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RESULTATS DE L’ETUDE DIDACTIQUE CLINIQUE

SAE SRE SAEV SRE

3. Perspectives de travail

A ce stade de l’avancée de notre recherche, les études du cas Nicolas (pré-étude de cas) et Michel (première étude de cas) montrent toutes deux des écarts plus ou moins importants entre les différents savoirs en jeu dans la chaîne transpositive. Les écarts, en tant qu’outils, permettent de rendre compte de l’évolution des références au cours du processus de transposition didactique. Dans les deux cas Nicolas et Michel, il émerge un écart particulièrement significatif entre ceux-ci et la référence de l’enseignant, source de remaniements. Ceci nous permet de dégager provisoirement deux conséquences :

- les remaniements du sujet, entre ce qu’il sait et ce qu’il sait faire (les déjà-là), ce qu’il veut faire (le SAE) et ce qu’il fait réellement, (le SRE). En effet, SAE, SRE, SAEV et SREV ne peuvent pas être envisagés dans la linéarité dans la mesure où l’enseignant semble utiliser des références parfois différentes en fonction du moment de son enseignementet de son intention. - Des références à chercher ailleurs, notamment dans l’expérience et l’expertise de l’enseignant. Le statut d’enseignant débutant de Nicolas, qui a servi de pré-étude de cas interroge à la fois sur sa capacité professionnelle à manipuler les variables didactiques de l’activité (Loizon, 2004) et son manque de recul et d’expérience pour effectuer un travail de traitement didactique personnel. Il se peut en effet que ce soit moins la contingence de la classe que son inexpérience professionnelle qui se révèle comme un frein pour adapter le karaté qu’il veut enseigner à ces élèves très peu concentrés sur leur travail en classe. La caractéristique propre à Nicolas, d’enseignant débutant, semble donc à prendre en considération. On serait tenté de croire a priori, et parce qu’il le dit que sa référence n’est que le combat, car c’est un aspect du karaté qu’il pratique en compétition. En fait, sa référence scolaire s’avère technique et traditionnelle tout au long de son enseignement. En d’autres termes, Nicolas a renoncé à enseigner ce qu’il connaît le mieux. La référence de l’enseignant n’est donc pas toujours celle du pratiquant, thèse déjà développée par Chevallard mais qui s’exprime ici en terme de renoncement (Chevallard, 1985). La pré-étude de cas Nicolas nous a surtout servi à fonder la particularité de notre méthodologie, qui envisage une transposition ascendante alors qu’elle est souvent envisagée de manière descendante. Dans cette thèse, nous partons des savoirs enseignés pour remonter à la référence de l’enseignant. De plus, comme la pré-étude de cas Nicolas a montré le poids de l’expérience du pratiquant, et en l’occurrence le biais de son inexpérience d’enseignant d’EPS, nous avons opté dans les études de cas

suivantes pour des enseignants et experts en karaté et expérimentés dans l’enseignement de l’EPS.

L’étude de cas Michel a quant à elle fait émerger la dynamique de la nature de la référence utilisée par l’enseignant : elle se révèle bien dans les écarts mais parce qu’elle est constamment remaniée par l’enseignant au cours des différentes phases de son enseignement. En définitive, il s’avère que c’est moins la référence que la fonction de cette référence qui change dans ces remaniements, passant par exemple d’une fonction technique à stratégique ou encore sécuritaire suivant les éléments déclarés par l’enseignant. Il semble alors que l’écart lui-même devienne un outil d’analyse de tout premier ordre au chercheur car il lui révèle la « véritable » référence utilisée par l’enseignant dans la conduite de son enseignement. Cela nous amène à affiner notre définition de la référence qui est empreinte de l’expertise de pratiquant, aussi de l’expérience d’enseignant et surtout se trouve activée en fonction des contingences auxquelles se trouve confronté le professeur dans l’épreuve d’enseignement. Ce facteur, en tant qu’influence, s’avère intervenir de manière significative dans la structure de division constitutive du sujet enseignant, entre ce qu’il sait faire (son expertise) et ce qu’il peut faire en EPS (son expérience), d’où l’intérêt de l’approche clinique en didactique.

La référence, qui semble organiser une grande part de la pratique enseignante, interroge le rapport au savoir de l’enseignant, en questionnant son rapport personnel aux savoirs qu’il dit avoir comme référence. A ce stade des premières conclusions, il est possible d’extraire un cadre d’analyse de la référence enseignante, dont les indicateurs sont les suivants :

- les écarts aux savoirs, du SAE au SREV.

- Les aspects fonctionnels de la référence : est ici envisagée la référence enseignante en tant qu’action dans un contexte scolaire, avec des caractéristiques propres : technique, stratégique, éthique, sécuritaire, informationnelle. Ces aspects de la référence vont ainsi renvoyer à son utilité, sa nature, son rôle dans l’enseignement produit. Ce sont en somme les effets de la référence qui sont supposés et constatés par le chercheur, déclarés par l’enseignant.

- Les aspects structurels de la référence : ils vont envisager la manière dont la référence est construite par l’enseignant et envisagée dans ses parties, notamment fonctionnelles. Dans cette optique, suivant la nature de l’organisation de la référence dans les

éléments de structure qui la composent, on pourra pondérer l’importance du culturel, du personnel ou encore de scolaire dans sa composition.

Afin d’illustrer notre propos, nous allons tout d’abord mettre à l’épreuve ce cadre d’analyse à l’étude de Michel. L’étude de son cas est en effet particulièrement intéressante dans la mesure où elle met en lumière que Michel enseigne avant tout des savoirs centrés sur les sensations. Ce type de savoir n’est même pas enseigné, ou très peu, en club, où l’enseignement du karaté reste très traditionnel et basé sur des savoirs techniques, alors que le « travail interne » est la base des arts martiaux, mais son enseignement est souvent oublié. A moins que ce soit un travail implicite, comme l’a conduit Michel, à savoir un travail technique qui vise des savoirs stratégiques et sécuritaires. Michel base son cycle sur un enseignement qu’il dit lui-même « proprioceptif ». Il est donc sur un registre d’enseignement du combat en EPS fort original car la nature du savoir qu’il enseigne n’est pas celle habituellement enseignée, technique ou stratégique, ni en club, ni en EPS. Ce type de savoir est pour autant très actuel à l’école, puisque les programmes de lycée (2000) mettent en avant ces « savoirs sur soi ». On peut alors faire l’hypothèse que le savoir que développe Michel, sa transposition en tant que traduction personnelle au niveau scolaire subit inévitablement un effet de l’institution. L’étude du cas Michel fait donc émerger un autre type de référence en combat, qui peut être définie comme une centration sur le sujet. A ce stade, on peut se demander d’où vient ce savoir émergent ? Encore une fois, c’est chez Michel lui-même que nous trouverons la réponse à cette question car il dit au cours de l’EAC « quand je fais quelque chose, je le

digère… ». Cette métaphore de la digestion qu’utilise Michel nous semble particulièrement

significative de son cas : Michel crée sa propre référence, qui subit deux influences, son expérience d’enseignant et son expertise personnelle de karatéka. Ce qu’envisage Michel en début de cycle ne peut pas se retrouver sous la même forme à la fin car il s’adapte, « digère » comme il dit ce qu’il fait à chaque séance pour modifier les suivantes. Dans cette optique, la référence de Michel peut être qualifiée de dominante scolaire, car elle correspond à l’adaptation de l’enseignant à un contexte particulier et changeant. Elle est surtout très personnelle, marquée par le rapport au savoir personnel de l’enseignant : son expertise de karatéka.

L’étude de cas Michel nous a aussi montrée que le statut de la référence change avec les trois temps de la didactique clinique. En effet, il s’avère qu’au temps du déjà-là, la référence est souvent invoquée par l’enseignant dans ses planifications, voire évoquée dans

l’EAS1. Elle est mobilisée au cours de l’épreuve d’enseignement, et convoquée, voire re- convoquée au cours de l’après-coup, quand l’enseignant revient sur ce qu’il a fait et justifie ses choix (cf. tableau 32).

Temps de la didactique clinique Déjà-là Epreuve Après-coup Chaîne transpositive SAE-SAEV SRE-SREV AC Statut de la référence

Invoquée Mobilisée Re-convoquée

Tableau 32 : statut de la référence aux trois temps de la didactique clinique

L’étude de cas nous a déjà montré quelle référence principale Michel invoquait, mobilisait ou encore convoquait, mais nous pouvons le préciser à des fins de rappel dans le tableau suivant, à partir de l’analyse précédente (cf. tableau 33) en incluant les aspects structurels de la référence, en rapport avec son statut :

Chaîne transpositive

SAE SAEV SRE SREV AC

Statut de la référence

Invoquée Mobilisée Re-convoquée Structure de la

référence Culturelle Scolaire Personnelle

Tableau 33 : évolution des aspects structurels dominants de la référence de Michel dans la

chaîne transpositive

Nous pouvons à partir de là procéder à l’analyse des différents écarts évoqués antérieurement. On constate avant tout la dynamique de la référence, notamment au cours de l’épreuve. Cela est intéressant à noter dans la mesure où l’on peut faire l’hypothèse que c’est l’épreuve même de l’enseignement qui contraint l’enseignant à s’adapter et à mobiliser une référence qu’il n’avait pas nécessairement prévu de mobiliser a priori mais qu’il a peut-être

incorporée à son insu (ce qui pourra être éventuellement précisé dans l’après-coup). On constate que celle-ci n’est pas occultée dans l’après-coup mais re-convoquée, re-appropriée par lui. Le savoir « proprioceptif » de Michel est à considérer comme émergent dans la mesure où il n’était pas envisagé dans le SAE. Par contre, il ne sert comme Michel nous l’a déjà dit qu’à « l’atteinte des compétences plus stratégiques » car il n’est pas directement évalué, mais peut être le fondement de ce qu’il souhaite enseigner implicitement. C’est à ce niveau que nous pouvons en tant que chercheur inférer une fonction bio-informationnelle à cette référence de Michel, et une structure scolaire, en analysant son poids dans l’enseignement produit par l’enseignant, au regard de son expertise de pratiquant et son expérience d’enseignant.

A ce stade de notre interprétation, et pour mettre à l’épreuve ces énoncés interprétatifs nous proposons alors l’étude de deux autres cas enseignants (Giovanni et Alain), en utilisant ce cadre dans une analyse de cas croisée. Nous allons ainsi nous attacher pour chacun, à chaque étape de la chaîne transpositive, à repérer les écarts et à en déduire les différences de fonction et de structure de la référence invoquée et mobilisée par ces deux enseignants. L’entretien d’après-coup nous servira alors à revenir avec chacun d’eux sur ces écarts pour extraire les raisons de ces modifications et faire émerger la référence re-convoquée alors. Le plan que nous allons suivre pour l’étude de cas croisée, à partir des verbatim des deux enseignants Giovanni et Alain retranscrits en annexes est le suivant :

- une première phase sera consacrée à une analyse comparative des déjà-là des deux enseignants.

- Les deuxième et troisième phases viseront respectivement à comparer les SAE et SAEV de Giovanni et Alain, puisleurs SRE et SREV.

- La quatrième phase sera consacrée à l’analyse comparative des après-coups des deux enseignants.