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2-4 Les coordinations inter-professionnelles de zone

Ce syndicaliste développe cette argumentation, autour du retard du code du travail sur la réalité nouvelle de la sous-traitance et de l’éclatement territorial des entreprises, et des méfaits de l’enferment corporatiste dans l’entreprise.

« La difficulté c’est que le code du travail n’a pas évolué avec la sous-traitance. Il y a un décalage. Par exemple pour le CHSCT, à l’époque où ça a été fait, ça a été très bien fait pour quelqu’un qui est dans une boîte. Mais moi aujourd’hui, je suis un jour ici, un autre là, un troisième encore ailleurs. Rien que les moyens, tu ne les a pas (…) Et puis quand tu restes dans ta boîte tu as tendance à faire le parano, et au début que je militais à la CGT, quand je suis venu ici, pour les réunions interpro, je me suis rendu compte qu’il y avait pire que chez moi, et mieux que chez moi. Cet échange ça te resituait un peu, c’est l’échange qui te fait bouger (…) Si le délégué syndical était un gars qui couvre une zone, le précaire serait représenté au même titre que le CDI. Avec l’éclatement des entreprises, ça multiplie le nombre des institutions représentatives, mais ça diminue leur capacité d’analyse(…) Le jour où on a décidé de faire les locaux syndicaux dans les boîtes je sais pas si … Parce qu’avec un local à l’extérieur, tu es obligé de te croiser. Par exemple, sur une initiative qu’on avait faite sur un grand site, on a découvert que certains salariés qu’on voyait tous les jours étaient des syndiqués CGT isolés. Et a un moment donné, peut-être que le précaire aura moins peur d’aller au syndicat si le local n’est pas dans l’entreprise. » (Syndicaliste sous-traitant 1 er rang)

Le dernier modèle d’action consiste à élargir encore l’approche syndicale de la précarité. En quelque sorte, après être « sortis de l’entreprise », il s’agit de « sortir du site » pour poser les problèmes à l’échelle d’un territoire.

Dans le principe, cette stratégie s’argumente aisément. La précarité salariale, via notamment la sous-traitance, touche l’ensemble des secteurs d’activité et s’inscrit dans des trajectoires salariales traversant ces différents secteurs. Elle répond par ailleurs à des logiques et des stratégies d’acteurs elles-mêmes trans-sectoriels et, pour une large part, coordonnées, et fait l’objet de régulations dépassant largement le cadre de l’entreprise et du site. D’où la nécessité pour l’action syndicale de développer les contacts entre syndicalistes et de confronter leurs analyses et leurs pratiques, et de faire converger les revendications et les forces militantes autour de thèmes et d’objectifs communs appuyés sur les acquis sectoriels les plus avancés. Au-delà, il s’agit de (re)construire une identité salariale en mettant en avant ce qui, dans l’expérience de la précarité, dépasse les identités professionnelles, les segmentations statutaires et les appartenances locales. Cela passe par l’émancipation de l’approche syndicale de la précarité par rapport aux rapports de domination et de hiérarchie que les rapports commerciaux entre entreprises tendent à instaurer au sein des collectifs salariaux. L’enjeu est la possibilité de constituer des interlocuteurs capables de peser face aux autres acteurs : employeurs, administration locale du travail, préfecture, service public de l’emploi, collectivités territoriales ... Dans la pratique, cette stratégie s’est concrétisée sous deux formes : le Collectif départemental sous-traitance, et la Coopération CHSCT de la zone de Fos.

le Collectif départemental sous-traitance a été constitué à la fin des années 1990, à l’initiative de syndicalistes du BTP et de quelques militants de la Chimie. Son thème fédérateur était « un site, un statut ». Ses actions concrètes se sont, semble-t-il, essentiellement centrées sur les grands arrêts des sites pétrochimiques. Ce sont autant d’occasion de diffusion d’un matériel spécifiquement adressé aux travailleurs de la sous- traitance, informant sur les droits et les revendications, finalisées par le projet d’un « statut unique du salarié de la sous-traitance ». On note que , néanmoins, ce collectif ne s’est jamais constitué comme instance syndicale s’adressant à l’administration ou aux

employeurs, et que son objectif premier reste le développement de la syndicalisation. [encadré].

la Coopération CHSCT de la zone de Fos fonctionne depuis 2002 à l’initiative d’une dizaine d’élus CGT CHSCT de donneurs d’ordre et de sous-traitants de la zone de Fos. Son objectif est d’abord de coordonner l’action des élus CHSCT dans le cadre de l’élargissement de leurs compétences, voire de forcer la porte entr’ouverte en revendiquant l’extension de cette loi hors secteurs Sévéso. Elle inclut la, possibilité d’interventions syndicales sur des questions dépassant le cadre strictement professionnel88 : contacts avec une organisation de médecins généralistes montant un dispositif de suivi territorial des maladies professionnelles89, prise de position sur le projet d’incinérateur des déchets de la ville de Marseille. Elle offre également un interlocuteur syndical potentiel face aux institutions traitant des questions se santé-sécurité-conditions de travail-environnement

Cette coopération prend une nouvelle vigueur et s’appuie sur de nouveaux atouts avec la loi Bachelot. Mais elle se distingue fondamentalement du modèle du CHSCT élargi tel qu’il est actuellement conçu. Visant à rassembler hors entreprises et hors sites, les élus CHSCT de l’ensemble des entreprises d’une zone, elle s’affranchit des rapports de domination Donneur d’Ordre/Sous-traitants, et de toute hiérarchie dans le recensement et l’approche des questions. Il ne s’agit pas d’ « étendre » l’approche Donneur d’Ordre des questions, mais de construire une problématique transversale.

88

Comme la prise en charge individuelle des maladies professionnelles par des associations , avec une association locale comme l’ADEVIMAP, qui appartient au réseau national de l’ANDEVA (Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante)

Le collectif départemental de la sous-traitance

Ce collectif a été créé un peu plus tôt – en 1997 – et de manière plus officielle que le collectif autour de la PETROX. Lui aussi répond à la détermination précoce de quelques militants qui finissent par obtenir de l’UD les moyens matériels, politiques et symboliques de son existence. Contrairement au précédent il existe encore, même si son activité est moins intense qu’à la fin des années 1990, et ses principaux animateurs nous ont parus un peu découragés.

L’impulsion en a été donnée par un syndicaliste de la pétrochimie et par quelques syndicalistes de la construction, lesquels en sont les principaux animateurs dans la durée. Le premier s’est tôt impliqué à la fois dans les enjeux de santé au travail et dans l’activité interprofessionnelle : il est responsable d’une importante UL, et partie prenante de l’activité Sécurité-Précarité- Environnement à la Fédération au moment où il finit par convaincre la direction de l’UD – a priori méfiante de la fédération de la chimie, vue comme un peu « réformiste » - de l’intérêt de la démarche. Les seconds sont familiers de longue date des questions de précarité, en particulier de celles engendrées par les chantiers liés à la pétrochimie.

Ce collectif rassemble des structures syndicales fédérales (Chimie, Construction et Métallurgie), d’entreprise (syndicats des entreprises Donneur d’Ordre et de sous-traitants, presque exclusivement de premier rang), et territoriales (UD, et les trois UL de Fs, Berre et Martigues). Il est financé par la confédération via le Fond national interprofessionnel. De fait ce sont moins les syndicats des grands Donneurs d’Ordre que ceux de la sous-traitance qui animent ce collectif. Le collectif a « vraiment bien fonctionné pendant les 3 premières années. On avait décidé de cibler des camarades pour chaque profession. Le collectif se réunissait à peu près tous les 3 mois et décidait d’un plan de travail pour rencontrer les salariés et entre deux réunions on avait le temps de construire le matériel. C’était pas évident parce qu’il y avait plusieurs conventions collectives. On appelait ça le Journal de la sous-traitance, un « quatre pages » en direction des salariés de la sous- traitance, dans lequel on mettait y compris des questions juridiques. Ce n’est que plus tard qu’on est arrivé à faire du matériel en commun avec les organiques, en sachant que c’était très difficile, parce que les camarades considéraient, peut-être à juste titre, que le salarié de la sous-traitance n’avait pas le même langage qu’un salarié organique, en rapport à l’instruction. Dans la sous- traitance tu as des gars qui n’ont pas le CAP et dans la chimie ils ont bac +3 ou +4. Ceci dit, ça a permis de faire un nombre non-négligeable d’adhésions à la CGT, 162 nouvelles adhésions, et d’organiser des entreprises (…) Il y avait aussi l’intervention pour les « grands arrêts ». C’est donc un collectif qui tenait la route et qui a pris de l’ampleur. Et maintenant, malheureusement, pour des raisons de temps, on a des difficultés. On essaie de le remettre en place. Le problème c’est que ça a été sporadique parce que ça n’a pas été suivi (…) l’objectif était de recréer une activité syndicale dans les entreprises, qui n’existait qu’à travers les IRP (…) Il y a 3 ans on a décider de travailler par UL. Le collectif départemental ne peut pas tout faire. On a fait la proposition que chaque UL crée son propre collectif. Ca a eu marché à Martigues. Mais pas trop à Fos. Berre ça commence maintenant » (Patrick, responsable du collectif).

Le bilan du collectif apparaît donc mitigé aux yeux de ses animateurs : il a principalement aidé à la syndicalisation et à la création de quelques syndicats chez les sous-traitants de premier rang, et fait progresser dans les organisations concernées l’idée s’un statut unique du travailleur de la sous- traitance, opposable aux employeurs. L’histoire dira s’il parvient, comme c’est aujourd’hui le projet, à diffuser sa démarche au niveau des UL, et à s’élargir aux autres secteurs d’activité consommateurs croissants de la sous-traitance (services, fonction publique, hôpitaux …)

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