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RESULTATS DE L’ETUDE DIDACTIQUE CLINIQUE

2. Etude de cas : Michel

2.1. Présentation de l’enseignant collaborateur

Les enseignants qui participent à cette recherche ont déjà été décrits dans les analyses préliminaires en début de seconde partie de la thèse. A partir de leurs réponses à l’enquête préliminaire, nous avions en effet proposé un état des lieux de leur déjà-là, expérientiel, conceptuel et intentionnel. A des fins de rappel, Michel, âgé de 40 ans, est enseignant d’EPS depuis quinze ans. Il a quatre ans de pratique de karaté et a atteint le grade de ceinture marron. Il enseigne le karaté en EPS dans son établissement à des élèves de BEP 1ère année maintenance cyclo-moto. Sa pratique du karaté est quelque peu irrégulière, avec des périodes d’inactivité (il a commencé à 23 ans), et il reprend cette année dans un club du style kyokushinkaï, réputé très dur, dans le sens où les coups sont portés de manière réaliste à l’entraînement et où les compétitions de combat vont au KO d’un des adversaires. Agrégé d’EPS, Michel est un enseignant qui réfléchit beaucoup sur sa pratique, afin de progresser dans celle-ci. Il n’hésite pas ainsi à s’investir dans de nombreux projets dans son établissement comme par exemple dans des classes européennes où il enseigne en espagnol.

2.2. Première phase de l’étude de cas : le déjà-là de Michel 2.2.1. Etude des planifications

Le projet de cycle fourni par Michel est joint en annexe 8 (cf. document : annexes de la thèse). On pourra d’ores-et-déjà noter que le titre précise bien qu’il s’agit d’un « cycle karaté kyokushinkaï ». Il est donc connoté puisque référé à cette école, ce style dont la particularité est un enseignement presque exclusivement orienté vers le combat. Michel procède dans ce projet à une analyse de l’activité, en définissant celle-ci : « art martial de percussion dérivé du goju ryu » qui est une école de karaté traditionnelle comme nous l’avons déjà défini en fin de première partie de la thèse. Il résume ensuite les règles principales qu’il faut retenir pour lui des combats et la notion de contrôle des coups. Une autre partie du projet s’attache à la description de la classe, où Michel propose son analyse des élèves par les ressources disponibles : « ressources énergétiques, cognitives, affectives et motivation ». Ces deux études débouchent sur une proposition de contenus d’enseignement, en terme de

compétences attendues, à savoir « acquérir les principes de l’affrontement en préservant son intégrité physique… ». Michel intègre alors dans son projet la préoccupation sécuritaire. Il donne ensuite des éléments sur sa démarche, ainsi que du traitement didactique, comme par exemple le « processus d’apprentissage, centré sur la compréhension de l’activité et des distances de travail ». Les transformations attendues sont déclinées en rapport aux programmes d’EPS du lycée, en « techniques et tactiques, connaissance de soi et savoirs faire sociaux ». Enfin, Michel détaille le contenu de la première séance avec « présentation de l’activité, travail technique sur tsuki et geri puis sur blocages en situation de résolution de problème ; petits assauts ». On notera que les autres séances ne sont pas prévues à l’avance et remplies par l’enseignant au fur et à mesure de l’avancée du cycle, en fonction notamment de la progression des élèves. Comme nous l’a confié Michel lors d’une discussion non enregistrée (en fin d’EPS1, le dictaphone ayant été éteint, Michel revient sur cet aspect de son travail sans que le chercheur s’attende à cette précision) cela correspond à son « mode de

fonctionnement » dans la mesure où de son point de vue, cette adaptation d’une séance sur

l’autre est le propre de l’enseignement. Il ne peut en effet prévoir les contenus de la deuxième séance sans avoir fait le bilan de la première, notamment en ce qui concerne le ressenti des élèves, leurs progrès, leur motivation et de ce fait les remédiations qu’il va devoir effectuer. Il nous dira fonctionner ainsi d’une année sur l’autre, en ne gardant jamais de traces de ses cours car chaque classe est unique et le cours de karaté de la classe X en 2007 ne peut pas être refait à la classe Y en 2008. Michel considère l’enseignement comme une adaptation continue, d’une séance à une autre, d’un cycle à un autre, d’une année sur l’autre et il ne refait donc jamais deux fois la même chose, même à deux niveaux de classe identiques.

2.2.2. Etude de l’entretien ante séance 1 (EAS1)

La première question qui a été posée à Michel concerne son parcours personnel en karaté. Il a commencé le karaté lorsqu’il était adulte : « j’avais 23 ans » (cf. annexe 9, EAS1). Par contre ses débuts étaient intensifs puisque comme il le dit « j’ai pratiqué quasiment

quatre à cinq fois par semaine pendant cinq ans ». Il a eu ensuite une période d’interruption « dû à une blessure » puis « a repris cette année en changeant de style de karaté ». Michel est

actuellement ceinture marron de karaté mais n’a quasiment pas d’expérience en compétition

(« une compétition, une Coupe de France »). Nous lui demandons ensuite quelles sont ses

intentions dans le cycle karaté qu’il va faire, à quoi il répond que ce qu’il veut développer

entrée traditionnelle qui inclura une forte exigence technique et des savoirs éthiques comme le salut, le respect de l’adversaire par exemple. Dans un deuxième temps, il aborde l’aspect technico-tactique et la première transformation qu’il veut voir apparaître chez ses élèves :

« passer d’un travail de poings unique à un enchaînement pieds poings ». Dans un troisième

temps, Michel compte aborder l’aspect technique et enfin le combat et l’arbitrage. On ne sait pas, à ce moment, si la chronologie de son exposé rend compte de l’importance qu’il accorde, soit aux aspects techniques, soit aux aspects stratégiques ou si cela ne rend compte que de l’organisation de sa réflexion. On peut cependant en déduire une certaine hiérarchie des savoirs dans l’esprit de Michel puisqu’il commence en disant « ce que je veux développer

c’est d’abord l’approche culturelle […], ensuite l’aspect technico-tactique. Dans un troisième temps l’aspect technique, enfin le combat et l’arbitrage ». Nous pourrons étudier par la suite

si cette hiérarchie est ou non respectée dans ce qu’il enseigne réellement, ce qui pourra alors faire émerger un écart entre SAE et SRE.

2.2.3. Les traces du SAE

Au niveau du SAE, les contenus à privilégier pour Michel sont : « techniques grâce à des formes variées de travail (kata, kihon, kumite) et la gestion du couple risque sécurité » (cf. annexe 7). De même, le contenu des séances est : « basé essentiellement sur un apport technique au départ avec glissement progressif vers l’assaut et le combat ». Il s’avère que Michel accorde donc une place non négligeable aux apports purement techniques mais en début d’apprentissage. Après quoi, il dit pouvoir passer à un enseignement plus stratégique et tactique, une fois que les bases techniques sont intégrées par les élèves. Ce souci de Michel est clairement identifiable dans son projet de cycle où il fait état des transformations attendues : « techniques et tactiques ; passer d’une défense passive à une défense active (garde et mobilité). Passer d’une attaque simple et sporadique à une attaque construite et enchaînée (niveau et arme). Passer d’attaques hors distance à des attaques qui touchent », qui sont d’ailleurs extraites des programmes d’EPS du lycée (2001). Il est évident que les programmes, dont l’analyse se trouve en fin de première partie de la thèse, et dans la mesure où très peu de choses y sont spécifiées, sauf pour la boxe et la lutte dans les documents d’accompagnement, induisent un type de traitement didactique, une approche transversale des sports de combat. Comme les enseignants collaborateurs sont spécialistes de l’activité karaté, on peut faire l’hypothèse qu’ils ont des difficultés à rentrer par les programmes. Les propos de Michel dans l’EAS1 confirment cette option puisqu’on peut lire : « on va commencer à aborder la

terminologie sur tsuki, sur geri après on verra un petit peu les blocages. Ensuite, il y a l’aspect je dirais technico-tactique, travailler sur l’enchaînement pieds-poings, c’est la première transformation que je souhaite voir chez les élèves : passer d’un travail de poings unique à un enchaînement pieds-poings ». Ces propos pourraient aussi bien s’appliquer à de la

boxe française ou toute autre activité de combat de percussion.

Au terme de cette analyse du SAE de Michel, on peut dire que l’enseignant se positionne clairement dans une optique d’articulation duo/duel, qui est d’ailleurs prônée par les programmes dans les activités de combat en lycée (ibid.) auxquels Michel fait référence dans son projet. Le SAE de Michel se révèle dans une dominante que l’on peut qualifier de technico-tactique, terme souvent utilisé dans les activités de combat pour définir une approche duale, à la fois technique et stratégique pour reprendre les termes que nous utilisons pour classer les savoirs selon Margnes (2002).

2.2.4. Etude de l’entretien ante séance d’évaluation (EASEV)

Cet entretien s’est réalisé de manière brève car Michel était apparemment très concentré sur ce qu’il avait à faire et semblait surtout un peu « stressé » quant à la gestion horaire de sa séance. Ce stress, bien évidemment, pouvait aussi provenir de la présence en cours du chercheur, avec tout le dispositif de recueil mis en place, comme la caméra vidéo et le dictaphone porté par l’enseignant durant toute la séance. La question qui lui a été posée concernait donc ses intentions, au niveau de l’évaluation des élèves, ce à quoi il répond que

« l’objectif est d’évaluer les transformations opérées pendant le cycle. Les élèves sont évalués en combat, dans l’épreuve du combat. Il y a juste les coups de pieds qui sont modérés, pour des questions de sécurité, et qu’ils s’investissent dans les combats sans peur. De plus, la cible visage est interdite, pour les mêmes raisons. A part ça, on est en combat, c’est libre ». Nous

lui avons ensuite demandé de nous expliciter un peu la fiche de co-évaluation dont il nous a donné un exemplaire avant le début du cours mais, comme il allait la détailler avec les élèves, il a voulu gagner ce temps et nous faire profiter de l’explication en même temps qu’eux. On peut néanmoins détailler la fiche que l’on trouve en annexe 8 car les critères présents peuvent nous donner des indications précieuses sur le SAEV de Michel. Ainsi, Michel distingue l’évaluation en défense (deux critères) et celle en attaque (trois critères) :

- les deux critères en défense concernent « la mobilité, se dégage latéralement » et « la garde, se protège ».

- Les trois critères en attaque sont : « attaque toutes les lignes », enchaîne les coups » et « précision des coups ».

Si les critères sont présents, les indicateurs ne le sont pas, ce qui n’est pas si étonnant du fait que nous avons à faire à un enseignant expert et expérimenté. On peut en effet supposer comme l’a montré une étude de B. David qu’il a les indicateurs, au sens où il les sait, car il a construit cette compétence (David, 2000). Les critères de garde et d’enchaînement sont plutôt des critères techniques. Par contre, le critère de défense, qui envisage un décalage dans lequel l’élève sort de la ligne d’attaque pour rester à distance de son adversaire et contre- attaquer plus facilement, relève d’un savoir stratégique. De la même manière, les critères d’évaluation de l’attaque qui envisagent celle de toutes les lignes, autrement dit de cibles diverses, ainsi que la précision des coups font aussi plutôt référence à des savoirs stratégiques. On peut ainsi dire que la co-évaluation mise en place par Michel est pour trois critères sur cinq stratégique, ce qui constitue déjà un écart avec le début du cycle, beaucoup plus centré sur l’enseignement de savoirs techniques.

2.2.5. Les traces du SAEV

Dans l’enquête préliminaire, Michel envisage une évaluation « tripartite : respect de la tradition avec un kata, du kihon sur les techniques vues et du combat libre ou dirigé en fonction du niveau de classe » (cf. annexe 7). En début de cycle, sa position a évolué puisqu’il dira dans l’EPS1 qu’il « va les évaluer dans une situation à incertitude modérée avec deux

aspects : un aspect d’efficacité des touches et la capacité à se replacer dans cette situation d’assaut » (cf. annexe 11). Cet écart, d’une évaluation centrée sur les trois domaines

traditionnels de l’entraînement en karaté à une évaluation uniquement centrée sur le combat, peut s’expliquer d’une part par le temps qui est passé, entre l’enquête et le cycle qui a été observé, environ une année ; d’autre part, comme nous l’avons déjà évoqué, par le fait que dans ce laps de temps, Michel a changé d’école de karaté et a commencé le kyokushinkaï, style qui est réputé très dur et très orienté vers le combat. Juste avant la séance d’évaluation, sa position a encore évolué puisqu’il prévoit « l’évaluation en combat libre ». Il a fourni la fiche d’évaluation dont les élèves vont se servir, sans la détailler : il dira juste que les élèves sont évalués en combat, en co-arbitrage et co-évaluation avec en défense des critères de «

mobilité, de garde et de décalage » ; en attaque : « les cibles, l’enchaînement et la précision des coups » (cf. annexe 8). On assiste donc à ce niveau à une évolution de la référence de

Michel par rapport au savoir à évaluer, dans la mesure où il passe d’un projet d’évaluation très proche du karaté traditionnel avec une évaluation technique et stratégique à une évaluation beaucoup plus centrée sur des aspects stratégiques dans sa réalisation effective en fin de cycle. On peut penser que les raisons de cette évolution sont liées au changement de référence de Michel, qui entre temps a modifié sa pratique personnelle, son expérience de pratiquant, ce que nous pourrons lui demander au cours de l’EAC. Nous pouvons à ce stade de notre recherche proposer un tableau récapitulatif du déjà-là de Michel (cf. tableau 30) qui permet de mettre en lumière à la fois les continuités, mais aussi les ruptures qui sont pour nous autant d’écarts qui se révèlent au sein même des intentions de l’enseignant, au niveau des SAE et SAEV.