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3-3-2 Mobilisation personnelle, mobilisation collective

Il n’est pas d’expérience de la précarité qui ne soit une expérience de mobilisation personnelle de résistance à la précarité, faite de multiples efforts pour la contenir et tenter d’en sortir. Et la mobilisation personnelle n’est jamais que personnelle, c’est la mobilisation de ressources subjectives certes, mais aussi sociales, celle des réseaux de connaissances professionnelles et extra-professionnelles. En ce sens le « chacun pour soi » est rarement absolu. Reste qu’il importe ici de repérer les formes de mobilisation personnelles qui ouvrent sur des formes de solidarité et de mobilisation plus collectives. Contenir la précarité, la mettre progressivement à distance, c’est prendre appui sur ses compétences professionnelles et leur reconnaissance, même fragile, pour rechercher la plus grande continuité d’emploi, borner la corvéabilité et apprendre à dire « non ». Cela commence, on l’a vu, par apprendre à freiner l’intensité de son travail. C’est aussi apprendre à refuser des heures supplémentaires. Sa marge de manœuvre s’accroît dès lors que l’on est convaincu d’avoir droit au CDI, comme pour certains qui interprètent ainsi le fait d’être dans le « vivier ». Valérie vient de refuser un poste de travail en CDI impliquant des horaires flexibles lui rendant impossible l’organisation de sa vie avec son enfant. C’est mettre en avant le critère de l’ancienneté pour légitimer sa priorité dans l’accès à l’emploi stable sur d’autres précaires, CDD plus récents ou intérimaires : on n’hésitera pas à dénoncer le recrutement direct de personnes sur CDI via l’ANPE. On se souvient que, d’après leurs réponses à l’enquête postale, les précaires comptent d’abord sur « leur travail et eux même » pour se stabiliser professionnellement à la Poste. Viennent ensuite l’encadrement de proximité, et en dernière position les syndicats. La même hiérarchie des interlocuteurs apparaît dans le « groupe de paroles » interrogé sur les recours utilisés face à des difficultés de réalisation de leur travail. C’est ce qu’explique Katy, qui demande – au risque de se faire « rire à la figure » - d’abord au directeur du centre, puis aux syndicalistes, que les tournées sur lesquelles elle effectue des remplacements soient systématiquement « doublées » les trois premiers jours. C’est ce que raconte également Régine, quand les opérateurs de son centre de tri ont réclamé

une climatisation avant de devoir se mettre en grève… « Là, on l’a gagnée, grâce au syndicat, et une journée de grève aussi ».

Une autre grève est évoquée par le groupe, celle des agences ColiPoste du département. A partir de là les échanges s’organisent entièrement sur le thème du syndicalisme et de l’action collective. Ils sont polarisés entre les prises de position de Pierre, très critique, et celle des trois autres participants, notamment Katy et Régine, plus positive et nuancée. Pierre commence par préciser de manière véhémente qu’il ne doit pas son CDI à cette grève, et que les syndicalistes ne l’ont jamais aidé à l’obtenir : « ils se démènent pour les CDI, pas pour les CDD », « son rôle c’est de t’amadouer pour que tu lui prennes la carte ». Si ils dénoncent publiquement des cas de CDD, ce n’est pas vraiment pour les défendre mais pour les utiliser. Aux côtés de quelques « passionnés », la plupart des syndicalistes sont des « personnes ambitieuses qui veulent monter dans les syndicats (…) pour moins travailler. Quand il y a des grèves c’est les seuls à être payés ». Cette critique s’ancre , au moins autant que dans son expérience personnelle à La Poste, dans son histoire familiale, celle d’un père ouvrier aux chantiers navals de La Ciotat : les chantiers ont fermé, le poids des syndicats s’est effondré, ils se sont compromis avec la gauche au pouvoir. Mais au travers de la discussion il sera amené à préciser : « il faut un syndicat attention, je les dénigre pas du tout, il n’y a qu’eux qui arrivent à défendre les ouvriers et la classe moyenne ». Et sa critique traduit en fait un haut niveau d’attente, celui d’une action spécifique et collective impliquant des CDD « C’est vrai qu’ils essaient de…, mais c’est jamais le collectif, de dire anti-CDD, dans cette agence on va les prendre, on va les défendre, on va faire une grève. On n’est jamais devant les revendications, on est toujours mis à la fin sur les tracts (…) Moi c’est ça que j’aurais plutôt attendu : on va réunir plusieurs personnes, et on va les défendre ».

Katy et Régine font à l’inverse état d’une attention réelle des syndicalistes à leur endroit, sans pression à la syndicalisation, même si elles déplorent que les CDD ne soient pas systématiquement invitées aux réunions d’information – c’est encore un domaine où, faute de bien connaître ses droits, on préfère s’en remettre à l’avis du chef de centre - , et citent des exemples de succès local de l’action syndicale en faveur de la transformation de CDD en CDI. En même temps Katy révèle combien elle a été gênée de voir son cas personnel cité publiquement lors d’une prise de parole syndicale. Dans cette réticence se mêlent sans doute cette forme de pudeur ou même de honte propre à nombre de précaires, et la crainte de voir son cas plus instrumenté que défendu.

« C’est eux qui ont déballé. Je me dis que c’est bien dans un sens comme ça les gens ils savent et connaissent le problème mais dans un autre sens j’aurais préféré qu’ils citent pas mon nom, qu’ils disent qu’il y a tel et tel problème, mais dire « c’est K », on dirait que je veux me mettre en avant et que tout le monde le sache. Ce n’est pas que je ne veux pas que tout le monde le sache mais je trouve cela un peu prétentieux » (Katy)

S’il est un domaine dans lequel l’attente des précaires à l’endroit des syndicats est forte et peu satisfaite – en tous cas compte tenu de la défaillance de leur employeur en la matière - , c’est celui de la connaissance de leurs droits. Par exemple que signifie exactement « être dans le vivier » ? Quelles espérances nouvelles cela autorise-t-il ? Cela permet-il de ne plus être contraint au « tiers temps » ? Dans quel délai pourra-t-on obtenir un CDI ? En tout état de cause le bulletin de paye est incompréhensible et l’information dont ils disposent, quelle qu’en soit la source, est trop abondante et/ou peu compréhensible.

3-3-3 Effet de composition du groupe, effet de méthode. Réflexion sur le

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