aux multinationales et à l'État. D'autre part, une seule compagnie réalise 95 % des exportations de thé. Il s'agit de Vinatea, une entreprise étatique. C'est dire que la transformation, la vente et l'exportation, soit les étapes les plus profitables dans le domaine du commerce du thé comme dans bien d'autres, sont pour l'heure majoritairement contrôlées par l'État ou bien par des multinationales (Filiatrault et Spiegleman, 2002).

Dès lors, pour espérer trouver un marché pour leur thé, les petits producteurs regroupés en coopératives doivent miser sur la particularité de leur produit (thé vert de Thai Nguyen séché de manière traditionnelle) et sur la qualité de ce dernier (utilisation extrêmement réduite d'engrais et de pesticides, fraîcheur, etc.) C'est en misant sur ces aspects qu'ils pourront s'accaparer une part plus importante du marché intérieur ainsi qu'une part du marché extérieur via le commerce équitable. Toutefois, il s'agit en quelque sorte d'un combat entre David et Goliath, donc d'un problème considérable au développement coopératif dans le domaine du thé au Vietnam.

6.4.3. L'accès difficile au crédit

Bien que les six coopératives de thé établies à Thai Nguyen réalisent toutes des profits après deux années d'existence, elles demeurent très faibles66. Et bien que la fédération de ces coopératives ait

ouvert une petite boutique de vente de thé dans la ville de Thai Nguyen, elle doit louer un local et engager une employée, ce qui réduit considérablement les profits. D'autre part, aucune des coopératives n'a pignon sur rue, et une seule a réussi à obtenir un petit prêt d'une banque locale. Au Vietnam, pour obtenir un prêt, si l'entreprise ne possède pas de biens saisissables, les membres du conseil d'administration doivent mettre leurs biens personnels en garantie. En cas de faillite, ils perdent tout. Dans de telles conditions, très peu de gens sont prêts à mettre leurs avoirs et leur famille en péril pour tenter l’entreprise collective. Ainsi donc, l'accès au crédit pose problème, ce qui fait en sorte que le démarrage d'une coopérative est une entreprise extrêmement difficile sur le plan financier.

Des réformes en ce sens ⎯ comme par exemple la création d'un petit fonds de démarrage aux entreprises ⎯ viendrait faciliter la vie des coopérateurs et stimuler le développement de ce modèle économique avant qu'il ne soit trop tard, c'est-à-dire avant que les multinationales étrangères possèdent la très vaste majorité du marché. Il s'agit donc là d'un problème et d'un frein extrêmement sérieux au développement coopératif.

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6.4.4. Le manque de solidarité

Dans un contexte de transition économique vers une économie de marché, l'appât du gain fait en sorte que la plupart des gens préfèrent agir seul ou avec quelques personnes au sein d’une entreprise privée plutôt qu’au sein d’une entreprise collective car elles y voient un moyen de maximiser les profits. D'autre part, comme nous l'avons vu précédemment, les coopératives « ancien modèle » au Vietnam étaient un mode de collectivisation forcée des terres qui ne rapportait aucun bénéfice direct aux membres. Dans un tel contexte, il est très difficile de faire comprendre aux entrepreneurs collectifs potentiels que l'union fait la force car ils n'ont pas tendance à voir a priori les avantages du modèle coopératif. Ils préfèrent plutôt tenter leur chance eux-mêmes car pour la première fois depuis des décennies, la plupart des secteurs ont un accès libre au marché. Il en découle un manque évident de solidarité au sein des producteurs de thé, ce qui représente une difficulté intrinsèque au développement coopératif.

Comme nous venons de le voir, l’entreprise collective dans des pays en voie de développement économique peut jouer un rôle relativement à l'adaptation des populations et des institutions aux changements provoqués par une transition économique. D'ailleurs, une économie en transition vers une économie de libre marché peut être un terrain plus propice à l'émergence d'entreprises liées à la nouvelle économie car l'État se retire alors de plusieurs secteurs d'activités, laissant ainsi la place aux entreprises privées, publiques ou collectives de développer des innovations modifiant de façon substantielle les produits, services ou modalités de mobilisation des ressources. C'est d'ailleurs clairement ce que sont en train de faire les coopératives de thé vert de Thai Nguyen.

En faisant la promotion du thé vert séché de manière traditionnelle, les petits producteurs touchent une corde sensible du peuple vietnamien qui en a toujours été un grand consommateur. En s'organisant en coopératives, ils viennent modifier les modalités de mobilisation des ressources, dans un secteur contrôlé traditionnellement par l'État et de nos jours par des multinationales. En rejoignant le réseau mondial de commerce équitable67, ils épouseront dans une certaine mesure une pensée

politique qui se veut une alternative à l'économie de marché mondialisée actuelle qui engendre des disparités sociales dont nous sommes témoins chaque jour.

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