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2-5-1 L’unité A : un bureau traditionnel et consensuel

Situé dans la proche banlieue d’une grande agglomération et desservant un quartier en légère croissance démographique, ce centre courrier de taille moyenne se singularise par un climat social plutôt consensuel et un usage peu abondant des CDD. La plupart de ces derniers travaillent de manière continue depuis plus d’une année et sont donc éligibles au CDI. Le trafic quotidien moyen est de 48 000 plis, répartis en 37 tournées. L’unité compte 64 personnes, dont un taux exceptionnellement élevé (80%) de fonctionnaires. Le directeur et les quatre chefs d’équipe sont fonctionnaires. Les tournées sont assurées par 51 facteurs : 37 sont titulaires de leur tournée ; 8 sont des « facteurs de secteur » ou des « facteurs de cycle » ayant un emploi stable ; 6 sont des « rouleurs », 3 d’entre eux sont en CDD et un en contrat d’apprentissage. La CGT est hégémonique dans ce centre – 75% des suffrages, 50% de syndiqués – tout en étant réputée pour son autonomie, c’est-à-dire décidant au cas par cas de la légitimité des mots d’ordres revendicatifs et des consignes d’action venus d’en haut.

Le personnel du bureau

Fonctionnaires CDI CDD-Cdisables Total

H F H F H F facteur 24 9 3 1 0 0 37 facteur de secteur 2 0 2 0 0 0 4 facteur de cycle 2 2 0 0 0 0 4 rouleur 0 0 1 1 1 3 6 autres fonctions 10 2 0 1 0 0 13 Total 38 13 6 3 1 3 64

Selon le directeur d’établissement, deux raisons expliquent localement le recours aux CDD et son ampleur limitée. L’existence de quatre emplois vacants, et le faible absentéisme de longue durée - en cas d’absences de moins de 5 jours, il privilégie les heures supplémentaires. Selon le délégué syndical, c’est un style de management « respectueux des personnes », par exemple dans la prise en compte de souhaits en matière de congés, qui permet d’obtenir ce faible niveau d’absentéisme, dans le cadre plus large d’une « bonne ambiance ». Dans l’esprit du directeur l’utilisation de CDD « saisonniers » au moment des congés est bien distincte de cette utilisation permanente, et les deux populations n’ont pas le même profil.

L’élément le plus symbolique du climat consensuel qui règne dans le bureau est l’existence ancienne et non remise en cause au moment de notre enquête, d’un accord de régulation de la charge de travail. En échange d’une limitation à 45 minutes du temps du Tri Général, les facteurs s’engagent à trier jusqu’à 110 % du trafic moyen quotidien. Ce que dit chacun des protagonistes – directeur, chef d’équipe, Délégué Syndical – montre que, si les interprétations en varient, tous y trouvent des vertus [encadré] Dans le centre étudié, en échange de la garantie d’une limitation plus stricte qu’ailleurs du volume de tri,57 les facteurs s’engagent collectivement à pallier les défaillances éventuelles – fatigue, absences – de leurs collègues, ce qui évite à l’encadrement de faire appel à des remplaçants et d’exercer un contrôle direct sur la cadence, comme l’explique le chef d’équipe.

Le délégué syndical, 48 ans, est un personnage connu et respecté de tous, à commencer par le directeur, qui apprécie sa conscience professionnelle. Il a commencé comme auxiliaire en centre de tri avant de bénéficier des titularisations nombreuses dans les années 1970. Il s’est syndiqué dans la foulée. Il travaille dans ce centre depuis 25 ans. Il raconte qu’il est parvenu à syndiquer la moitié du personnel le jour où il a placé chacun devant ses responsabilités : désormais il défendra en priorité les syndiqués. Pour lui facteur n’est pas un « job » mais un « vrai métier », par ailleurs un métier d’homme. « Tout le monde peut faire postier, mais tout le monde peut pas faire facteur ». On comprend qu’il soit autant attaché au statut de fonctionnaire : il n’apprécie guère que les postiers manifestant contre le CPE mettent en avant le CDI comme idéal d’emploi. Pour autant il affirme « je ne fais pas de différences entre travailleurs selon le statut ». Il date du milieu des années 1990 l’apparition des premiers CDD dans le bureau : faute de remplaçants sur postes, les facteurs commencent à éprouver des difficultés à prendre leurs congés, ce qui occasionne une grève, suivie de la découverte par les syndicalistes de la notion de « vacance d’emploi » : tous les départs de l’établissement ne sont pas compensés, et sont remplacés par un volume d’heures.

Aujourd’hui le directeur d’établissement le consulte pour l’évaluation des CDD et savoir ainsi « s’ils méritent le CDD ». Certes, les chefs d’équipe sont les premiers consultés, mais « ils aiment bien avoir notre avis ». Dans un tel centre l’accord de déprécarisation ne change pas grand chose par rapport aux coutumes locales, ce qu’indique d’ailleurs clairement le peu d’intérêt du délégué syndical pour le récent accord départemental : le délégué continue à renseigner les CDD sur leurs droits, et on continue de transformer en CDI les emplois en CDD de ceux qui travaillent régulièrement ici, et qui ont fait leur preuve professionnellement. Bref, la prise en charge des précaires s’inscrit dans une pratique syndicale de proximité, faite du souci « de la bonne marche du bureau, de la charge de travail, du respect des jours de congés, du respect des agents au quotidien, du bon état de marche des véhicules ».

57 L’application locale des normes nationales de cadence des activités de tri est, avec la variabilité

de la charge emportée individuellement, un enjeu central des conflits sur la charge de travail des facteurs.

Pratique « payante »... tant que demeurent de faibles les tensions sur les effectifs, un management intelligent, et une « bonne ambiance » entre collègues de travail.

Régulation locale de la durée et du volume du « tri général »

Le Directeur du centre :

« La durée du tri a été négociée ici, elle est de 44 minutes, quel que soit le nombre de facteurs . J’ai en plus obtenu un accord ici, il s’agit d’un « contrat de charge », où les facteurs s’engagent à trier en cas de pic d’activité jusqu’à 110% au–dessus du volume moyen. Cela veut dire que même si il y a des absents, ils s’engagent à faire jusqu’à 110 % (donc « à 52 000 plis ils arrêtent »). Et si c’est 120 ou 130% qu’il faut faire, alors je leur paie une heure supplémentaire pour un quart d’heure supplémentaire de tri, ce qui recouvre la réalité de l’allongement quotidien total du travail : le tri lui-même, et la tournée proprement dite. Résultat : il ne reste pas de courrier au moment où les tournées commencent. »

Un chef d’équipe :

« Les gens ont accepté ici de passer jusqu’à 52 000 objets, 110% du trafic moyen, et pas au-delà, parce qu’ils disent qu’au-delà la charge de travail est trop lourde. C’est calculé avec un nombre de trieurs. La seule différence c’est que dans un bureau dans lequel il y a un temps de tri il faut peut-être être plus sur les gens (…) chaque bureau a le devoir de passer un maximum de 120 % de la charge, ailleurs vous avez une fluctuation du temps de tri, ici vous avez un calcul de la charge : avant que les facteurs ne démarrent vous avez ce chiffre qui est pris en compte, les facteurs savent qu’ils vont trier tel chiffre. La plus grande différence qu’il va y avoir, c’est en termes de management : moins de contrôle de la rapidité, de la rentabilité du trieur, puisqu’ils savent qu’ils doivent passer tel chiffre. S’ils le passent en 40 ou en 45 minutes, ils vont peut-être le passer en 40 minutes. Dans un autre bureau, si il y a un temps de tri correspondant à un volume précis, il va y avoir un plus grand contrôle des chefs d’équipe des différences entre trieurs, pour éviter que certains fassent le tri des autres…»

Le Délégué syndical :

« Depuis 1989 ici on a un chiffre buttoir à ne pas dépasser, les 52 000 plis. Ce chiffre, ça a été depuis les 35 h. Auparavant on en avait négocié, qui était plus bas, parce qu’il y a deux tris... Après les 35 h. le fonctionnement a été différent...Quand je suis arrivé en 1982, il y avait une brigade de tri de trois unités, trois agents, qui triait tous les matins de 8 h. à midi, qui triait les restes, et le lendemain on triait 45 minutes maximum... Ce n’était pas une particularité du centre, une grande partie des bureaux fonctionnait comme ça. Ensuite ils ont voulu lever les brigades de tri (…) donc on n’emportait plus que ce que nous on triait, et c’est là que ça un peu été le clash, parce qu’il n’y avait plus personnes pour trier les restes. On a dit « vous avez pris vos responsabilités en enlevant la brigade de tri, nous on trie 45 minutes », donc on se levait à 45 minutes, on nous donnait l’ordre de rester, on nous faisait des PV, on nous prenait des journées, et oui... ça a bagarré pendant un an ou deux. Ailleurs, ils triaient tout. Donc quand ça s’accumulait ils faisaient faire des heures supplémentaires, alors on négociait au prix fort, si tout le monde était d’accord on faisait une journée supplémentaire, voire deux...Oui ce centre a résisté plus longtemps que d’autres, ce centre résiste toujours, parce que les 52 000 ça fait pas les 120% que la Poste veut nous imposer, c’est à 110, tout juste. Et c’est pas le chiffre qu’on doit atteindre tous les jours, c’est le chiffre maximum à ne pas dépasser. »

2-5-2 L’unité B. L’Unité Principale d’une « DDU » récente à fortes tensions

sociales

Tout autre contexte avec cette « Unité Principale » (UP) née en 2005 d’une réorganisation importante de la distribution du courrier – projet de « Distribution Décentralisée par Unité » - desservant une agglomération de 300 000 habitants, ainsi qu’une zone d’activité de 10 000 emplois. L’UP pilote cinq « Unités de distribution », dont toutes les opérations de Tri Général (TG) qui y sont regroupées et organisées sur le mode alphabétique. Le flux quotidien est de 200 000 objets en moyenne. Depuis le grand conflit qui a précédé sa mise en place [Encadrés], l’utilisation des CDD a été abondante dans cette DDU, puisqu’on en a compté en 2005 près d’une centaine pour 350 emplois statutaires. En 2006 le climat social reste médiocre, malgré un important mouvement de cdisation Fin 2006, la DDU compte 407 emplois statutaires – dont seulement 54% de fonctionnaires - ainsi que 42 CDD. Les postiers Acos sont particulièrement jeunes quand ils sont de sexe masculin (âge moyen de 33,7 ans), un peu moins quand ce sont des femmes (37 ans). Dans l’UP étudiée on dénombre 130 à 150 emplois, dont une trentaine pour la « brigade de tri général », comportant encore une dizaine de CDD, et une vingtaine de « manutentionnaires », « agents de tri et de collecte » travaillant dans l’équipe de l’après-midi, dont de nombreux CDD. Dans chacune des quatre autres unités de distribution travaillent 50 à 80 personnes.

Le recours particulièrement massif aux CDD dans cette nouvelle unité s’explique de deux manières. D’une part, pour les raisons classiques que l’on retrouve dans d’autres unités de distribution - nécessité de pallier les emplois « vacants », notamment pour les remplacements – mais ici décuplées par un « cadre de référence » manifestement sous- évalué selon nos interlocuteurs. D’autre part, faire face aux dysfonctionnements apparus lors de la mise en place de la nouvelle organisation du tri et aux séquelles de la grève de mars.

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