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La transposition didactique comme outil d’analyse de la transformation du savoir

INSTITUTION SCOLAIRE

SAVOIR ELEVE

1.5. La transposition didactique comme outil d’analyse de la transformation du savoir

Les savoirs sont dépendants des pratiques sociales qui les sous-tendent, les APSA. Autrement dit, ils sont extraits de l'étude didactique de ces pratiques choisies comme support d'enseignement. Ils sont organisés autour de la notion de compétences, définies comme étant des « savoirs en action où le corps est engagé » (BO n° 6 du 12 août 2000). L'acquisition de celles-ci permet d'atteindre les objectifs de l'EPS. Comme nous l’avons déjà évoqué, mais il est important de le rappeler là, en EPS, les contenus d’enseignement ne sont pas issus de savoirs savants ou scientifiques, mais sont élaborés à partir de savoirs d’experts. Ainsi, deux concepts didactiques nous permettent d’éclairer maintenant la question des savoirs en EPS : le

concept de transposition didactique et la notion de pratiques sociales de référence. La question posée est : comment utiliser une référence culturelle pour revendiquer l’utilité des savoirs enseignés et s’en détacher à la fois pour affirmer une spécificité scolaire ? Ou autrement dit : comment faire le lien entre les pratiques sociales de référence que constituent les APSA et les savoirs enseignés qui identifient l’EPS ?

Le concept de transposition didactique va nous permettre de répondre à ces questions et d'identifier les savoirs à enseigner en EPS : « la transposition didactique est la création permanente qui fait passer d’un objet de savoir à un objet à enseigner et enfin à un objet enseigné » (Chevallard, 1985). Le point de départ est que « tout savoir enseigné s'autorise, ou cherche à s'autoriser d'un savoir savant correspondant » (Chevallard, 1989). La notion de transposition didactique est issue de la didactique des sciences et notamment des mathématiques avec Y. Chevallard. L’auteur montre en effet, en s'appuyant sur l'exemple de la notion de distance en mathématiques, que « la désignation d’un élément du savoir savant comme objet d’enseignement modifie fortement sa nature… » (ibid.). L’EPS a utilisé cette notion, mais en l’adaptant à sa spécificité : elle ne possède pas de savoir savant mais s’appuie sur des pratiques sociales et culturelles. De ce fait, le mécanisme de transposition est une transformation « que fait subir aux pratiques sociales d’APS la volonté de les enseigner » (Marsenach, 1991). En d’autres termes, il s’agira pour les professeurs d’EPS de traiter une APSA pour en faire un contenu d’enseignement. Puisque « l’EPS ne se confond pas avec les APSA qu’elle propose et organise » (Instructions Officielles des Collèges, 1985), la définition des connaissances scolaires passe par le processus de transposition. En effet, l’EPS s’appuie sur un ensemble de pratiques qu’elle propose et organise pour son enseignement. Dans cette perspective, la transposition didactique peut être envisagée comme le passage d’une « pratique sociale de référence », intégratrice de savoir et porteuse de culture, au contenu d’enseignement. J.L. Martinand introduit la notion de « pratique sociale de référence » (Martinand, 1989) qui permet d’élargir la notion de transposition didactique utilisée en sciences. L’auteur la définit comme « une activité sociale pouvant servir de référence à des activités scolaires, et à partir de laquelle on examine au sein d’une discipline donnée les problèmes à résoudre, les méthodes et les attitudes, les savoirs correspondants » (ibid.). On peut ainsi dire qu’en EPS, ce processus permettra de passer des pratiques sociales de référence à l’enseignement de ces pratiques par la définition des contenus et des objets d’enseignement. « Le domaine des APSA qui servent de support à l’EPS, élargit le champ de référence du

savoir scolaire et autorise à intégrer la notion de pratiques sociales de références, dues à J.L. Martinand » (Terrisse, 1998). On peut donc dire que le concept de transposition didactique constitue « un outil de travail du chercheur » (Chevallard, 1992). Terrisse avance que « l’idée qu’introduit la transposition didactique est que le passage d’un lieu de production sociale et culturelle du savoir à l’institution scolaire le transforme […] elle peut devenir un outil d’analyse des différents modes de traitement didactique produits ou utilisés, révélateurs de cet écart » (ibid.). Toujours selon l’auteur, la circulation du savoir va suivre quatre étapes :

- « du savoir de référence au savoir à enseigner » (choix de l’enseignant en fonction notamment de sa conception de l’activité).

- « Du savoir à enseigner au savoir enseigné » (mise en œuvre du savoir à travers les contenus d’enseignement).

- « Du savoir enseigné au savoir appris » (contrat didactique entre enseignant et élèves). - « Du savoir appris au savoir qui lui a servi de référence », retour en boucle qui pose la

question « du sens que donnent les apprenants aux apprentissages dans leur propre système de valeur » (Terrisse, 1998).

Le concept de transposition est au cœur de notre problématique dans la mesure où nous le considérerons de manière synthétique comme « l’ensemble des transformations que fait subir à un champ culturel la volonté de l’enseigner dans un cadre scolaire ». (Chevallard, 1985). Dans cette optique, l’objet de la didactique va être de produire des contenus et des stratégies d’enseignement les plus efficaces possibles. A partir des travaux du sociologue Verret, Chevallard définit donc dans ce processus de transposition deux étapes :

- du savoir savant au savoir à enseigner. Cette étape concerne la « noosphère » c'est-à- dire les experts disciplinaires, ce que Brousseau nomme « le travail du mathématicien » (Brousseau, 1986).

- Du savoir à enseigner au savoir enseigné ou transposition didactique interne. « Le travail du professeur » (Brousseau, ibid.).

La première étape consiste en une « décontextualisation » du savoir, la seconde en une recontextualisation dans une classe donnée. Il y a ainsi une réécriture, une reconstruction par l’enseignant qui tient compte à la fois des avancées des savoirs, des demandes du public

scolaire et des exigences de l'institution scolaire. Ainsi, « la transposition didactique désigne le passage du savoir savant au savoir enseigné. C'est à la confrontation de ces deux termes, à la distance qui les sépare qu'on peut le mieux saisir la spécificité du traitement didactique du savoir » (Chevallard, 1985). Il s'agit donc d'une adaptation du savoir afin de le rendre accessible aux élèves mais aussi, afin de le « mettre en forme », conforme, aux valeurs de l'institution scolaire. Le point de départ en est le savoir savant, et cette définition de Chevallard met en avant la distance qui sépare les objets de savoir enseignés aux objets de savoir savant d'une part, mais aussi de la culture, et la nécessité pour le système d'enseignement de réguler cette distance. Ceci est important car il existe un « vieillissement » du savoir et parfois même une mort quand il devient caduc par la découverte d'un nouveau savoir. La régulation et le renouvellement régulier des savoirs enseignés sont nécessaires et représentent bien une particularité du système d'enseignement.

Pour les sociologues, les responsables institutionnels sélectionnent des savoirs qui forment le « curriculum formel » (Perrenoud, 1994). Ces savoirs sont issus de la culture : sélection et structuration culturelle agissent comme des filtres. Les savoirs scolaires obéissent à une formalisation institutionnelle (et politique) et parce qu'ils ont été créés par et pour l'école, n'appartiennent qu'à l'école (Forquin, 1989). Mais ce passage des savoirs savants aux objets d'enseignement devra être fait en sorte qu'il n'y ait pas perte de sens afin que les élèves soient confrontés à des savoirs réellement significatifs. Ceux-ci sont, certes, liés aux particularités de chacune des APS mais sélectionnés pour cerner ce qui permet des ruptures avec « la motricité commune » (Marsenach, 1991). Ils ont une représentativité culturelle et sont reconnus utiles aux yeux du législateur. Il faut faire le choix de ce qui peut être « didactisable » et ainsi mettre à jour l'identité de la discipline et ses enjeux de formation.

La deuxième étape est celle de la recontextualisation. Elle permet à l’enseignant de replacer le savoir à enseigner dans une classe particulière et redonne au savoir enseigné un sens scolaire. « Les contenus d'enseignement sont les conditions que l'élève doit intégrer pour transformer ses actions » (Marsenach, ibid.). Ils sont indissociables des contenus enseignés, c’est-à-dire de leur traduction auprès des élèves sous forme de situations d'apprentissage, d'ensemble de taches, d'exercices, permettant la mise en activité des élèves. Ils sont structurés, hiérarchisés, adaptés, différenciés en fonction du niveau d'apprentissage des élèves. Mais les contenus d'enseignement ne sont pas uniquement des conditions. Ils définissent des savoirs. Pour Hébrard, les contenus d'enseignement sont constitués « de l'ensemble des savoirs et savoir-faire sollicités et à acquérir pour agir et réagir face à l'environnement à partir du

moment où ceux-ci sont perçus par l'élève et le professeur » (Hébrard, 1986). Pour Pineau, ils « regroupent l'ensemble des connaissances essentielles dans chacune des pratiques abordées, c’est-à-dire les principes opérationnels et les contenus méthodologiques permettant le réinvestissement et la structuration des connaissances et des savoirs » (Pineau, 1992).

Ce qu’il faut donc retenir de ces deux étapes de la transposition didactique est que d’une part, « le savoir tel qu’il est enseigné est nécessairement autre que le savoir initialement désigné comme devant être enseigné » (Chevallard, 1992) ce qui renvoie à la notion de transposition didactique interne et d’autre part que ce travail de l’enseignant est dépendant « d’assujettissements », et que la distance entre savoir savant et savoir à enseigner est évolutive (transposition didactique externe). Ces savoirs transmis, issus de la transposition didactique, sont donc jugés dignes d'être enseignés, appris, évalués. Perrenoud insiste sur « les limites de la transposition didactique : tout ce qu'on enseigne dans une école ou une université ne renvoie pas nécessairement à des savoirs ou à des pratiques homologues hors institutions d'enseignement. L'école a une capacité de création de savoirs et de pratiques. Les découpages du réel qui fondent les frontières d'une discipline sont des « construits sociaux, épistémiques et pragmatiques. Ils sont changeants, partiellement arbitraires, enjeux de conflits, expression de rapport de force » (Perrenoud, 1996). En effet, une trop grande décontextualisation conduit à une perte de sens pour les élèves et à un émiettement des pratiques de référence. Cela nous renvoie à la question de la distance entre pratique de référence et pratique scolaire. Le sens est à prendre dans sa double signification : interpréter et prendre une direction. La définition de ces savoirs de référence, ainsi que leur transmission, est essentielle à la formation initiale des enseignants qui perpétuent à leur tour l'identité de la discipline. La maîtrise du traitement didactique semble être à nos yeux une exigence fondamentale dans la formation initiale : choix et organisation des contenus d'enseignement, adaptation des contenus, contextualisation des interventions, compréhension des élèves dans leur rapport aux pratiques pour mieux enseigner. Elle fait partie des compétences didactiques professionnelles à maîtriser en tout premier lieu par l’enseignant.

La notion de rapport au savoir va nous permettre d'aborder cette dynamique du sujet en formation. L'EPS introduit, nous l'avons vu, une autre problématique qui est celle de l'implication de sa propre mise en jeu corporelle et celle de l'autre. Cette notion place alors le sujet et son corps comme un tout singulier, rapport à soi, rapport aux autres, rapport à son environnement, ce qui permet en quelque sorte de relier les différentes dimensions de

l’homme : l'homme social, affectif, psychologique, et de considérer comme complémentaires les différentes approches didactique, psychologique et psycho-sociale.