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La sous-traitance se traduit par des segmentations dans le collectif de travail du site industriel, et par là même par des segmentations dans les institutions

représentatives du personnel (IRP ) et par le glissement du salariat du site vers des

entreprises de taille plus petite dans lesquelles la représentation du personnel est

affaiblie ou inexistante.. Dans des entreprises sous-traitantes relevant de grandes

firmes, qui dépendent elle-mêmes de plusieurs conventions collectives, le travail

syndical est rendu de ce fait plus compliqué. C’est le cas par exemple à la SNEF ,

où le délégué central de la CGT « négocie les trois conventions », alors qu’il

relève personnellement de la métallurgie, qui ne représente que 10 % des activités.

Le rapport salarial et les formes de subordination dans le travail subissent un processus d’individualisation. On observe des entorses systématiques au droit du travail, de très grandes difficultés à mettre en place les IRP et à les faire fonctionner correctement quand elles existent. La répression anti-syndicale – qui n’épargne pas totalement les syndicalistes des Donneurs d’Ordre - est souvent féroce au sein des entreprises sous- traitantes. Elle se traduit par des menaces permanentes sur les militants syndicaux qui s’exposent, et tout particulièrement sur ceux qui s’exposent sur les sites industriels où à la pression de l’employeur sous-traitant s’ajoute celle d’un donneur d’ordre qui, comme le dit un syndicaliste de la PETROX, « ne s’est jamais privé de faire savoir aux entreprises extérieures qu’il valait mieux ne pas avoir de syndicat trop organisé pour obtenir des contrats » .

Une telle situation oblige donc très souvent à développer un syndicalisme quasi- clandestin, avec tous les effets de cette situation des relations professionnelles sur l’individualisme salarial et l’affaiblissement de l’audience syndicale [encadré].

La répression du syndicalisme : quelques exemples

A la PETROX même : en 1993-1994, la direction lance une procédure de licenciements contre 12 militants, dont 4 élus CGT au CHSCT, sur lesquels elle « s’acharne particulièrement » : selon V.P. « ça tendrait à prouver que ce qui les gêne le plus c’est pas nécessairement ceux qui s’occupent de politique mais ceux qui s’occupent de petites questions, qui vont fouiller dans les cancérigènes, dans les accidents. En plus c’étaient des gens pugnaces. »

Chez ST 4 : huit ans de procédure pour tenter de licencier un délégué CGT suite à une grève pour l’embauche de jeunes précaires. Il sera finalement ré-intégré.

Chez ST 3 : un délégué CGT se voit « interdit d’accès au site » de la PETROX, et isolé dans les ateliers où il est « mis au placard » : depuis il a gagné tous ses procès.

Chez ST 1 : « achat » de syndicalistes par l’employeur, blocage de carrière des élus. La direction a été « mise en demeure » une centaine de fois par l’inspection du travail : « sans le soutien de l’inspecteur, j’aurais déjà pété un câble. Ça va que ma femme travaille et que je n’ai pas d’enfant, mais de temps en temps je vais à la colinne, et puis je cris, je sens que je suis à bout ». Et les relations professionnelles sont telles que le responsable CGT renonce à demander un local syndical : « ils sont capables de tout et j’ai peur de ces gens. Pas physiquement, mais des mamoeuvres et des accusations dont ils sont capables. J’avais demandé d’avoir la clé du CE, mais quand j’ai appris qu’à Pau ils ont accusé l’élu CGT d’avoir tout volé, j’ai renoncé. Je ne veux rien d’eux »

A contrario plus récemment à la PETROX, réunion annuelle de suivi de carrière de tous les élus du personnel sur le principe qu’il ne soient pas au minimum dans la moyenne de l’évolution de leur catégorie professionnelle.

D’où d’un côté, une action syndicale de terrain, nécessairement « tous azimuts » et multiforme, s’efforçant de couvrir tous les registres de la précarité et de passer de la défense du cas individuel à la revendication collective, avec le risque d’éclatement revendicatif et d’épuisement militant d’un tel type d’action ; et, d’un autre côté, la recherche de thèmes d’interventions transversaux aux différentes expériences de la précarité, susceptibles de faire converger les revendications et de rassembler les énergies syndicales. Nous verrons que les questions de la santé au travail sont un de ces thèmes.

1-2-2 Implications de la sous-traitance sur les salariés organiques

Le développement de la sous-traitance est indissociable de la contraction continue du personnel propre des grands Donneurs d’Ordre et de l’élévation de son niveau de qualification, en particulier avec l’externalisation des activités d’entretien et de maintenance. Le syndicalisme en est ipso facto doublement affaibli.

La sous-traitance s’accompagne de plusieurs conséquences du côté des salariés organiques.

Des suppressions de postes et des réductions d’effectifs interviennent, via des « plans sociaux » associés à des licenciements plus ou moins « déguisés ». En achetant ainsi la paix sociale chez le personnel organique le patronat se donnait les moyens également de neutraliser toute velléité de résistance à l’externalisation chez ces dernier. D’autant plus que les premiers travaux sous-traités étaient plutôt des activités jugées pénibles ou dégradantes. Cette stratégie patronale a été, ici comme ailleurs, très efficace, notamment en paralysant l’action syndicale : « Quand tu proposes à un salarié de partir à 55 ans, comme c’était revendiqué par la CGT, et que tu lui donnes des sous pour ça, c’est difficile à contre-carrer» (Jourdan). « Pour gagner les travailleurs à cette politique, ils leur ont donné 30 points de plus, ils leur ont filé des primes, ils ont fait des FNE avec départ à la retraite à 55 ans à des niveaux pratiquement les meilleurs de la région. Dans certains cas, le gars partait avec 102 ou 103% de son salaire » (Huc).

Le développement de la participation aux bénéfices, avec indexation d’une partie des salaires sur les performances financières (et non industrielles) du Donneur d’Ordres, entre en tension avec la solidarité potentielle avec les travailleurs de la sous-traitance : les revendications de ces derniers peuvent être perçues comme pouvant freiner la participation aux bénéfices.

Certains syndicalistes analysent d’ailleurs le développement de l’actionnariat chez les « organiques » comme un contre feu patronal aux convergences revendicatives entre salariés du Donneur d’Ordre et des grands sous-traitants de 1 er rang.

Cette réduction du personnel « organique » par externalisation d’activités peut se poursuivre « en cascade » du côté des sous-traitants. On observe ainsi chez nombre d’entreprises sous-traitantes de 1° rang l’utilisation des mêmes mesures de gestion de l’emploi tendant à désamorcer l’action collective. C’est le cas par exemple pour des opérations d’usinage réalisées sur l’un des sites pétrochimiques : lorsqu’elles ont été confiées à un sous-traitant de second rang, cela s’est traduit par des départs anticipés à la retraite, des reclassements internes, et des départs vers des entreprises sous-traitantes concurrentes.

Les salariés organiques sont dépossédés du contrôle sur du processus de production : la maîtrise des parties sous-traitées de processus et le pouvoir que cela confère aux salariés ne se joue plus dans le rapport salarial direct organiques/donneur d’ordres autour des

formes de coopérations entre salariés, mais passe par le contrat commercial donneur d’ordres/sous-traitant qui échappe par principe aux salariés et place les coopérations entre organiques et sous-traitants sous la domination du rapport commercial, renvoyant chaque catégorie de salariés à son propre rapport salarial. Sur certains sites comme celui de la PETROX, le salariat du site se partage déjà en deux moitiés égales entre personnel propre et salariat en sous-traitance. D’où une tendance chez les salariés sous-traitants à minorer le rôle productif des « organiques » :

« Parce qu’il ne faut pas oublier que c’est la sous-traitance qui fait 80% du travail

(…) et eux ils appuient sur des boutons » (syndicaliste ST 1)

Enfin, toute une part de la qualité du travail réalisé dépend désormais des prescriptions commerciales du donneur d’ordres sur le sous-traitant, avec des conséquences sur les questions de santé, les accidents du travail, et la sécurité-même des installations.

1-2-3 Qui sont les travailleurs de la sous-traitance ?

En l’absence de données complètes et précises, on peut repérer les profils sociaux des salariés de la sous-traitance à partir des informations transmises par les syndicalistes rencontrés, ainsi que de la nature des activités sous-traitées, et

Ces derniers isolent volontiers un type particulier de travailleur, qu’ils baptisent souvent « mercenaire » ou « forfaitaire », des autres salariés. Les premiers, vus clairement comme minoritaires, « choisissent » leur instabilité d’emploi, les seconds la subissent. Cette catégorisation est sans doute forgée d’abord à partir de leur relation au syndicalisme. Les premiers s’en tiennent à distance parce qu’il sont «individualistes », motivés par le gain quel qu’en soit le coût en terme de conditions et de temps de travail. Ils ont même parfois le statut d’artisan. Si les seconds se syndiquent également fort peu c’est pour d’autres raisons - la peur des sanctions, l’espoir d’un statut plus stable – et ils se rapprochent parfois des syndicats, mais dans une relation utilitaire [Encadré]. La figure professionnelle typique du premier profil est celle du soudeur hautement qualifié.

La nature des activités sous-traitée aujourd’hui est très diverses, puisqu’à certaines externalisées de plus longue date – transports, restauration, gardiennage, nettoyage, travaux neufs – se sont ajoutées une grande partie de la maintenance et de l’entretien des installations, aux côtés de travaux spécialisés touchant désormais au cœur du process. Ces activités mobilisent donc autant une main-d’œuvre qualifiée et spécialisée, principalement mais pas seulement ouvrière84 – csp « ouvrier qualifié de type industriel » - soudeurs, tuyauteurs, mécaniciens, mesureurs, instrumentistes, maçons, calorifugistes, électriciens, électroniciens… - qu’une main-d’œuvre ouvrière ou employée non qualifiée. La première est la base sociale traditionnelle du syndicalisme. Dans la seconde, la composante juvénile et/ou d’origine immigrée est importante. Ainsi chez ST 1, sous- traitant de premier rang, 40% des ouvriers sont d’origine maghrébine. Un des responsables de la CGT est d’ailleurs dans ce cas.

84 Relever ici ou ailleurs l’élévation du niveau de qualification chez les sous-traitants de 1er rang,

« Précarité choisie » des « mercenaires », « précarité subie » d’ autres précaires

« Il y a deux sortes d’intérimaires. Il y a ceux qui le subissent pour différentes raisons : trop jeunes, trop vieux. Et il y a ceux qui le revendiquent, qui ne veulent que ça, qui ne veulent pas de relation avec les CDI, ceux qu’on appelle les « forfaitaires » - en fait des « indépendants » - « les mercenaires », ceux qui sont payés à la tâche, « au pouce », c’est-à-dire à la longueur de tuyaux soudés et qui se font 1.200-1.500 francs par jour. C’est énorme ce qu’ils gagnent, c’est 4 fois ce que je gagne. Ce sont des gens qui sont très forts dans leur métier. Ceux-là, c’est même pas la peine d’aller les voir (…) C’est des jeunes autour de 30-35 ans, qui viennent de se marier, « faut que ça rentre » (…) Il y a de tout dans l’intérim. Il y a le super pro qui sait qu’il arrivera à se vendre, qui est bien avec le patron de la boîte d’intérim. Il y a ceux qui ont un carnet d’adresses, qui travaillent tous les jours, mais qui peuvent presque faire 5 boîtes d’intérim différentes sur la semaine. Ce sont des gars qui jonglent comme ça (…) Il faut les voir dans les ateliers, ils ne lèvent pas la tête, parce qu’ils sont payés « au pouce », des gens qui sont très compétents dans leur métier et qui restent 12 h par jour (…) ils se font 1200 F par jour. Ils sont capables de souder dans des positions inimaginables et c’est toujours nickel. C’est des artistes, j’en connaît qui savent soudeur à deux mains avec deux baguettes. Ils ont une force de travail qui est quand même impressionnante parce qu’ils sont attirés par le gain. Et puis, il y a des tarifs au pouce selon le métal et la difficulté (…) Pour le repas, ils ne vont pas à la cantine, ils restent entre eux. Dés fois, ils ne mangent pas, ils font non-stop. (…) Je pourrais faire respecter les temps de pause. Mais avec les mercenaires, si je lui dit d’arrêter 20 mn, je lui fait péter 30 ou 50 €. Il va me dire oui, mais dès que je tourne le dos, il repart ». (Syndicaliste, sous-traitant de 1er rang)

« Ceux qui subissent la précarité, c’est la peur, l’espérance d’être bien vu du patron. Les gens ont dans la tête « si je suis CGT, si je me fais voir, si je m’engage je ne travaille plus ». On me l’a sorti souvent, « je suis d’accord avec vous, avec ce que vous dites, mais non … » Ce qui est faux. Parce que dans ma boîte personne ne sait qui est syndiqué, nous on le sait, mais pas le patron (…) Certains des CDD qui viennent nous voir nous disent qu’ils sont syndiqués isolés, mais personne n’est venu nous voir pour se syndiquer. Ils viennent nous demander de l’aide (…) Les gars qui viennent te voir, c’est ceux qui pensaient qu’ils allaient être embauchés et qui comprennent qu’ils ne le seront pas. Pour les précaires, le syndicat sert d’avocat, d’assistante sociale, de conseiller juridique, de conseil technique sur les conventions collectives, mais on est pas un outil revendicatif, on est un défenseur » (Syndicaliste, sous-traitant de 1er rang)

Tout laisse à penser que cette polarité du point de vue de la qualification dans le salariat ouvrier en sous-traitance se superpose à une polarité selon le degré de précarité objectif et subjectif de l’emploi. Les entretiens réalisés auprès de deux salariés, aujourd’hui sur CDI chez un grand sous-traitant de 1 er rang, illustrent la parcours typique des ouvrier qualifiés. Tous deux montrent comment l’instabilité professionnelle – ils ont tous deux connu une dizaine d’emplois - dans un segment du monde du travail débordant d’ailleurs largement celui de la sous-traitance industrielle, peut être relativement maîtrisée par les intéressées, et, du même coup, ne pas être vécue comme précarité professionnelle. Les deux cas se distinguent cependant, principalement sur trois points, qui sont d’ailleurs en rapport : chez le premier, la stabilisation professionnelle est plus précoce, nettement associé à la stabilisation familiale85 ; ils ne sont pas de la même la génération – le premier

est âgé de 54 ans, l’autre de 40 ans ; enfin ils n’ont pas le même rapport subjectif à leur parcours professionnel, le plus âgé étant plus dépréciatif que le plus jeune.

Le premier, José, fait partie des dernières cohortes ouvrières pour lesquelles l’embauche dans l’une des grandes firmes Donneuse d’Ordre de l’Etang de Berre formait un horizon crédible dans les années 1970, il a d’ailleurs tenté cette démarche. C’est avec le recul de son expérience qu’il évalue comme « précarité choisie » la première séquence instable de son parcours : à cette époque, il «ne se posait pas trop de question » et changeait facilement d’employeur pour améliorer ses conditions d’emploi ; aujourd’hui il regrette d’être « resté dans ce genre de boulots ». Il est vrai qu’aujourd’hui, usé par le travail et l’exposition aux risques professionnels, inquiet sur le devenir de l’entreprise, il attend avec impatience sa retraite ou préretraite, sans savoir « de quoi demain sera fait ». Il connaît en quelque sorte aujourd’hui la précarité professionnel d’ouvriers âgés sur statut d’empoi stable. Le second, Ahmed, qui vient d’obtenir son passage sur CDI dans la même entreprise après y avoir travaillé presque deux années en intérim, a une vision moins critique de son passé et plus confiante de son avenir. C’est sans doute principalement la différence d’âge qui éclaire les nuances séparant ces deux visions de leurs parcours, les différences scolaires et sociales entre ces deux ouvriers paraissant minimes.

Quels sont les parcours professionnels typiques, pensables et souhaitables, pour ces travailleurs de la sous-traitance ? Là aussi nos connaissances sont lacunaires.

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