• Aucun résultat trouvé

4-Une grève chez ColiPoste

En mai 2006, les trois agences ColiPoste sont paralysées par une grève de 23 jours, suivie à près de 90%. Le conflit est déclenché par des sanctions contre deux salariés soupçonnés de vol. Mais la résorption de la précarité – sous forme de CDD et d’appel à la sous- traitance – fait partie des revendications, centrées par ailleurs sur les effectifs et les conditions de travail. Les grévistes sont pour la plupart des jeunes contractuels en CDI qui ont connu antérieurement la précarité. Un « zoom » sur ce conflit et sur le profil de ces jeunes salariés nous a donc semblé pertinent.

4-1 ColiPoste, une entité singulière au sein de la Poste.

« Opérateur interne » - à distinguer des filiales - du groupe, ColiPoste assure la livraison d’environ 20% des colis aux particuliers acheminés par La Poste. A la différence des activités courrier, il intervient sur un marché qui a toujours été ouvert à la concurrence. Ce marché est par ailleurs en forte croissance (près de 5% par an, 260 millions de colis en 2004), en lien avec le développement du commerce électronique. La Poste occupe, au travers de ColiPoste et de l’ensemble de ses filiales « Colis et express », la première position en France et la seconde en Europe sur ce marché. ColiPoste s’est développé rapidement ces dernières années, sous l’effet à la fois de la croissance du marché des colis, et du regroupement progressif en son sein d’une partie de l’activité colis assurée par l’entité courrier. 800 emplois ont été créés en 2005 et 2006, les effectifs atteignant près de 7 000 fin 2006.

16 plate-formes de tri orientent les colis vers 70 agences de distribution, toutes situées dans des zones à forte densité urbaine. Une agence compte une cinquantaine d’agents en moyenne, dont cinq à huit agents de tri et de manutention, un directeur, et deux ou trois chefs d’équipe. Les contractuels forment la moitié des effectifs, ils sont donc proportionnellement plus nombreux que dans les autres « métiers » de la Poste. Corrélativement le personnel est sensiblement plus jeune. Il est aussi nettement plus masculin qu’au courrier. CGT et SUD y ont une influence un peu plus dominante encore que dans l’ensemble de la Poste.63

Inscrit dans l’objectif de rejoindre à brève échéance le niveau de rentabilité de ses concurrents, le mode de gestion de la main-d’œuvre de l’opérateur est réputé proche de celui du secteur privé. La DRH interviewée n’hésite pas à affirmer : « la notion de « service public » n’est plus mon problème, on n’en n’est plus là. Le changement de culture est réalisé. Il ne reste plus qu’à parvenir à la rentabilité, soit un coût unitaire moyen de 1,5 euros par objet, contre 2,2 actuellement. ». Ces objectifs de réduction des coûts, une croissance et une variabilité – notamment, mais pas seulement, saisonnière - plus forte de l’activité qu’au courrier, un fort taux d’absentéisme et de rotation du personnel sont mis en avant pour justifier un niveau plus élevé de flexibilité externe et interne : appel à la sous-traitance y compris pour assurer des tournées régulières, et pouvant représenter jusqu’à 30% de l’activité d’une agence ; utilisation des CDD, qui ont pu atteindre 15% de l’emploi. Un « accord social signé en mai 2005 mentionne la transformation de 270 CDD et CDI ».64 Au plan régional, la DRH affiche un objectif de limitation des CDD à 5 % des effectifs – mais compensée par une utilisation privilégiée de l’intérim - et de la sous-traitance à 17% de l’activité. La flexibilité interne prend la

63 Aux dernières élections professionnelles, la CGT recueille 37% des suffrages (contre 35%) et

SUD 26% (contre 21,5). L’écart qui sépare ces deux premières organisation est plus faible chez les contractuels (34,4% contre 26,2%) que chez les fonctionnaires (39% et 25,3%).

64 Non signé par la CGT et SUD, il est inspiré des accords sociaux signés antérieurement dans les

forme du flou dans les modes de définition de la charge de travail sur chaque tournée – qui peut aller de 75 à 130 colis -65, de l’absence de reconnaissance formelle de la notion de « titulaire » d’une tournée, même si la pratique existe au travers d’arrangements informels. Les colipostiers « roulent » donc souvent sur plusieurs tournées.66 La « marguerite » - des agents prennent en charge, en sus de leur tournée, celle des absents – est pratiquée, notamment pendant les congés d’été.67

Consciente des données qui sont à la base des forts taux d’absentéisme et de turn-over – « nous avons un travail d’exécution, pénible, avec des salaires au SMIC et peu de perspectives de carrière » - la DRH s’efforce de « voir le turn-over plutôt comme une opportunité qu’un obstacle, que les gens travaillent chez nous quelques années, puis nous quittent en ayant développé leur employabilité, nous servir de la formation pour garder plus longtemps les meilleurs ». Mais cette perspective d’une gestion duale de la main- d’œuvre n’est-elle pas une manière de renoncer à l’amélioration des conditions de travail ?

Les relations entre la direction et les syndicats sont médiocres, les conflits sociaux fréquents, ce qu’illustre bien cette grève des trois agences du département en mai 2006. Deux d’entre elles ont été ouvertes en 2003, la troisième en 2005. Seule celle d’Aix-en- Provence avait déjà été touchée, fin 2005, par un mouvement au moment de son déménagement à une dizaine de kilomètres. A la veille du conflit les syndicats n’y comptent qu’une poignée d’adhérents. Leur présence aux portes des agences est épisodique, ils sont vécus doublement comme « extérieurs » : les syndicalistes sont extérieurs au lieu de travail ; les thèmes des prises de parole ou des tracts semblent extérieurs aux préoccupations des colipostiers. Au cours de la grève la syndicalisation sera massive.

4-2 Le conflit.

Début avril, deux jeunes colipostiers travaillant dans deux agences distinctes subissent une « mise à pied conservatoire » suite au contrôle de leur véhicule de service par des « enquêteurs » de la Sûreté de Coliposte. Quelques colis ne relevant pas de leur tournée mais d’une tournée voisine y ont été découverts. Une enquête policière prend la suite. Ils ne tarderont pas à être accusés de vol et convoqués pour « entretien préalable au licenciement ». SUD et CGT prennent leur défense et demandent des « audiences » aux responsables des trois agences. Les salariés menacés « clament haut et fort leur innocence dans les faits qui leurs sont reprochés. Les agents qui travaillent à ColiPoste manipulent des centaines de colis par jour, une mauvaise manipulation pendant le tri n’est pas rare. Dès l’erreur constatée, l’agent ramène le colis vers la bonne tournée et cela ne fait pas de lui un voleur !!!. Mais ColiPoste voudrait faire un exemple de D. et E. comme « bouc émissaires ».68

La réintégration des deux agents mis à pied figure en tête des revendications, suivie de : « Arrêt du management par le stress » ; « Augmentation du niveau d’emploi et du volant de remplacement » ; « Processus de protection des agents colipostiers face aux plaintes des usagers de Coliposte » ; « Charte départementale de fonctionnement des agences

65 C’est un des points sur lequel la DRH est le plus catégorique, rejetant fermement l’existence

d’une convention de « 120 colis au plus » citée par certains agents, norme que nous évoquions.

66 Avec selon certains une distinction entre les débutants, « grands rouleurs » - sur un grand

nombre de tournées – et les plus anciens, « petits rouleurs ».

67 Ces formes de flexibilité interne existent ici ou là à la distribution du courrier, et font partie des

projets de transformation organisationnelle. Mais dans le département étudié la résistance syndicale les limitent considérablement pour l’heure.

68

Coliposte ». Un préavis de grève est déposé. Le 5 mai une rencontre des deux syndicats avec les Chefs d’agence se solde par un échec. Devant le refus de la direction régionale de négocier, la grève est confirmée le 9 mai, pour une durée « illimitée ». Elle durera 23 jours.

Outre l’arrêt des poursuites disciplinaires contre leurs collègues, les grévistes avancent un cahier revendicatif copieux et précis d’où ressortent les enjeux des effectifs, de la formation, de la charge de travail, de la dé-précarisation et des critères de recrutement sur CDI, de la qualité du travail et de la « protection des agents face aux réclamations des clients », de l’équité salariale, du « relationnel entre agents et direction locale » [Encadré].

Outline

Documents relatifs