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L’entrepreneuriat collectif et la création d’un patrimoine

1. PORTRAIT DE LA LITTÉRATURE SUR L’ENTREPRENARIAT COLLECTIF DANS LA

1.4. Enjeux et trajectoire de l’entrepreneuriat collectif

1.4.4. L’entrepreneuriat collectif et la création d’un patrimoine

Dans la section précédente, nous avons traité brièvement des nouveaux champs de l’entrepreneuriat collectif dans la nouvelle économie. Dans cette section, nous reviendrons tout particulièrement sur la question de la création d’un patrimoine technologique collectif, une question-clé selon nous dans un contexte ou l’appropriation collective des nouvelles technologies de l’information est essentielle pour combattre la fracture numérique et la dépendance des collectivités face aux géants des télécommunications souvent peu enclins à « démocratiser » l’accès à leurs produits. De plus, des pratiques commerciales malveillantes (surtout chez Microsoft et quelques autres entreprises spécialisées dans la conception de logiciels) ne laissent souvent que peu de marge de manœuvre aux utilisateurs quant au choix des outils (logiciels, plate-forme informatique, etc.) qu’ils peuvent utiliser. C’est la situation dans laquelle se retrouvent les petits consommateurs, mais également l’État et les organismes communautaires. L’entrepreneuriat collectif dans le champ des nouvelles technologies est certainement une démarche permettant de réduire cette fracture et de limiter cette dépendance. Voyons donc ce que suggèrent quelques spécialistes de la question à ce sujet.

Michel Dumais15, chroniqueur au Devoir et spécialiste du multimédia et des nouvelles technologies

ici au Québec, exposait récemment sa vision d’un Québec branché et innovateur. Dans une chronique rédigée comme une lettre ouverte à Mario Dumont, Dumais souligne l’importance de dépasser la simple question d’Internet dans l’établissement d’une politique publique concernant les NTIC :

Être un gouvernement modèle branché, ce n'est pas seulement se contenter de faire un site qui « pousse » de l'information vers les citoyens, malgré toute la pertinence des renseignements mis en ligne actuellement. Les nouvelles technologies permettent d'aller beaucoup plus loin, et de nombreux gouvernements de par le monde ont compris que celles-ci permettaient de sauver de l'argent, tout en étant au service du citoyen. (…) Alors que de nombreux gouvernements sur cette planète accordent toute la crédibilité voulue au mouvement des logiciels à code source libre (Open Source), au Québec, nous en sommes encore à nous applaventrir devant les éditeurs de logiciels à code propriétaire, toujours prêts à se soumettre à leurs diktats, leur licence restrictive, ainsi qu'à leur politique de prix. La France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine ainsi que plusieurs autres gouvernements ont compris qu'ils devraient commencer à intégrer le logiciel libre dans leurs opérations « tant pour des raisons de budget et de sécurité que d'indépendance stratégique » (…) Bien au contraire, imagine qu'au lieu d'envoyer des montants colossaux chez les éditeurs de logiciels à code source propriétaire, tu décides de normaliser avec des logiciels libres : en plus d'économiser, tu pourrais te permettre de remettre une partie de l'argent ainsi sauvé à des sociétés d'ici pour qu'elles puissent adapter ces logiciels à tes besoins particuliers. Bref, tu ferais travailler tes citoyens, et non pas ceux d'outre frontière, et en plus, une fois les modifications et les enrichissements faits aux progiciels, le produit pourrait être remis à ta communauté. C'est cela l'Open Source. Et c'est cela l'innovation16

.

Les propos de Dumais ont le mérite d’aller droit au but et soulignent l’importance de la création d’un patrimoine technologique collectif autant pour des raisons financières que de sécurité tout en soulignant le caractère innovateur d’une telle démarche permettant de faire profiter la communauté des retombées de l’effort collectif. Pour Dumais, ce type d’approche est beaucoup plus porteur que des vastes et onéreux projets tels que la cité du Multimédia où le béton passe devant l’innovation. Les NTIC transcendent les distances et la géographie, alors pourquoi se limiter à une ville technopole (un quartier en fait, celui de la cité du multimédia) alors que ces technologies permettent d’aller beaucoup plus loin. Au lieu d’une ville technopole, Dumais réclame une province technopole, de Rouyn à Gaspé.

Après avoir relevé l’importance d’une véritable politique des NTIC dans le domaine de l’éducation17

, Dumais suggère également, dans le même esprit l’utilisation de l’open source et de mettre sur pied un « think tank » québécois concernant la veille technologique. Il égratigne le gouvernement au passage

15

Pour suivre l’actualité concernant la question de l’évolution de la programmation en code « open-source », nous conseillons au lecteur de visiter le site de l’auteur à www.micheldumais.com

16

Chronique de Michel Dumais, Le Devoir, 25 juin 2002.

17

Nous ne traiterons pas spécifiquement de ce thème dans les pages de ce document puisque Mme Diane Gabrielle Tremblay traitera de cette question.

en attirant notre attention sur le fait que ce n’est pas tant le savoir-faire qui fait défaut, mais bel et bien le peu de support offert par le gouvernement à ce sujet :

Un type comme Michel Cartier, un apôtre de la veille technologique a bien essayé, au terme de plusieurs rencontres avec les différentes instances gouvernementales, d’instaurer un tel réseau. Mais en vain. Il semble que pour Cartier, il soit plus facile de conseiller l’Élysée, à Paris, où il a été reçu avec les honneurs, que le Parlement québécois. Nul n’est prophète en son pays. Pourtant, d’autres gouvernements ont mis en place de tels réseaux de veille, avec succès. Par exemple, Tony Blair, le premier ministre d’Angleterre a bien compris les avantages de la veille technologique, pour faire en sorte que son pays demeure concurrentiel à l’échelle mondiale, et ce, dans plusieurs domaines : éducation, affaires, etc. La veille n’est pas miraculeuse, elle n’impose pas de solutions toutes faites, mais elle permet de prévoir, d’accuser le coup quelquefois, et de réajuster le tir. Comme tu le vois, la mise en place d’un réseau de veille intégré à large bande serait tout à fait dans l’intérêt du Québec18.

Michel Dumais n’est certes pas le seul à pencher pour ce type d’approche dans la construction d’un patrimoine technologique collectif. Pascal Laviolette, dans un court article publié dans le numéro 168 de la revue Traverse abonde dans le même sens et souligne que les acteurs de l’économie sociale peuvent apporter leur contribution à cet effet. Suite au Sommet de Lisbonne, les acteurs de l’économie sociale qui ont été omis, sinon écartés, de la stratégie de développement de l’économie de la connaissance mise de l’avant lors du Sommet par les pays membres de l’UE, ont décidé de se réunir et de créer l’organisation sans but lucratif l’OSBL RES-E-NET.

Cette OSBL s’est fixée trois objectifs stratégiques : 1) soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire dans le champ des NTIC, 2) proposer des réponses à la fracture numérique, 3) promouvoir le mouvement des logiciels libres, appelés également « open-source » qui se posent comme alternative au monopole de Microsoft. Denis Stokkink, économiste et conseiller ministériel du gouvernement français avance, quant à lui, les raisons de cet engagement :

Nous voulons absolument développer les logiciels libres parce qu’ils sont basés sur des valeurs communes à l’économie sociale et solidaire, c’est-à-dire l’égalité, la solidarité, la démocratie et l’accès gratuit. (…) Ce n’est pas tant la question technique qui nous intéresse, mais bien la dimension d’accessibilité et de gratuité.

Plus près de nous, Manuel Cisneros et Louis Favreau19, dans une publication concernant l’évolution

de La puce Ressource Informatique, traitent également de cette question. Après avoir repassé l’évolution de la puce communautaire dans sa transformation pour devenir la Puce Ressource Informatique, les auteurs reviennent sur la capacité d’innovation de la coopérative qui a su au fil des ans s’ajuster avec l’évolution des NTIC. Les auteurs soulignent à cet effet le rôle joué par La Puce

18

Michel Dumais, Le Devoir, 25 juin 2002.

19

Cisneros, M. et L. Favreau. Février 2001. De la puce communautaire à la Puce ressource informatique : une initiative dans le champ des

dans la diffusion des NTIC auprès des personnes démunies, mais aussi et surtout auprès des organismes du milieu communautaire grâce à la conception de logiciel (en code libre) destiné à ces derniers. De plus, l’OSBL a également lancé le projet Communautique, que nous traitons dans l’annexe et qui cherche à jouer un rôle majeur dans la diffusion de ce type d’initiatives aux quatre coins du Québec comme Dumais le suggère.

L’intérêt de cette démarche, c’est qu’elle puisse être à la fois rentable socialement en favorisant la création d’un patrimoine technologique (logiciels d’utilité sociale qui ne seraient pas développés par les entreprises privées faute de débouchés), mais aussi éventuellement rentable économiquement, une fois l’expertise développée et le potentiel d’innovation reconnue :

Le volet « soutien technique » de La puce ressource informatique– qui couvre aussi la recherche et le développement, la veille technologique, la production et les tests des nouveaux logiciels et systèmes – a un avenir prometteur si l'on tient compte de la demande du milieu communautaire mais aussi de celle du secteur privé. En effet, ce dernier est vivement intéressé non seulement par l’aspect technique, mais aussi par les services intégrés offerts par La puce en termes d'analyse des besoins, d'offre de services de formation, de soutien et d'innovation technique.

Au risque de nous répéter, mentionnons en terminant que la pratique est certainement en avance sur la théorie en ce qui concerne l’appropriation d’un patrimoine technologique via le recours à la programmation en code libre. Certes, quelques spécialistes des NTIC s’y intéressent, mais il faut noter l’absence presque complète de littérature provenant de spécialistes des sciences sociales à ce sujet. Par contre, des associations, des coopératives, des corporations à but non lucratif et des entreprises d’économie sociale œuvrent déjà. Certaines y oeuvrent depuis peu, d’autres depuis longtemps.

Outre La Puce Ressource Informatique et le Projet Communautique, mentionnons que Pop-Tel, CAM, la coopérative Ouvaton et Inser.net, pour ne nommer que ceux-là, incluent la promotion des logiciels libres dans leur mission respective.

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