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1-2 Précarité du travail et du droit du travail

Articulée à celle du travail et à celle des droits syndicaux et des relations professionnelles, la précarité de l’emploi prend une signification plus ample, et souvent plus convergente entre les trois cas étudiés.

La précarité du travail au sens large renvoie à la reconnaissance, jugée absente ou insuffisante par les salariés, de leur contribution productive ; aux aspects négatifs des conditions et horaires de travail ; aux pénibilités professionnelles et aux risques associés ; aux difficultés pour réaliser un travail de qualité ; au sens du travail. 135 En son cœur, on trouve la polyvalence contrainte et non programmée, car nous l’avons souvent rencontrée directement associée à la logique de la vulnérabilité de l’emploi. De ce point de vue, les situations de travail étudiées présentent de forts contrastes. D’un côté un travail en contact avec le public - non encore nettement « commercial » (Poste), ou commercial (Restauration rapide) – de l’autre le travail industriel (sous-traitance en pétrochimie). C’est depuis peu, au terme d’un temps d’apprentissage et de réflexion associé à ce qui apparaît comme un processus de substitution à terme d’un salariat de droit privé au fonctionnariat, que les syndicats de la Poste prennent la mesure du phénomène : les « Acos » ne sont pas seulement infériorisés dans leur statut d’emploi, ils le sont au plan

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En combinant précarité de l’emploi et précarité du travail, Serge Paugam – dans Le salarié de la précarité. Les nouvelles formes de l’intégration professionnelle, PUF, 2000 – vise également une approche élargie de la précarité professionnelle contemporaine, dans un souci de compréhension de ses implications sur les formes d’intégration sociale plus large (familiale,

des conditions de travail et des modalités de flexibilité interne à l’entreprise, que cherchent à étendre la direction. Or il est clair que ce phénomène est tributaire du principal mode de recrutement de ces agents - via des statuts d’emploi précaires ou à temps partiel -, et d’une phase plus ou moins longue d’utilisation comme « bouche trou » dans l’organisation du travail. Ainsi, c’est comme « rouleurs » - remplaçants sur plusieurs tournées –, et mal préparés à la réalisation de tâches plus complexes qu’en apparence que sont massivement recrutés, sur CDD, les facteurs débutants. Polyvalence, travail sur plusieurs sites, instabilité des régimes horaires, autant d’autres traits de la dégradation du travail à laquelle son exposés en première ligne ceux dont le statut d’emploi est le plus fragile. Et la forte présence syndicale dans l’entreprise n’y a pas empêché une faible application du droit du travail, et même de la convention collective d’entreprise – incluant des clauses dérogatoires à ce dernier – s’agissant tout particulièrement des règles d’utilisation des CDD et des CDII.

Dans le monde de la sous-traitance et de l’intérim, la manière dont les rapports de subordination et de domination dans le travail redoublent les clivages en termes de types d’employeur et de statut d’emploi est particulièrement visible. La main-d’œuvre ouvrière est plus directement soumise à l’autorité hiérarchique de l’ingénieur ou du technicien en tant que salariés « organiques », qu’à celle de son propre employeur, et réalise la masse des « sales boulots » , en particulier les plus insalubres et dangereux, dont sont relativement épargnés les seconds. L’externalisation des travaux subalternes et dévalorisés a d’ailleurs été une logique motrice dans la sous-traitance de la précarité. Une sur-exposition considérable aux risques professionnels des travailleurs de la sous- traitance est attestée par de multiples études. Une répression syndicale féroce, la faiblesse de la couverture syndicale et plus largement de l’institutionnalisation des relations d’emploi, la non connaissance de leurs droits par les salariés, sont également des caractéristiques de base qui participent de la précarisation professionnelle dans ce secteur, y compris bien entendu aux usages abusifs des statuts d’emploi précaires, intérim et CDD.

Dans la restauration rapide, les faibles durées d’emploi et le travail à temps partiel conditionnent une mobilisation productive très intense de la masse des « équipiers ». Les horaires sont souvent fractionnés et peu programmés, les dépassements horaires mal reconnus. Seuls les « managers » travaillent systématiquement à plein temps et de manière relativement durable. Si des ressorts managériaux et organisationnels spécifiques participent d’un fort engagement professionnel, voire d’une intégration au système « Mc Do », ils sont en partie conditionnés par la fragilité professionnelle et sociale des jeunes salariés, fréquemment exposés aux discriminations ethniques et/ou de sexe.136 Dans ces espaces professionnels atomisés que sont les restaurants – particulièrement les établissements « franchisés » - la couverture syndicale est très faible, le harcèlement et la répression anti-syndicale fréquents, au point d’ailleurs d’être à l’origine de conflits parmi les plus durs.

Dans les trois cas, on a rencontré la superposition des formes de fragilité de l’emploi et d’infériorisation au travail, avec ce qu’il peut y avoir de consentement, au moins pratique, des «stables » à cette situation. Cette superposition peut se traduire par une segmentation et une division fortes entre les travailleurs du même collectif de travail : les postes non qualifiées et/ou subalternes et ingrats affectés aux salariés précaires, les postes qualifiés et/ou de responsabilité hiérarchique sur les premiers aux salariés stables. C’est le cas tendanciellement dans certains bureaux de la Poste, où si tous les fonctionnaires sont « titulaires », non seulement de leur emploi, mais aussi de leur « tournée », ce n’est que depuis peu le cas des « Acos ». Quant aux CDD ils « roulent » toujours sur un nombre

136 La première dimension est bien étudiée par Hélène Weber – Du ketchup dans les veines , Eres,

plus ou moins important de quartiers.. Dans l’un de ceux que nous avons étudiés, les premiers CDD recrutés dans les années 1990 viennent d’abord permettre… aux fonctionnaires de prendre leurs congés. C’est le cas aussi dans de nombreuses configurations de travail sur les sites de la pétrochimie, où la sous-traitance, lorsqu’elle a débuté dans les années 1970 par certaines activités ingrates, n’a pas été vue d’un mauvais œil par les salariés « organiques ». Ces derniers ne sont-ils pas d’ailleurs baptisés « rois du pétrole » par certains syndicalistes de la sous-traitance ? Cette double segmentation sociale du travail et de l’emploi est moins nette dans la restauration rapide, sauf à faire passer ce clivage entre une poignée de « managers » et les « équipiers ». Ici c’est la masse des emplois qui est peu qualifiée, qui ne nécessite pas un long apprentissage, et qui est occupée par des jeunes de passage.

1-3 Profils, conditions sociales et expériences subjectives de

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