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Le territoire comme force qui permet la convergence des acteurs

4. PRATIQUES ÉMERGENTES EN FORMATION : ENTRE AUTOFORMATION ET

5.1. Le territoire comme force qui permet la convergence des acteurs

développement économique innovateur et solidaire.

À la lumière des paragraphes précédents, il est facile de comprendre que les auteurs qui prêtent au territoire la vertu d’assurer la convergence des forces d’une collectivité et de ses leaders autour de l’élaboration d’un projet de développement économique innovateur et solidaire, n’attribuent pas directement un tel rôle au territoire. Dans leurs explications, qu’ils tirent, la plupart du temps, d’études de cas, on comprend cependant les nombreuses références au cadre territorial dont l’importance, il est vrai, remonte très loin en amont de leur réflexion, comme un a priori dont il n’est nul besoin de rappeler. Les auteurs préférant, à juste titre, se concentrer sur l’aspect sociologique et/ou économique du phénomène qu’ils observent et étudient, puisque ce sont ces deux derniers aspects qui constituent le moteur des innovations économiques en économie sociale.

Les auteurs étudiés définissent d’abord et avant tout la place qui revient au territoire, dans les processus d’innovations économiques en économie sociale, par sa capacité à faciliter les prises de conscience face à une réalité économique qui affecte et marginalise les individus d’une communauté. De plus, selon ces mêmes auteurs, le territoire est ce qui permet de mettre en contact une pluralité d’acteurs locaux et de les impliquer activement, et de façon soutenue dans le temps, dans des démarches de coopération. Il est important de noter que ces contacts et ces démarches de coopération sont à la base même des innovations économiques qui mènent à la définition de nouveaux comportements sociaux en économie sociale (Borzagnac, 1995 et Borzagnac, 1997).

Dans certains des cas étudiés, c’est par un espace urbain commun, qui fait vivre ensemble les individus d’une communauté, que se crée une promiscuité entre ces mêmes individus quant à leurs frustrations, leurs difficultés et leurs réflexions face à des conditions de vie difficiles et à leur marginalisation économique grandissante. Cette promiscuité, que provoquent la cohabitation et le partage d’un territoire commun, est à la base de l’émergence d’une prise de conscience collective des conditions de vie des individus et à la constitution d’une volonté commune de provoquer le changement et l’innovation. Dans d’autres cas, c’est la proximité géographique de différentes régions qui permet une diffusion accélérée des liens qui unissent les collectivités qui s’y trouvent. Cette proximité permet l’expression d’une communauté d’intérêts face au développement socio-économique des régions concernées. Surtout, cette proximité géographique permet de faciliter la mise en commun des ressources et des forces vives des milieux locaux pour infléchir l’articulation actuelle de l’économie.

L’idée du territoire qui provoque une expression collective des aspirations d’une collectivité, de même que sa capacité à mettre en contact une communauté d’acteurs engagés activement dans l’élaboration de nouveaux projets de développement économique, est expliquée comme suit par Demoustier et Berthet :

La territorialisation des activités et des interventions au service du développement ne manque pas d’atouts :

85. elle permet une expression concrète et collective des besoins de base qui sont communs à tous les individus d’une population, et a donc une vertu d’introduction à la démocratie ;

86. en multipliant les activités de substitution ou en prolongement de l’économie domestique, elle redonne une place à une multitude d’acteurs, exclus de la vie publique, mais inclus à la dynamique territoriale du milieu ;

87. en suscitant des échanges, elle fait ainsi circuler la monnaie entre de nombreuses mains, opérant une certaine redistribution des revenus ;

88. les relations de proximité peuvent également favoriser la mise en mouvement des personnes dont le parcours ne peut démarrer en dehors du quartier.

De plus, ajoutent-ils plus loin :

Il est fondamental de tenir compte des différences particulières des territoires : ressources disponibles, paupérisation, déqualification sociale, etc.

Demoustier et Berthet, 1998, p.87-88

Toujours au sujet de la nécessaire territorialisation des activités et des interventions en faveur du déploiement d’initiatives en économie sociale, Rochefort affirme que :

Mentionnons, tout d’abord, qu’au cours des années 1980, la ville est apparue comme le champ d’une nouvelle forme d’action publique. Deux phénomènes expliquent cette territorialisation des interventions publiques. D’une part, les chercheurs se sont aperçus que les phénomènes économiques et sociaux avaient tendance à se concentrer dans l’espace et à épouser le découpage social du territoire. D’autre part, présente depuis vingt ans dans la plupart des pays occidentaux, une volonté de décentralisation de l’État a entraîné l’identification des problèmes à certains territoires. Les acteurs urbains étant en droit de s’interroger sur la meilleure façon de concilier l’échelle de leur action à l’échelle des problèmes à traiter, la question du territoire à prendre en compte s’est également posée. Quel espace devait-il être privilégié : le quartier, l’arrondissement, la ville ou l’agglomération ? Or, les problèmes de chômage et de pauvreté s’étant généralement trouvés concentrés dans des quartiers particuliers, cette échelle territoriale est devenue un espace de référence pour une gamme de plus en plus variée d’interventions publiques qu’il s’agisse de la santé, de l’emploi, de l’environnement ou de l’habitat.

Par ailleurs, cette territorialisation des interventions publiques doit être reliée à cette crise, à la fiscale et politique que subit l’État-providence. Dans ce contexte marqué par la remise en question des mécanismes keynésiens de régulation et le désengagement des paliers gouvernementaux centraux, ces interventions territorialisées apparaissent comme une nécessité pour répondre aux différents problèmes causés en grande partie par le manque d’emplois tout en respectant les restrictions budgétaires. Cependant, parallèlement à cet éclatement de la société salariale et à cet ébranlement de l’État-providence, un nouveau modèle de gestion sociale, une gestion communautaire de l’exclusion, qui interpelle les communautés définies territorialement et implique des actions collectives territorialisées s’est également dessiné » (Rochefort, 2001, p.79-80).

Paiement, quant à lui, souligne, concernant la place du territoire, ou des régions, dans le processus de concertation sur la définition du bien commun, que :

Pour revenir au bien commun, il est facile de comprendre que celui-ci devient moins une inaccessible étoile qu’un processus à développer, une histoire commune à écrire.

Cette aventure suppose, d’entrée de jeu, qu’une population est intéressée par la qualité de vie qui sera la sienne dans les années à venir. Ces personnes refusent de se définir comme de simples consommateurs ou clients et cherchent déjà à répondre aux questions que leur poseront les enfants de leurs enfants : quel monde voulons-nous leur laisser en héritage ?

Risquant une sortie des multiples cocons actuels, ils retissent des liens avec leurs voisins, redécouvrent que les divers problèmes qui les affligent ont d’innombrables liens entre-eux. Ils commencent aussi à comprendre qu’il n’est pas suffisant d’avoir un projet de développement, si intéressant soit-il, mais qu’il doit être arrimé aux autres projets en cours dans le milieu. C’est en effet, dans la mesure où un développement s’ouvre à l’avenir de toute la communauté, qu’il prend le chemin du développement solidaire. Pour réussir à s’entendre, les lieux de concertation régionale qui se mettent en place devront, de toute urgence, étancher une soif démocratique qui est grande, accepter de tabler sur les ressources des personnes et non plus seulement sur leurs problèmes. Tôt ou tard, ils devront bien inciter leurs gouvernements à se concerter, et à donner aux régions des pouvoirs réels avec les moyens financiers qui les rendent possibles.

Sans une telle volonté de vivre ensemble sur un territoire concret, point d’encrage d’une démarche plus longue, il sera impossible de poursuivre un bien commun réel, c’est-à-dire un développement des personnes et de leur milieu qui fait de chacun un acteur de sa vie, un citoyen qui entend être partie prenante de l’avenir qui se construit.

Paiement, 2000, p. 149

L’importance du territoire, et par le fait même, de la convergence des principales ressources des collectivités locales dans l’organisation d’alternatives pour le développement d’une économie sociale, trouve aussi son importance dans l’articulation des différentes stratégies élaborée par ces alternatives. Les nouvelles pratiques économiques qui créent des ponts avec l’économie sociale s’inscrivent dans des systèmes complexes qui engagent une myriade d’acteurs locaux et extérieurs à la collectivité, dans des démarches de coopération relativement durables. Elles se traduisent par des modes d’intervention des pouvoirs publics plus contractuels et partenariaux qui reposent sur des compromis ou des pactes locaux plus ou moins institutionnalisés. Elles se manifestent en outre par le développement d’activités plus ou moins intégrées répondant aux besoins essentiels des populations pauvres, démunies et marginalisées. Ces activités visent à favoriser l’accès à différentes ressources comme le logement, les services d’hygiène et de santé, le microcrédit, les activités génératrices de revenus et la formation. Ces pactes ou compromis locaux sont stables dans la mesure où la société civile est capable de se doter ou de réactiver des formes d’organisation collective représentatives et efficaces (Diaz, Donovan, Williamson, 2000, p.167-177 ; Collembon, Manoury et Parodi, 2000, p.120-136).

C’est dans la mesure où les organisations collectives doivent être représentatives et efficaces que la nécessité du territoire se fait encore sentir. Compte tenu du fait que le territoire est à la base d’une convergence d’esprit face à la définition d’une communauté d’intérêts qui est en réaction à une

situation économique défavorable pour l’ensemble de la collectivité, qui elle est liée par le partage d’un espace commun, et dans la mesure où le territoire permet de faciliter les échanges et la mise en contact des acteurs et les organisations de l’économie sociale, force est d’affirmer que le territoire est, pour ainsi dire, à la base de la création des organisations collectives représentatives qui auront la charge d’articuler les nouvelles stratégies de l’économie sociale. À cet effet, Collembon, Manoury et Parodi affirment que : « Manifestement, dans la phase d’exécution du programme (d’économie sociale), l’association qui l’applique est plus forte, plus crédible et est la plus sollicitée par la communauté lorsque l’association est représentative du quartier, lorsqu’elle est une référence pour l’accès à une qualité de vie meilleure » (Collembon, Manoury et Parodi, 2000, p.127). Plus loin ils ajoutent que : « c’est l’entité communautaire locale (territorialisée) qui subit le plus l’impact d’une pratique participative (aux programmes de l’économie sociale). En étant le canal légitimé de divulgation, de contact, de choix et de renforcement des (individus) qui participeront au programme, le milieu communautaire local renaît dans sa pertinence sociale avec ses habitants » (Collembon, Manoury et Parodi, 2000, p.129-130).

Enfin, la pertinence du territoire, pour le développement de l’économie sociale, tire aussi sa pertinence du fait qu’il met en contact les différents agents économiques interpellés par l’économie sociale. Dans ce cas, la nouvelle économie qui se conjugue avec l’économie sociale prend la forme d’un espace productif qui se développe sous la forme d’un pôle d’activité, comme vous l’avez bien exploré dans le cas du technopôle Angus. Comme nous le savons, l’aménagement d’espaces productifs de type technopole, microdistrict industriel ou parc industriel permettent, en raison de la proximité géographique qu’ils favorisent, une rapide circulation des idées, des expériences et de toutes autres informations qui encouragent l’innovation dans une optique, nous l’oublions souvent, qui peuvent encourager le déploiement d’une économie sociale (Desfontaines, Prud’Homme, 1999, p.78-110).

5.2. Le territoire est le vecteur de l’identité collective qui permet la médiation

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