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L’entrepreneuriat collectif et le secteur privé

1. PORTRAIT DE LA LITTÉRATURE SUR L’ENTREPRENARIAT COLLECTIF DANS LA

1.3. Les différentes formes d’entrepreneuriat collectif dans la nouvelle

1.3.4. L’entrepreneuriat collectif et le secteur privé

Comme nous l’avons souligné à la fin de la première partie, nous avons fait le choix dans cette recension d’écrits de privilégier une vision de l’entrepreneuriat collectif correspondant plus ou moins aux champs de l’économie solidaire (économie sociale, coopérative, mutuelle, etc.). Dans cette section, nous nous pencherons brièvement sur une tout autre conception de ce que les Anglo-saxons appellent le « collective entrepreneurship ».

Relevons tout d’abord le courant de pensée exposé par Henton, Walesh et Melville dans un ouvrage intitulé « Grassroots Leader for a New Economy ». Pour ces auteurs, dans un contexte économique en bouleversement caractérisé par l’émergence d’un « nouveau globalisme », par l’émergence des nouvelles technologies de l’information, par des changements importants au niveau de la courbe démographique ainsi que par la décentralisation politique (aux États-Unis), « l’entrepreneur civique » représente une lueur d’espoir. Les auteurs proposent donc ce nouveau type d’entrepreneur, le « civic entrepreneur » et voient dans ces derniers des leaders capables de catalyser le capital social sur un territoire. Ces leaders proviennent de tous les champs de l’économie et de la communauté. On y retrouve des hommes d’affaires, des fonctionnaires, des spécialistes du domaine de l’éducation, des travailleurs d’organismes communautaires, etc. :

The civic entrepreneur is a bridge builder who connects the interests of the local economy and the community to promote economic prosperity and quality of life. Civic entrepreneurs are emerging now in response to powerful new forces such as global competition, technological change, demographic shifts and devolution, which make collaborating to compete essential. Civic entrepreneurs are a combination of global economic optimist, visionary and persistent entrepreneur, collaborative leader, and team player. They come from all walks of life and work in high- functioning teams. And, a key player on many successful civic entrepreneur teams is the economic development professional.

Par leurs actions, les entrepreneurs civiques participent à la mise en place d’un secteur civil fort. L’ouvrage consacre d’ailleurs une bonne partie de son espace à quelques « success-story » dans différentes villes américaines (Austin, Omaha, Wichita, Silicon Valley, etc.). C’est en créant un « consensus » entre les milieux d’affaires, communautaire et gouvernemental que les communautés économiques locales pourront prospérer et se repenser. En créant des passerelles entre chacun de ces secteurs, les entrepreneurs civiques participent à la construction d’un « avantage collaboratif » régional grâce auquel la communauté peut espérer tirer son épingle du jeu dans le nouvel environnement économique.

À première vue, l’entrepreneuriat civique paraît un concept fort inclusif. Les auteurs insistent d’ailleurs sur l’importance d’un tiers secteur. Il cite Drucker à ce sujet :

The knowledge society has to be a society of three sectors; a public sector, that is government; a private sector, that is business, and a social sector…it is in and through the social sector that a modern developed society can again create responsible and achieve citizenship, can again give individuals a sphere in which they can make a difference in society, and a sphere in which they recreate the responsibility of both business and government leadership.

Faute d’espace, il ne nous est pas possible d’exposer plus longuement l’ensemble des propositions avancées par les auteurs. Cependant, nous tenons à exprimer nos réserves quant à ce qui est proposé par ces derniers.

Il nous apparaît assez clair que les positions exprimées découlent d’un parti pris idéologique réclamant la réduction de la taille et des rôles traditionnellement joués par l’État. Selon eux, trois caractéristiques facilitent le développement des communautés économiques locales : l’engagement dans la spécialisation « clusters », l’amélioration de la compétitivité par la multiplication des « interconnexions » entre les secteurs et l’émergence d’entrepreneurs civiques capables d’assumer un leadership. Pour eux, la clé réside dans la qualité de la collaboration économie/communauté (on remarque d’ailleurs que l’acteur-clé est le professionnel de développement économique plus souvent qu’autrement issu du secteur privé) et évacue, en quelque sorte l’État, dans la réussite de la démarche. Pour nous, c’est là que le bât blesse et il semble y avoir un glissement exigeant la diminution des rôles de l’État10 et l’apparition de ce qu’il appelle « a strong civil society » enchevêtrée dans le

« social sector ». Un peu comme le soulignait Lévesque, ce nouvel entrepreneuriat civique, que ce dernier préfère nommer « entrepreneuriat social », ne comporte aucune garantie quant à sa nature démocratique et rien ne garantit la pérennité de la vocation « sociale » de cette démarche.

De plus, la terminologie utilisée semble refléter le positionnement idéologique des auteurs. On y parle de communauté « Qualité-Totale » (Miller, 1995), de « clusters », bref, une terminologie qui nous paraît tout droit tirée des manuels de gestion utilisés dans les grandes écoles d’administration. Cela dit, on ne peut cependant pas ignorer l’importance d’une telle démarche (création de passerelles entre

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les secteurs, réseautage des ressources, émergence d’entrepreneurs civiques) dans la relance et la revitalisation de territoires autant en zone rurale qu’en milieu urbain. Il s’agit donc clairement d’une démarche que l’on peut effectivement qualifier « d’entrepreneuriat collectif » au sens propre du terme.

Notre bémol consiste cependant à dire qu’il ne s’agit certainement pas d’une panacée. Certes, le secteur privé est un partenaire que le tiers secteur ne peut ignorer, particulièrement dans le nouveau contexte économique lié à la mondialisation, néanmoins cette attention portée vers le secteur privé ne doit pas se faire, selon nous, au détriment des rôles essentiels joués par l’État et, encore moins, en cherchant à lui superposer un tiers secteur encore en développement et financièrement incapable d’assumer les rôles auparavant attribués à l’État.

Au bout du compte, malgré les réticences que l’on a soulignées, force est de constater que l’interprétation donnée au concept « d’entrepreneuriat collectif » par ces auteurs s’approche passablement de la conception que nous avons retenue pour ce document. Par contre, le sens donné à ce concept par le prochain auteur dont nous présenterons l’ouvrage, Panos Mourdoukoutas, diffère radicalement. En fait, cet auteur voit dans le « Collective d’entrepreneurship » une stratégie nouvelle utilisée par la firme moderne afin de survivre dans le nouveau contexte économique :

Mourdoukoutas argues that as globalization gains momentum and reengineering becomes universal, firms can no longer be sure of achieving sustainable competitive advantages through improved operating effectiveness alone. The new business strategy will focus on revenue growth and on the constructive destruction of conventional corporations, through collective entrepreneurship and its division in the product supply chain. To enhance revenues through the management of constructive destruction, companies must achieve organizational mutations and permutations, turning themselves from hierarchical managerial units into entrepreneurial networks11.

Nous voyons donc, à l’aide de ce court résumé, que cette conception de l’entrepreneuriat collectif est complètement différente de celles présentées jusqu’ici. En fait, l’utilisation faite du concept par Mourdoukoutas se limite à la sphère privée de l’économie. Selon Mourdoukoutas, cette stratégie est très répandue dans le secteur de la haute technologie :

This trend is particularly evident in high-technology corporations that rely heavily on the integration of technical and market information. As the internal and external boundaries of conventional corporations fade, entrepreneurial networks look more like communities of common fate and less as hierarchical corporations. This means that entrepreneurial networks are held together more by informal rules of conduct

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and social values than formal rules and contractual agreements. It also means that many long-held business principles don't apply to entrepreneurial network.

Mourdoukoutas, 1999

Bien qu’il ne soit pas dans notre propos de traiter ici en détail de l’évolution de la firme moderne du secteur privé dans la nouvelle économie, ces mutations dans la structure des entreprises privées et dans la stratégie d’affaires employée, particulièrement dans le domaine de la haute technologie et de l’économie du savoir, nous paraissent intéressantes puisqu’elles semblent correspondre à une certaine décentralisation de la structure de pouvoir et de l’action entrepreneuriale.

En ce sens, cette décentralisation pourrait éventuellement mener à une certaine convergence entre des valeurs associées à l’économie solidaire et les intérêts propres aux travailleurs exerçant leur activité au sein de ces firmes. Comme le souligne lui-même Mourdoukoutas: This doesn't mean that Microsoft holds referendums on new products and markets. But it has created a structure that encourages its hidden entrepreneurs to contribute to the discovery and the exploitation of new business opportunities (Mourdoukoutas, 1999, 2).

Il est évident que l’accroissement de la marge de manœuvre laissée aux travailleurs, devenus des entrepreneurs collectifs, doit également s’accompagner d’une redistribution plus juste des profits tirés de la prise de risque inhérente à l’action entrepreneuriale. Il est certainement trop tôt pour juger des répercussions d’un tel changement de stratégie de la part de la firme moderne en ce qui concerne la rétribution de sa main-d’œuvre et l’attribution des responsabilités. La piste semble intéressante, l’avenir nous apportera sans doute des réponses.

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