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Entreprise collective et économie plurielle

2. ENTREPRISES COLLECTIVES DE REVITALISATION TERRITORIALE ET « NOUVELLE

2.1 Entreprise collective et économie plurielle

2.1.1. Les origines

L’organisation « collective » du travail par opposition à l’approche individuelle et hiérarchique n’est pas nouvelle. Son existence remonte bien au-delà des formes collectives recensées à partir de la révolution industrielle. L’organisation collective moderne remonte à la naissance du mouvement associatif ouvrier au début du 19e siècle, lequel a donné place à une variété d’initiatives collectives allant des organisations caritatives de lutte à l’indigence aux premières organisations ouvrières et aux premières coopératives de travail et de consommation (Fontan, 1992).

Marie-Claire Malo (2000) y voit une synthèse des actions de la société civile, de l’État et du marché. Se référant à Polanyi (1983), Malo précise que l’économie sociale ne signifie pas un refus du marché, mais un refus d’un marché hégémonique où la marchandisation deviendrait le principe fondateur de l’activité économique.

L’émergence d’initiatives collectives de revitalisation industrielle remonte aux décennies 1970 et 1980. La crise qui sévit alors donne lieu à des actions proactives et à des innovations sociales sous la forme de projets de création d’emploi et de prise en charge du contrôle du développement local de territoires marginalisés. La nouveauté relève principalement du fait que des acteurs du social envahissent le champ de l’économique. Ils innovent en mettant sur pied des structures d’intervention et de gouvernance ayant pour mission de combiner et de réaliser des objectifs sociaux et économiques.

Tout au cours des années 1970 et 1980, la plupart des pays industrialisés (de l’OCDE par exemple) et plusieurs pays nouvellement industrialisés (tel le Brésil) ont souffert du déclin des secteurs industriels traditionnels. Les économies de ces pays ont été l’objet d’importantes restructurations industrielles. Les conséquences sur les populations et les territoires furent alors très importantes : déqualification de catégories professionnelles entières attachées aux anciennes industries, chômage croissant, difficultés d’intégration à un monde en rapide changement, déclassement de territoires entiers naguère prospères.

Le travail de réingénierie des secteurs économiques a demandé l’intervention de L’État. Ce dernier a mis en place des politiques publiques d’aide au développement régional, local puis métropolitain. De telles politiques ont favorisé l’émergence et le développement d’entreprises collectives. Entreprises et agences de développement local ou régional ont été mises sur pied pour répondre de façon adaptée aux besoins d’une population industrielle subitement tombée dans la marginalisation professionnelle et sociale. Depuis 1970, la nature des entreprises collectives créées non seulement augmente en nombre, mais aussi sont l’objet d’une diversification dans la nature des interventions mises en place :

22. entreprises de gestion, d’animation et de promotion de sites réhabilités ;

23. organisations d’accompagnement et de création d’entreprises d’économie sociale ;

24. structures d’analyse pour la conduite d’études de faisabilité, de montage de dossiers financiers, de services informatiques, de conseils en investissements, de maintenance et de dépannage, de création de bases de données ;

25. entreprises de formation et d’insertion, de développement d’Internet, de stratégie commerciale, etc.

Les acteurs locaux, souvent appuyés par les autorités municipales ou régionales, multiplient des initiatives à objectifs multiples :

26. réhabiliter des friches industrielles ;

27. réinsérer économiquement et socialement des populations marginalisées ;

28. promouvoir la réoccupation d’immeubles et terrains abandonnés.

Pour réaliser ces objectifs, l’entreprise collective mobilise des ressources diversifiées dont les populations marginalisées. L’idée est de les faire participer au redéveloppement en libérant leur potentiel de créativité.

2.1.2. L’identité de l’entreprise collective

Qu’est-ce qui différencie l’entreprise collective d’autres types d’organisations économiques ? Où se situe-t-elle par rapport aux initiatives liées à l’économie solidaire et aux actions d’insertion sociale initiées par l’État ?

L’entreprise sociale se différencie de l’entreprise privée et de l’entreprise publique. Par rapport à l’entreprise privée, elle se distingue par le type de propriété (collectif) et de gouvernance (démocratie participative). Il en résulte un mode conventionné de redistribution de la richesse créée par l’entreprise ne répondant pas à une logique d’enrichissement individuel. Par rapport à l’entreprise

publique, elle se distingue par une autonomie de gestion, de fonctionnement et de choix de ses actions. Toutefois, elle s’en approche par la portée de son action qui ne relève pas de la poursuite d’intérêts individuels, mais d’un intérêt général. Ainsi, l’entreprise collective se présente comme un modèle complémentaire par rapport aux deux autres types d’entreprise. L’existence de ces trois types de base et les combinaisons qui peuvent en découler, par exemple l’association d’acteurs publics et privés ou d’acteurs publics et collectifs ou encore d’acteurs collectifs et privés forme ce que nous appelons une économie plurielle.

2.1.3. L’entreprise collective de revitalisation

Pour comprendre la nature de l’entreprise collective de revitalisation, il convient de se pencher sur des expériences concrètes. C’est la raison pour laquelle, cette recherche exploite des données relevant des expériences présentées par dix-sept initiateurs de projets au colloque « Rendez-Vous Montréal 2002 ». Pour présenter ces expériences, nous relevons les facteurs ayant déterminé leur émergence, les objectifs visés, les acteurs concernés, le fonctionnement de l’organisation de revitalisation et les principes qui guident leur action.

Bien qu’elles soient résolument tournées vers l’économie du savoir, les entreprises collectives de revitalisation étudiées sont très majoritairement nées du besoin de faire face au vide laissé par la désindustrialisation.

TABLEAU 3

Facteurs ayant conduit au lancement du projet

FACTEURS ÉVOQUÉS NBRE DE

FOIS CITÉ

• Faire face aux conséquences de la désindustrialisation et de la reconversion de zones

industrielles, minières ou résidentielles 12

• Utiliser des espaces industriels et commerciaux abandonnés 4

• Combattre un fort taux de chômage 4

• Chute des revenus et des taxes industrielles et professionnelles de base 3 • Revitalisation de quartiers en les dotant d’infrastructures adéquates et accessibles 2 • Reconvertir un ancien site industriel en une technopole ouverte aux entreprises de la

nouvelle économie et de l’économie sociale 2

• Proximité de pôles scientifiques et techniques 2

• Créer un environnement de qualité, une industrie verte, avec de bons salaires (USA). 1 • Créer un bassin d’emploi et de vie innovant et basé sur la solidarité des communes

comme des populations 1

• Fédérer des agglomérations 1

• Renforcer les partenariats et dynamiser les initiatives locales en favorisant la formation des personnes précarisées (insertion et réinsertion) 1

Les facteurs ayant conduit au lancement de ces entreprises collectives de revitalisation sont assez diversifiés. Cependant, dans la majorité des cas, les intervenants évoquent des initiatives prises pour faire face aux conséquences de la désindustrialisation ou de la reconversion de zones industrielles, minières ou résidentielles.

Si l’on s’en tient aux déclarations des animateurs de projets présents au Colloque Rendez-Vous Montréal 2002, l’entreprise collective de revitalisation veut réhabiliter des espaces laissés en friche par le déclin des vieilles industries. Certains évoquent également le besoin de combattre un fort taux de chômage, également lié à la reconversion de zones anciennement industrialisées. L’entreprise collective de revitalisation se donne pour objectif de réhabiliter des espaces laissés en friche par l’ancienne économie. Elle se charge d’effacer les cicatrices et les différentes séquelles que l’entreprise libérale ou publique laisse derrière elles.

La vocation de l’entreprise collective de revitalisation s’intègre parfaitement dans les initiatives d’économie solidaire apparues à partir des années 1970. Cependant, si ce fait est encore largement reconnu, on aurait tort de le généraliser car de plus en plus d’entreprises collectives, notamment parmi les plus récentes, naissent non pas pour corriger une situation liée au passé mais pour mettre en place des projets novateurs et résolument orientés vers l’avenir.

Cette finalité apparaît à travers les objectifs que se fixent les initiateurs d’entreprises sociales. La revitalisation de zones désaffectées reste certes l’objectif le plus souvent cité parmi les expériences ayant participé à Rendez-vous Montréal 2002. L’analyse de la nature des objectifs nous a permis de construire le tableau suivant.

TABLEAU 4

Analyse de la nature des objectifs

OBJECTIFS NBRE DE

FOIS CITÉ

• Revitaliser une zone par un nouvel usage économique 7

• Promouvoir un cadre de vie pour les habitants 3

• Promouvoir l’innovation et la créativité 3

• Soutenir la vitalité économique de la zone 3

• Préserver les conditions de travail et les revenus 3

• Créer un espace économique de haut niveau sans nuisance environnementale. 3 • Mettre en place des programmes communautaires participatifs 3

• Sauver des emplois 2

• Créer une nouvelle culture locale 2

• Créer une vitrine technologique 2

OBJECTIFS NBRE DE

FOIS CITÉ • Créer de la synergie intersectorielle (public/privé, libéral/social) 2

• Transformer une situation de crise en opportunité 1

• Préserver des monuments industriels par la transformation de leur usage 1

• Préserver la cohésion de la communauté 1

• Créer une nouvelle zone d’habitation 1

• Introduire une culture de bonne gouvernance 1

• Créer de nouveaux secteurs de production 1

• Développer des activités de formation et d’insertion 1

• Mettre en place des conditions attractives pour l’investissement 1

• Promouvoir le réseautage 1

• Créer un site où interagissent entreprises libérales et entreprises sociales 1 Les facteurs ayant conduit à la création de l’entreprise collective sont assez divers, montrant par là même son ouverture et sa capacité d’entreprendre et de contourner les barrières à l’entrée du marché, établies par l’économie classique. L’arrimage aux préoccupations locales étant un de ses principes fondateurs, la revitalisation de zones désaffectées reste l’objectif le plus souvent cité. Cela se comprend lorsque l’on sait qu’un grand nombre d’entreprises est apparu pour combattre les effets de la désindustrialisation. Le fait saillant est que la dimension sociale d’une entreprise collective revient souvent dans les objectifs que les animateurs se donnent. Cette dimension est explicitement citée que 7 fois sur 45. Elle apparaît à travers les phrasés suivants :

« préserver les conditions de travail et les revenus » : cité trois fois ;

« sauver des emplois » : cité deux fois ;

« préserver la cohésion de la communauté » : cité une fois ; « développer des activités de formation et d’insertion » : cité une fois.

L’énoncé de tels objectifs indique que l’entreprise collective est préoccupée par la question de la crise qui frappe les populations confrontées au déclin économique de leur région.

Les objectifs qui reviennent le plus fréquemment dans les discours sont à caractère économique, technologique ou environnemental. Par exemple, des objectifs comme ceux qui consistent à « revitaliser une zone par un nouvel usage économique », « promouvoir l’innovation et la créativité » ou « soutenir la vitalité économique de la zone » sont les plus souvent cités. Cela tend à démontrer que l’entreprise sociale s’inscrit prioritairement dans la nouvelle économie du savoir, et cible des changements dans le domaine du social, à travers la protection de l’environnement et l’usage de la

science et de la technologie. Le « social » est d’ailleurs présenté dans le fait même d’établir une relation étroite entre l’économie du savoir et le développement durable, au sens de protection à long terme des populations et de leur environnement de vie et de travail.

D’autres objectifs liés aux conditions d’attractivité et de création d’entreprises sont soulignés par les animateurs d’entreprises collectives, souvent en parallèle avec les précédents. Ils portent tantôt sur les conditions à mettre en place pour favoriser la création d’entreprises qui acceptent de respecter les contraintes d’un développement durable, tantôt sur l’attractivité économique des espaces réhabilités. Ces objectifs consistent parfois en la création de sites où cohabitent et interagissent entreprises libérales et entreprises sociales. D’autres objectifs relèvent de l’innovation sociale de type relationnel ou gestionnaire. Ces objectifs consistent à mettre en place des réseaux permettant à des entreprises publiques et privées de communiquer et d’interagir, le réseautage et l’interactivité étant parmi les vocables qui reviennent le plus souvent dans les discours fondateurs de l’entreprise sociale moderne. Parmi les entreprises collectives de revitalisation étudiées, on décèle des différences entre elles d’un contexte national à un autre. En Amérique du Nord, la préservation de l’environnement, la cohésion des communautés, apparaissent comme une préoccupation première. En France, les projets s’inscrivent plus souvent dans la perspective de promouvoir des start-up et des PME liées à la nouvelle économie, à la création de sites scientifiques et technologiques. Dans ce pays, ces derniers projets semblent être aussi nombreux que ceux qui partent de la réhabilitation d’anciennes zones industrielles et minières. Dans les pays en développement, la bonne gouvernance et la création de cultures entrepreneuriales locales se comptent parmi les objectifs que se fixent les promoteurs d’entreprises collectives de revitalisation. Ces différences tendent à montrer que le développement de l’entreprise collective s’inspire des spécificités locales mais aussi régionales et nationales.

Par la diversité de ses objectifs, l’entreprise collective de revitalisation s’inscrit dans une perspective plus vaste, laquelle cherche à concilier les intérêts locaux et environnementaux et ceux qui sont liés au marché et à la mondialisation.

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