• Aucun résultat trouvé

L’évolution des arts d’Okinawa : l’apparition de différents styles de karaté

En quoi et comment une pratique d’enseignement du karaté en EPS renvoie-t-elle à une référence, et laquelle ?

3. La connaissance de l’activité karaté : les références au savoir

3.1.4. L’évolution des arts d’Okinawa : l’apparition de différents styles de karaté

Cette partie de l’histoire du karaté est autant primordiale qu’elle est intéressante, car elle permet de bien comprendre comment sont nés les différents styles de karaté pratiqués actuellement : Shotokan, Wado-ryu, Shito-ryu, Ueshi-ryu etc. Chacune de ces écoles se différencie des autres par des différences techniques et d’approche de l’activité. Ainsi, certaines insistent sur le versant compétitif, d’autres sur la technique et les kata ou bien sur le renforcement du corps. De plus, certaines écoles, comme le style shito ryu que nous détaillons plus loin se présente comme une synthèse des différents arts du combat, elle-même liée à l’histoire de la création et de l’évolution de ce style qui se veut une véritable méthode de self- défense dans la mesure où quelques principes opérationnels, utiles, ont été dégagés dans un but d’efficacité. Comme le soulignent H. Reid et M. Croucher (1987), on pense que deux mouvements se dessinèrent à Okinawa lorsque le roi Sho Shin désarma les nobles et les rassembla dans sa ville de Shuri. D’une part, les nobles apprirent et développèrent l’art du combat à mains nues, le « te ». D’autre part, paysans et pêcheurs commencèrent à utiliser comme armes les instruments de leur métier : fléaux, poignées de meule, faux, brides de cheval et même rames se transformèrent en armes mortelles. Les deux traditions s’entouraient du plus grand secret, et leur diffusion resta largement limitée à leurs classes sociales d’origine. Le te était l’affaire des nobles de la cour, alors que les Ryukyu bujutsu (arts de combat armé des Ryukyu) se développèrent dans le peuple. Encore aujourd’hui, plusieurs des plus grands maîtres de karaté, par exemple Shotoku Kyan, descendent de familles royales et nobles de la ville de Shuri. La première démonstration d’arts martiaux chinois dont l’histoire a conservé la trace à Okinawa remonte à 1761. On connaît aussi l’histoire personnelle de plusieurs maîtres du te de l’époque. Certains d’entre eux, comme Chatan Yara, se rendirent dans la province du Fu-Kien, en Chine pour y étudier. Inversement, un grand maître chinois, Kusanku, passa six ans à Okinawa. Puis, au XIXème siècle, l’art d’Okinawa commença à être connu sous le nom de « T’ang-Te », soit « la main chinoise ». Même si l’art était pratiqué en

secret, généralement en pleine nuit ou juste avant l’aube, trois styles distincts commencèrent à apparaître : le shuri-te, l’art qui se développa à Shuri était pratiqué par les samouraïs de la cour, alors que dans le port voisin de Naha et dans la petite ville de Tomari, le peuple développa ses propres formes de te, le naha-te et le tomari-te. Les particularités propres à ces styles résultent vraisemblablement du fait qu’ils ont été influencés par des traditions chinoises différentes (ibid.). Certains indices portent à croire que le shuri-te serait issu de la boxe du temple de Shaolin (art martial qui serait issu des exercices enseignés par Bodhidharma aux moines du temple de Shaolin) alors que le naha-te (l’art pratiqué à Naha) a plutôt adopté les techniques souples taoïstes. « Tao » est un terme chinois signifiant « la voie ». Le taoïsme est fondé sur des écrits attribués à Lao Tseu, philosophe chinois qui vivait au IVème siècle av. J.C. et qui prône le travail de la respiration et le contrôle du « ki », de l’énergie vitale. Quant au tomari-te (art pratiqué à Tomari), il s’est manifestement inspiré des deux traditions. Il faut cependant souligner que les villes de Shuri, de Naha et de Tomari ne se trouvent qu’à quelques kilomètres de distance et que les différences relevées entre les styles sont minimes.

A la fin du XIXème siècle, les différents styles prirent encore une fois un autre nom. Les arts de Shuri et de Tomari furent groupés sous une seule appellation : Shorin ryu, ce qui veut dire littéralement « l’école du pin souple ». Le naha-té devint connu sous le nom de Goju-ryu, « l’école dure et souple » dont le développement est l’œuvre du grand maître Higaonna Kanryo. Le Shorin ryu se divise à son tour en plusieurs styles légèrement différents, alors que le Goju-ryu est resté essentiellement uniforme sur le plan stylistique. Traditionnellement, on dit que le style Shorin Ryu est plus léger et plus rapide que le Goju- ryu, et que ses positions sont généralement plus hautes. On est donc, au XIXème siècle, en présence de deux grands styles de Karaté, profondément semblables hormis quelques différences d’ordre technique.

A l’heure actuelle, en revanche, on remarque l’impressionnante diversité des styles pratiqués. Cette constatation s’explique fort aisément : en effet, à l’origine, Funakoshi enseigna une seule méthode : le Shotokan. A sa mort, ses élèves rayonnèrent à travers le Japon et, insensiblement, adaptèrent le karaté à leur morphologie. Les grands, dotés d’une force physique supérieure pratiquèrent et enseignèrent un karaté statique, les petits et minces, au contraire, développèrent le côté « vitesse d’exécution » et leur karaté se différencie par de grands déplacements très rapides. De plus, certains s’attachèrent parallèlement à développer la « compétition », d’autres la « self-défense » tandis que d’autres encore préféraient étudier et

enseigner le karaté sous son aspect le plus traditionnel. Très vite, et pour cause, des dissensions éclatèrent. Des pratiquants rompirent avec leurs condisciples et partirent créer leur propre Ecole, cherchant à la différencier des autres par des différences techniques (positions, enchaînements de mouvement…).

En d’autres termes, le karaté actuel est multiple dans la mesure où, suivant la formation initiale de l’enseignant (le style pratiqué) et sa conception de l’activité, le pratiquant va être orienté dans sa pratique vers un karaté à fort degré compétitif ou au contraire traditionnel. En effet, comme le développe cette partie historique, le karaté est à l’origine une pratique de combat et un art martial. L’art renvoie d’une part à un ensemble de règles ou de méthodes pour effectuer quelque chose. Le terme « martial » d’autre part vient de Mars, dieu de la guerre chez les romains. Selon le dictionnaire petit Robert (1990), c’est « tout ce qui est relatif à la guerre ». Dans le même ouvrage, les arts martiaux sont définis comme « les sports de combat traditionnels d’Extrême-Orient ». En quoi, alors, le karaté do est-il un art martial ? Comme nous l’avons développé dans notre premier chapitre, les arts martiaux n’ont pas vu le jour que pour permettre aux soldats de se défendre sur le champ de bataille. Ce ne sont pas non plus des sports, car à l’état pur, ils sont libres de toute contrainte. Leur finalité est l’efficacité maximale du combat et ils représentent à l’heure actuelle un ensemble de disciplines sans règlement mais obéissant à une éthique précise, visant d’autres buts éducatifs que le conflit ou la compétition : à savoir par exemple la discipline du corps et de l’esprit, le respect d’autrui, l’adhésion à un code moral. C’est l’idée qu’expriment J. Crémieux et M. Audiffren lorsqu’ils écrivent que « la pratique efficace est une notion centrale des pratiques martiales. Elle guide constamment l’apprentissage et le perfectionnement des combattants. […] Il ressort de l’examen des principales orientations de la pratique martiale un projet global de formation du combattant consistant à favoriser chez lui une triple adaptation ou harmonie, à soi, aux autres et à l’environnement » (Cremieux et Audiffren, 1991). Ainsi, pour répondre à notre question de départ, nous appuierons notre argumentation sur la définition du concept du «Do» qui est à la base de l’évolution des Bu-jutsu, d’abord simples techniques martiales, en Budo, voies de la perfection. Comme le souligne R. Habersetzer (2000), « il s’agit simplement d’une voie empruntée par l’homme motivé et sincère, progressant dans la maîtrise de son corps et de son esprit. Cette préoccupation centrale fait la différence entre un pratiquant d’art martial et un pratiquant de sport de combat ». Pour autant, il ne faut pas tomber dans le clivage trivial de deux mondes qui ne se croisent jamais. La plupart des styles ou écoles de karaté considèrent les deux aspects comme indissociables dans le karaté, selon la

théorie du ying et du yang où tout est dans tout et inversement. S’il y a clivage à un moment donné, il ne peut venir que du sujet, et de notre avis, de la référence de l’enseignant. Pour illustrer notre propos, nous prendrons un exemple de développement d’un style de karaté, le style shito ryu, qui a justement su allier deux références du karaté. Au début du XIXème siècle, Anko Itosu, né à Okinawa en 1832, étudie le shuri-te avec maître Matsumura. Il devient à son tour expert de cette pratique aux techniques longues, vives et dures (style Shorin). Plus tard, Kanryo Higaonna, né à Naha, capitale d’Okinawa étudie le Naha-te et devient aussi expert de cette méthode qui se distingue de la précédente par des techniques plus courtes, plus souples et plus rapides (style Shorei). Le jeune Kenwa Mabuni, né en 1893 à Okinawa, étudie les deux styles avec ses deux Maîtres. A la mort de ceux-ci, souhaitant continuer leur œuvre, Kenwa Mabuni s’installe à Osaka et fonde sa propre école « Shito ryu » qui est une synthèse logique des styles Shorin et Shorei. Etymologiquement, « shi » est le nom de l’idéogramme japonais qui signifie « ito » de Itosu et « to » signifie « higa » de Higaonna, par respect des principes établis par les deux Maîtres, mais aussi pour leur rendre hommage. La création officielle du Shito ryu date de 1938 (cf. interview de Kenei Mabuni, in Karaté info n° 6, juin 2002), et son fondateur mourra en 1952. Son enseignement est alors relayé par ses fils : Kenzo à Okinawa et surtout Kenei, actuel chef de file du Shito ryu. Il réside encore à Osaka mais n’hésite pas à parcourir le monde (ibid.) à plus de 80 ans, avec le relais, notamment en France, de Maître Hidetoshi Nakahashi dont le dojo est en Corse, près de Bastia. Maître Nakahashi, 9ème dan et expert fédéral, explique les techniques du Shito ryu en ces termes : « les caractéristiques techniques du Shito ryu empruntent à la fois du Shuri Té et du Naha Té. Le style est marqué par la subtilité (perception des attaques) et la vitesse. Les techniques s’appuient sur la mobilité du bassin, les déplacements du corps et la déviation des attaques. Le style est considéré comme très esthétique tout en demeurant puissant » (Entretien dans Karaté Bushido, avril 2000). Jean-Luc Clerget, 7ème dan et élève du Maître ne le contredit pas lorsqu’il revient sur ces débuts après plus de 30 ans de pratique : « j’ai été séduit par l’esthétique de ce style qui en plus propose une grande variété de techniques » (ibid.). Si l’aspect esthétique semble être une composante fondamentale du style, ce n’est pas au détriment de l’efficacité :

- les techniques sont en effet courtes, enroulées.

- Les déplacements en esquives sont systématiques pour sortir de la ligne d’attaque. - Les positions sont variées afin de respecter une distance optimale par rapport à

- Le principe « sen no sen », qui consiste en une « attaque dans l’attaque » par anticipation de l’action adverse, est inclus dans l’enseignement de manière très précoce.

Le shito ryu est donc caractéristique d’un travail qui allie la vitesse et l’esthétique technique. Celles-ci se réalisent dans une très grande mobilité des hanches, dans les déplacements courts et les blocages circulaires, avec les coudes près du corps. Le fondateur du shito ryu, Kenwa Mabuni avait énoncé cinq principes fondamentaux, qui résument bien l’essence de son style (Nakahashi, 2002) :

- le premier principe est « Ten I ». Il s’agit du travail de placement, de manière à se retrouver dans l’angle mort de l’adversaire afin qu’il soit dans l’impossibilité de voir venir la contre-attaque, et ne soit plus en mesure d’enchaîner.

- Le deuxième principe est « Rakka » : il consiste en l’action de casser une attaque au seul moyen d’un blocage. Par exemple, un blocage gedan baraï sur une attaque mae geri doit non seulement empêcher la jambe adverse d’atteindre son corps, mais aussi blesser l’adversaire par le seul moyen du blocage afin qu’il soit au moins assez déstabilisé pour ne plus pouvoir enchaîner les attaques.

- Le troisième principe est « Ryushi » : il provient de l’influence provenant de la boxe chinoise, par le biais de l’enseignement de maître Higaonna. L’idée est basée sur la notion de rythme, notamment pour s’adapter constamment à celui de l’adversaire et utiliser sa force, comme en aïkido. Ici, la mobilité du bassin va être utilisée de manière primordiale pour bloquer une série d’attaques.

- Le quatrième principe est « Kushin » : on va s’appuyer sur le travail des jambes, et principalement la flexion-extension des genoux, tout en gardant une rectitude vertébrale. L’efficacité des blocages est alors augmentée car relayée par la puissance des jambes.

- Le dernier principe est « Hangeki » : c’est la contre-attaque. La défense est dans l’attaque et réciproquement. On rejoint là le « sen no sen » que nous évoquions plus avant : le blocage et la contre-attaque sont effectués dans le même mouvement.

Bien entendu, ces principes ont été détaillés à des fins d’explicitation mais se retrouvent liés dans l’épreuve du combat. Ils constituent une forme de savoir « utile » pour le combattant en ce sens qu’il a été conçu à des fins d’efficacité. De plus, quitte à développer un style particulier de karaté dans le but d’une meilleure connaissance et compréhension de la

pratique, autant que ce soit notre référence du karaté, car c’est dans l’école shito ryu que nous avons débuté le karaté, et que nous n’avons plus quittée.

3.2. Référence sportive du karaté