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RESULTATS DE L’ETUDE DIDACTIQUE CLINIQUE

SAVOIRS SAE SAE

2.3.2. Discussion sur le SRE

L’enseignant respecte ce qu’il a annoncé dans son projet de cycle, à savoir qu’il entre dans l’activité par la technique pour glisser progressivement vers des savoirs stratégiques; c’est d’ailleurs l’annonce de présentation qu’il fait aux élèves dont voici un extrait : « cette

première séance, et les deux trois qui suivent, on va faire essentiellement un travail technique pour que vous soyez capables d’acquérir une posture de garde et des coups techniques. Plus on va avancer, plus on va travailler des enchaînements de combat ». Cette démarche est

somme toute classique dans les activités de combat ou même duelles. Il s’agit en effet d’isoler les problèmes hors du contexte de l’opposition pour peu à peu réinvestir ce champ (de l’opposition). L’enseignant fait donc travailler ses élèves en solo et en duo et glisse au fur et à mesure des acquisitions techniques du duo vers le duel, donc du technique vers le stratégique. Dès le début de la première séance, Michel met en place un travail qu’il qualifie ainsi : « même position de départ. Bien, il se met en garde. Moi je me mets ici et je vais faire

partir…Vous partez d’ici, vous armez. Concentration première chose sur les appuis. Les sensations des appuis sont importantes, abdos fessiers contractés. C’est de l’énergie, on la restitue. Là on verrouille et c’est lourd » (cf. annexe 10). Pour autant, cette situation semble

mettre en jeu plus que des savoirs techniques. Michel n’est pas dans la technique pure dans la mesure où il ne s’agit pas de répéter un mouvement de manière décontextualisée. C’est là toute la différence entre technique (finalisée par un but) et technicisme (technique étudiée en tant que telle, pour le geste) : Michel apporte la technique comme quelque chose que les

élèves vont pouvoir utiliser comme des solutions dans le contexte de l’opposition. Pour revenir à la dernière situation évoquée, les élèves sont en effet par deux, dans un contexte de travail en duo. Il y a une cible à viser, et des consignes sur les appuis, les sensations sont données par l’enseignant. Même si les élèves ne sont pas en déplacement, ils doivent ajuster leur distance par rapport au partenaire afin de délivrer le coup le plus efficace possible. A ce propos, Michel donnera d’ailleurs la consigne suivante : « regardez là, c’est lui qui reçoit le

coup. C’est donc pas à lui d’avancer, s’il reçoit le coup. Ca, c’est ma distance. Chacun trouve sa distance ; Hugo n’a pas la même distance que moi. Quand je demande cette position, si c’est pas une chaîne, des pieds jusque là, ça ne marche pas ! ». La situation mise en place fait

donc appel à un travail sur la distance et sur les sensations, qui sera définie par Michel dans l’après-coup de « proprioceptive ». Michel donnera dans l’entretien post séance sa définition de la technique, qui est en accord avec le travail qu’il a fait réaliser aux élèves : « Je suis

rentré par la technique pour travailler justement sur la sensation, sur l’assise, pour dédramatiser un peu le combat, pour les recentrer sur les sensations. Donc moi la technique je l’entends pas : je prends position, je prends mes appuis pour ensuite donner un coup. C’est une étape. Il n’y a pas d’incertitude, on travaille sur les sensations, ce n’est qu’un travail technique. La technique, elle, renvoie à un positionnement c’est-à-dire qu’il faut être équilibré, en appui pour frapper ». Cette définition de la technique telle que l’entend Michel

est très intéressante car elle rend compte d’une dimension importante des arts martiaux qui veut que l’esthétique et l’efficacité soient intimement liés. En effet, la technique la plus simple en karaté, comme donner un coup de poing est souvent la plus complexe car elle met en jeu un ensemble de coordinations et de gestes qui doivent être parfaitement maîtrisés pour réaliser la technique de manière efficace, nous dirons même efficiente c’est-à-dire avec le maximum d’économie d’énergie. Ainsi, lorsque l’on donne un coup de poing, même sans déplacement, il ne faut pas considérer le seul bras qui frappe. D’abord, les deux bras travaillent puisqu’il y en a un qui frappe et un qui effectue un « tirage », coude vers l’arrière au dessus de la hanche, afin aussi de préparer une autre attaque ou une défense. Ensuite, ce mouvement s’effectue avec une rotation de la hanche qui vient donner l’impulsion nécessaire au coup proprement dit. Enfin, on notera que tout le mouvement doit se faire de manière relâchée, sans contraction musculaire sauf à l’impact proprement dit. Michel semble alors bien intégrer cet aspect complexe de la technique en karaté en faisant le choix de cibler ses consignes de réalisation sur le versant proprioceptif des techniques qu’il veut faire apprendre à ses élèves. Michel semble développer une référence bio informationnelle de l’enseignement

du karaté en EPS qui ne fait pas partie de celles que nous avons détaillées en première partie. Cette référence est de ce fait très personnelle et inattendue.

De plus, pour lui, le seul fait de mettre les élèves par deux en situation de coopération ne suffit pas à dire que l’on est sur un apprentissage de type stratégique : « C’est pour cela

que l’impact qu’on va développer est important. Si on travaille toujours à vide, ils ne sentent rien. On ne sent rien à vide, on ne sent à vide que finalement quand on a connu des sensations d’équilibre, d’impact, là oui ça sert » (cf. EPS1, annexe 11). Dans ce cas, le duo va servir

l’objectif de l’enseignant pour que ses élèves travaillent sur les sensations d’impact, et cela reste un objectif kinesthésique, proprioceptif. On notera néanmoins que Michel n’hésite pas au milieu de la première séance à intégrer à son enseignement des savoirs réellement stratégiques : « quand je suis en garde, la jambe arrière c’est la droite. Ca, c’est un code de

combat » (cf. S1, annexe 10). En effet, dès que l’on aborde la gestion du combat proprement

dit en terme d’informations prises par le combattant et/ou d’alternance des rôles (passer du rôle d’attaquant à défenseur et inversement), on aborde le versant stratégique de l’enseignement même si cela reste quelque peu implicite chez Michel pour le moment. Il faudrait de plus donner aux élèves les moyens de décoder les postures de l’adversaire, ce qui est alors de l’ordre de l’enseignement d’un autre type de savoir, extéroceptif comme l’est le décodage d’informations visuelles. Ainsi, on peut repérer dans le discours de Michel une part non négligeable d’enseignement stratégique, comme par exemple encore : « la même chose

mais regardez la différence. Une main ici, une main là, je l’amène là, j’amortie, j’absorbe son énergie. Je ne vais surtout pas contre parce que si je vais contre, aïe ! Cette notion d’absorption (elle) va être primordiale. Pour mawashi, vous avez uchi uke, contre, contre, on a vu les limites. Vous avez soto uke, je le fais passer à l’intérieur, c’est plus intéressant parce que je rentre ici…ici » (ibid.). Dans cette démonstration, Michel tente de faire comprendre

aux élèves l’intérêt d’absorber l’attaque adverse de manière à pouvoir mieux enchaîner sur la contre-attaque. Son enseignement renvoie là à des aspects stratégiques dans la mesure où il donne aux élèves des solutions pour changer de rôle dans des conditions optimales de distance par rapport à l’adversaire. Il n’est plus là sur un travail technique mais semble basculer sur des principes stratégiques complexes (l’absorption de l’attaque adverse et l’adaptation d’un blocage au type d’attaque délivrée) dans la mesure où les élèves n’en sont effectivement qu’au tout début de l’apprentissage. De plus, on notera là un écart entre SAE et SRE dans la mesure où le « glissement progressif » que Michel évoquait se fait plus rapidement que prévu. A ce propos, il évoque dans l’EPS1 ce passage : « la bascule va se faire très rapidement. On

va commencer à travailler sur des enchaînements rapides avec peu d’incertitude certes et des enchaînements de combat, pieds et poings, sur des cibles et sur l’arme. Cela va arriver très vite, d’abord comme situation de travail et ensuite avec plus d’incertitude, on va travailler en situation d’assaut, avec contrôle bien sur mais où l’incertitude est totale » (cf. EPS1, annexe

11). Michel paraît très lucide quant à l’évolution du cycle, qu’il a déjà envisagée.

L’enseignement de Michel lors de cette première séance est aussi emprunt de savoirs éthiques : « qui dit art martial dit respect. Quand on est à deux en petite opposition, on

commence et on finit par un salut. Ca, on va le respecter. Troisième, le salut. Quand on est dans un dojo, il y a la photo du Maître, le shomen. Normalement c’est shomen ni reï. Ici il n’y en a pas donc c’est senseî ni reï. On s’incline. Dernière chose : keritsu. On se lève ». Il garde

cet aspect spécifique et traditionnel de l’art martial qui inclut le respect du partenaire, du lieu d’entraînement et du professeur. Ceci avait déjà été remarqué par Margnes (2002) qui avait étudié la multiplicité des savoirs enseignés en combat, travaux auxquels nous nous sommes déjà référés, notamment pour classifier les savoirs en jeu.

Enfin, la sécurité est pour lui importante, de manière à ce que les élèves puissent adhérer à l’activité : « ce qui est intéressant pour nous, ce n’est pas de se mettre K.O.

Comprenez bien que ce soit mon rôle aussi bien que votre intérêt à vous, c’est que tout le monde pratique en toute sécurité » (cf. S1, annexe 10). Pour autant, ce que dit là Michel n’est

pas courant, notamment le « ce n’est pas de se mettre K.O ». Redoute-t-il que les élèves débordent au point de se bagarrer ? Ou dit-il cela uniquement pour bien poser les règles et quelque part marquer les esprits de ses élèves en insistant sur le fait que ce n’est pas leur intérêt ? Michel intègre progressivement à son enseignement des savoirs sécuritaires de manière aussi à développer l’autonomie de ses élèves en les responsabilisant sur les règles à respecter, par exemple les zones cibles autorisées en combat : « nous pratiquerons des

touches essentiellement, pas des frappes. Nos zones cibles seront épaules, pas de coups au visage. C’est un sport qui se travaille à mains nues, mais quand on fera des combats, nous utiliserons quand même des gants de boxe, pour des raisons de sécurité » (ibid.). Nous

rappellerons que ce qu’entend Michel par touches renvoie à un aspect de contrôle moteur afin de faire en sorte de retenir son coup dans le but de ne pas faire mal à son partenaire. Lorsqu’on parle de frappes en combat, c’est que ce contrôle n’est plus existant et que les combattants ne retiennent plus les coups. Dans cette acception, pour Michel, la maîtrise technique est un facteur essentiel de sécurité, comme il l’évoque dans l’EPS1 : « au karaté si

la technique n’est pas un minimum assise ou acquise par les élèves, on touche à des problèmes de sécurité. Dans le combat, avec la gestion affective de l’activité, des techniques qui ne sont pas suffisamment maîtrisées peuvent amener des blessures inutiles, que l’on peut éviter en travaillant comme on le fait sur des sensations, sur des placements, sur des cibles. Cela permet de limiter les risques d’accident ». Michel reviendra d’ailleurs sur cet aspect lors

de l’EPSEV, ce qui prouve bien l’importance de cette préoccupation pour lui : « Je me refuse

à faire du combat sur des aspects techniques qui ne sont pas maîtrisés parce qu’en combat, il faut que les élèves puissent travailler en confiance et s’ils commencent à se faire mal parce que les techniques ne sont pas suffisamment maîtrisées, on arrive à annihiler tout le bénéfice et l’intérêt du combat. Ils(ne) vont pas s’engager, ils vont rester en retrait. Je veux asseoir le cycle sur quelque chose qui soit à peu près propre donc avec une certaine maîtrise technique qui leur permettra de fonctionner à peu près en sécurité. Après, j’ai travaillé sur une limitation de l’espace de frappe, pour éviter tout ce qui est blessure, que les élèves puissent travailler en confiance » (cf. EPSEV, annexe 14). Il semble que Michel ait ce souci de

sécurité, légitime car c’est l’une des préoccupations permanentes du professeur d’EPS mais que l’on peut peut-être expliquer de surcroît par le fait de son choix de l’école de référence kyokushinkaï, réputée pour son efficacité, et même sa dureté. L’enseignant a peut-être voulu se prémunir au maximum de possibles problèmes liés à l’intégrité physique de ses élèves, comme il peut en vivre en club et qu’il ne compte pas voir émerger dans son cours d’EPS. Le SRE de Michel durant cette première séance est plutôt à dominante technique dans une optique sécuritaire mais il commence à diffuser des savoirs stratégiques, que les élèves ne mettront pas à l’épreuve lors de la première séance. L’articulation entre les savoirs techniques et les savoirs stratégiques se fera comme Michel l’a dit « rapidement mais progressivement » (cf. EPS1, annexe 11). Michel se révèle lucide et intègre une préoccupation sécuritaire à son enseignement. Si l’on compare Nicolas et Michel, nous pouvons déjà dire que le sens que donnent les enseignants à l’activité en EPS n’est pas de même nature et que ce qui est enseigné par Michel semble être avant tout son propre rapport au savoir. Le SRE de Michel durant cette première séance est à dominante technique et sécuritaire, tandis que celui de Nicolas était plus techniciste. En effet, Michel ne conçoit pas la technique comme une fin (d’apprentissage d’un seul geste) mais comme un moyen (de contrôle du geste dans une optique proprioceptive et sécuritaire). Il est en effet sur la recherche de constructions de perceptions, de sensations dans un but technique et stratégique. Nous observons alors une référence proprioceptive dominante chez Michel au niveau de son SRE.