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L’ACTIVITE KARATE

1. Options conceptuelles spécifiques utilisées en didactique clinique de l’EPS

1.2. La recherche clinique

« La recherche clinique est une activité médicale visant à améliorer la connaissance soit d'une maladie soit d'une thérapeutique. La recherche clinique concerne l'être humain. En pharmacologie par exemple, elle est dominée par les études du médicament administré à l'homme, dans le cadre des essais cliniques » (Allain, Milon, Van Den Driessche, 1985). D’un point de vue purement scientifique, on ne peut donc pas dire que nous faisons une recherche clinique si on entend par là une recherche menée sur l'être humain dans le domaine de la santé. Pour autant, A. Terrisse utilise le terme quand il écrit : « la recherche clinique sert à interroger le rapport singulier qu’entretient le sujet à l’activité qu’il pratique pour en rendre compte, l’identifier, la caractériser » (Terrisse, 1998). Ce rapport « ne pourra être élaboré qu’à partir d’une prise en compte du cas par cas, ce qui caractérise la clinique du singulier, celle de la position subjective de chacun » (ibid.). Il est vrai que la récente appropriation du terme de clinique dans des champs qu’elle n’avait pas à l’origine investi va obliger les chercheurs à un effort de précision des termes utilisés, effort que nous commençons à effectuer dans ces lignes afin, justement, d’apporter notre contribution à cedébat scientifique.

Qu'en est-il de la « démarche clinique », cette notion relativement récente en formation et éducation ? A l'origine, la clinique est relative au médecin qui, au chevet du patient, observe les manifestations de sa maladie et les réactions de celui-ci en même temps qu'il l'interroge et l'écoute. Par la suite, elle a été transposée à l'examen des individus non malades puis des groupes (psychologie sociale clinique) très souvent dans un but de formation. Sigmund Freud a employé pour la première fois le terme de « psychologie clinique » dans sa lettre à W. Fliess en janvier 1899. En 1949, D. Lagache (cité par Daniel Anzieu dans le

Dictionnaire de psychologie), évoque une « méthode clinique » (Lagache, 1949) reposant sur

trois postulats :

- un postulat dynamique : le psychisme humain est constitué de conflits intra et intersubjectifs;

- un postulat interactionniste : la conduite qui est la réaction de la personne à la situation dans laquelle elle se trouve (état d'esprit interne, milieu psychique et social externe) ;

- un postulat historique : la personnalité en évolution depuis sa naissance avec une alternance de moments de crise et de périodes de stabilité ; la conduite d'une personne à un moment donné étant le produit de son passé et de ses projets.

Michel Foucault, quant à lui, publie en 1972 une étude historique de la clinique sous le titre « Naissance de la clinique », mais pour ce qui est de la « démarche clinique » dans le milieu de l'éducation, il faut attendre le début des années 1990 pour la voir apparaître dans les écrits (Imbert, 1992 ; Cifali, 1994 ; Perrenoud, 1994 ; Revault d’Allonnes et al., 1999). Plus récemment encore apparaît un autre concept, celui de « clinique de l'activité », dans le domaine de l'ergonomie et de la psychologie du travail (Clot, Prot, Wherte et al., 2001). Il apparaît donc, dans le champ des Sciences Humaines, ce que nous pourrions nommer un « courant clinique » en ce sens où :

- d'une part, des recherches, des analyses de pratiques, des formations, etc. sont menées, non pas « au chevet du patient » mais auprès d'acteurs engagés dans et intéressés par l'objet d'étude, grâce à « cette posture particulière qui permet à un professionnel de construire des connaissances à partir de situations particulières dans lesquelles il est impliqué » (Cifali, 1999),

- d'autre part que ces approches sont souvent guidées par « le souci de l'action, de la compréhension et de la transformation des situations de travail » (Clot, 2001).

- Enfin que la pratique des chercheurs, des formateurs, n'est plus un simple exercice d'application de connaissances acquises. De fait, « le sens clinique exige de n'être pas centré sur soi » (Cifali, ibid.), de ne plus être dans (l'illusion de) la maîtrise, d'accepter l'incertitude.

Quelle définition, alors, donner de l’approche clinique ? Pour J. Ardoino « Est donc proprement clinique aujourd'hui, ce qui veut appréhender le sujet (individuel et/ou collectif) à travers un système de relations (constitué en dispositif, c'est-à-dire au sein duquel le praticien, où le chercheur, comme leurs partenaires, se reconnaissent effectivement impliqués), qu'il s'agisse de viser l'évolution, le développement, la transformation d'un tel sujet ou la production de connaissances, en soi, comme pour lui ou pour nous, « s'agissant » plutôt d'une sagacité d'accompagnement dans une durée, d'intimité partagée » (Ardoino, 1989). C’est ce parti pris, cette volonté de redonner aux sujets enseignants et apprenants une place centrale dans la relation didactique qui caractérise l’option clinique des travaux didactiques de l’AP3E. L’approche clinique en didactique a pour conséquence directe de « sortir de l’ombre » (Carnus, in Terrisse, à paraître) l’activité des protagonistes du système didactique, l’enseignant et les élèves dans leur singularité, en tant que sujets « entièrement engagés » (ibid.) dans l’acte d’enseignement apprentissage, avec ce qu’ils savent et ce qu’ils sont.

Du point de vue de la démarche, M. Cifali et P. Perrenoud la définissaient ainsi dans un fascicule qui était destiné aux étudiants de l'Université de Genève s'orientant vers les métiers de l'enseignement : « La démarche clinique est une façon de prendre du recul vis-à-vis d'une pratique : elle se fonde sur l'observation, qu'il y ait problème ou non ; elle permet d'élaborer des hypothèses ou des stratégies d'action par la réflexion individuelle ou collective, la mobilisation d'apports théoriques multiples, des regards complémentaires, des interrogations nouvelles. Elle sollicite des personnes-ressources qui mettent en commun leurs points de vue pour faire évoluer la pratique ainsi analysée. C'est un moyen de faire face à la complexité du métier d'enseignant en évitant le double écueil d'une pratique peu réfléchie ou d'une théorie déconnectée des réalités vécues. […] Elle peut, dans certains domaines, s'inspirer d'une démarche expérimentale, dans d'autres s'apparenter à une recherche-action, dans d'autres encore emprunter certains outils ou paradigmes à la supervision ou à la relation analytique » (Cifali, Perrenoud, 2001). Par ailleurs, Cifali énonce que « ceux qui oeuvrent dans ce contexte, avancent qu’il y est question de situations où les acteurs sont impliqués ; où s’élabore, avec les interlocuteurs en présence, une compréhension de ce qui se passe, une co- construction d’un sens qui provoque parfois du changement ; où s’instaure une articulation théorie pratique particulière, un lien entre connaissance et action » (Cifali, 1999). Et elle souligne que la démarche clinique « n'appartient donc pas à une seule discipline ni n'est un terrain spécifique ; c'est une approche qui vise un changement, se tient dans la singularité, n'a pas peur du risque et de la complexité, et co-produit un sens de ce qui se passe » (ibid.). Dans les faits donc, la démarche clinique se traduit en modalités diverses dont l'analyse de pratiques, mais toutes ont, selon Perrenoud « un dénominateur commun : elles mettent l'accent sur les fonctionnements en situation » (Perrenoud, 1994) et il y est toujours question d'apprendre dans et sur la situation, l'action, l'acte pédagogique et ce en prise directe avec des praticiens concernés. Ainsi, « la démarche clinique vise plutôt, à partir de l’expérience, à alimenter la construction de savoirs nouveaux ou l’intégration et la mobilisation réflexives de savoirs acquis » (Perrenoud, 2001). Il est alors évident qu'une telle démarche dans le cadre de la formation demande de courir des risques, d’une part pour les personnes en formation, par le fait d'être invitées à s'exposer et d'être conduites à se remettre en question et d’autre part pour les formateurs, qui ne sont plus dans la « maîtrise », mais dans l'accompagnement, la médiation, la guidance, le partage et parfois le doute. Elle suppose donc un changement de posture des formateurs ainsi que des personnes « en formation » et présente l'avantage de s’harmoniser avec un acte éducatif (un acte formatif) qui aidera ces dernières, les « se formant », à ne plus être dans une attente de transmission de savoirs normés, pré-établis et

relativement figés, mais à construire leurs propres savoirs, à se construire dans la réflexivité et le conflit (cognitif, sociocognitif), à développer leur identité professionnelle. Adopter une démarche clinique en recherche nécessite donc de respecter un ensemble de règles déontologiques, permettant de se plier à une éthique professionnelle.

La prise en compte a priori du point de vue du sujet comme l’a qualifiée M.F.Carnus (Carnus, 2003) est en rupture avec l’idée d’un sujet générique, épistémique. Cette nécessité entraîne de fait une seconde graduation dans la dimension clinique dans la recherche en didactique : celui de la convergence entre des options conceptuelles et des options méthodologiques. Postuler pour la singularité du sujet enseignant et le mettre au cœur de ses analyses didactiques amène le chercheur à se questionner autour d’une théorie du sujet en didactique. Nous entrons là dans « une démarche clinique» (Carnus, in Terrisse, à paraître) dans la recherche en didactique.

La dernière question est celle de la posture : à quelles conditions a-t-on le droit de dire que l’on adopte une posture clinique ? La posture renvoie selon le dictionnaire à une attitude, celle-ci pouvant être perçue différemment par autrui dans un contexte particulier. L’attitude est en effet subjective car elle renvoie à « la boîte noire » du sujet (Klein, 2001), autant que le comportement est objectif car observable directement mais difficilement explicable en dehors du sujet ! Il nous semble alors que la posture renvoie au caractère que nous nous donnons dans une communauté humaine particulière. Ainsi, si nous nous adressons à des collègues dans un but formatif, nous adoptons une posture de formateur, tandis que si nous communiquons nos travaux à la communauté scientifique, nous sommes dans une posture de chercheur. Comme le souligne C. Blanchard Laville, « la posture à trouver pour qu’un professionnel assume progressivement de pouvoir tenir sa place ne s’enseigne pas. D’une part, elle ne s’apprend pas non plus en une fois au cours des années de formation, mais elle continue à se construire en travaillant dans son après-coup l’expérience de l’exercice professionnel en situation réelle » (Blanchard-Laville, 2001). Il s’avère donc comme nous le dit Terrisse que « si les concepts de la didactique constituent un ensemble cohérent permettant de rendre compte de la circulation des savoirs (transposition didactique, Chevallard, 1985), des interactions en classe » (contrat didactique, Brousseau, 1988), la notion très controversée de clinique pose plus clairement la part personnelle qu’introduit le sujet, enseignant, dans le processus d’enseignement. Notre groupe de recherche, l’AP3E, a trouvé pertinent d’associer les deux termes pour rendre compte de « l’intérêt d’une didactique clinique de l’EPS »

(Terrisse, ibid.). Cette « démarche » ouvre la porte à un troisième niveau qui engage le chercheur – lui aussi sujet – dans la construction d’une posture clinique « qui consiste à intégrer explicitement a priori et a posteriori la subjectivité du chercheur à différentes étapes de la recherche comme par exemple ses choix d’objets de recherche, ses options conceptuelles et méthodologiques, ses hypothèses interprétatives. Prendre en compte la posture du chercheur amène alors à évoquer les dimensions éthique et déontologique de la recherche sur les pratiques enseignantes. « La posture du chercheur se construit et c’est aussi en quelque sorte une façon d’objectiver la subjectivité du chercheur – subjectivité constitutive des objets, théories, démarches, matériel et résultats de sa recherche, subjectivité empreinte d’une histoire et d’une trajectoire singulière » (Carnus, ibid.). Dans cette optique, « d’objectivation de la subjectivité du chercheur » (ibid.), nous proposerons dans la conclusion de la thèse de tenter d’expliciter « l’après-coup du chercheur » et nous citerons J.-P. Sartre, qui nous dit que « pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l’autre, comme une liberté posée en face de moi et qui ne veut ou ne peut que contre moi. Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde, que nous appellerons l’inter-subjectivité, et c’est dans ce monde que l’homme décide ce qu’il est et ce que sont les autres » (Sartre, 1962).

A ce stade de notre recherche, il est temps de faire état de notre position de chercheur en didactique clinique :

- tout d’abord, notre travail va mettre en exergue la singularité du sujet enseignant et de sa référence. Ce facteur en tant qu’influence externe et interne s’avère intervenir de manière significative dans le processus de division du sujet enseignant. C’est ce qui nous amène à notre deuxième question de « la place symbolique de l’enseignant ». L’emprunt par Chevallard de la formule de Lacan, le « sujet supposé savoir » nous paraît s’appliquer dans la mesure où l’enseignant se réfère en définitive à ce que l’institution attend de lui. Son statut d’enseignant l’incite à rechercher une certaine conformité scolaire dans son enseignement, ce qui peut expliquer les raisons de son option didactique en contradiction avec sa pratique personnelle du karaté.

- Ensuite, notre travail pourrait illustrer ce que nous nommerons « le mot interdit », qui peut se rapprocher de ce que Terrisse nomme « l’impossible à supporter » (ibid.). Le combat qui comme nous allons le montrer dans le chapitre consacré à la connaissance de l’activité karaté

représente « l’impossible à faire » dans le contexte scolaire, et nous verrons si c’est un « mot interdit » dans les entretiens que nous mènerons.