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Paul BOUFFARTIGUE et Jean-René PENDARIES, avec la participation de Rémy JEAN

Introduction

En l’absence de toute forme d’auto-organisation des salariés précaires de la sous-traitance pétrochimique77 notre investigation s’est presque entièrement ciblée sur le syndicalisme, plus précisément le syndicalisme CGT, ici de loin dominant. Les acteurs sont donc ici des organisations – UL, section syndicales, fédérations de branche, collectifs multiprofessionnels – et des syndicalistes. Ces derniers sont tous des salariés, qui, quand il ne sont pas permanents, exercent des mandats, et sont toujours stabilisés : ils sont sur CDI et on une relation d’emploi permanente avec leur employeur. La vision de la précarité et des défis qu’elle pose au syndicalisme est donc, dans ce chapitre, marquée par ce filtre. Cependant, on y reviendra, nombre de ces syndicalistes ont une connaissance familière et personnelle de la précarité d’emploi, qu’ils ont connue au cours de leur carrière professionnelle.

La sous-traitance et l’externalisation sont devenues des modalités centrales de la flexibilité des organisations productives et de l’emploi au cours des vingt dernières années. Elles se sont généralisées autour de grandes firmes donneuses d’ordre, en particulier sur de grands sites industriels, qu’il s’agisse d’industries de flux – chimie, pétrochimie, sidérurgie - ou d’industries de forme – construction aéronautique, navale, automobile … . Il était d’autant plus important d’y consacrer une partie de notre recherche que les modalités de précarité de l’emploi qu’elles génèrent ne correspondent pas directement à la vision commune dominante de cette dernière – souvent réduite aux formes précaires de statut d’emploi –, et qu’elles posent de redoutable défis à un syndicalisme, pourtant toujours présent sur ces sites, et d’abord au cœur du salariat « organique ». Nous parlons de « précarité sous-traitée » pour désigner ce double phénomène : c’est le processus de sous-traitance qui est le principal vecteur de la précarité de l’emploi dans ce secteur, laquelle ne prend pas que la forme d’une sur utilisation des statuts précaires par les employeurs en position de sous-traitance, mais aussi celle de la dépendance et de la fragilité économiques des firmes sous-traitantes. Il importe de commencer par décrire les logiques à l’œuvre dans le processus de sous- traitance, avec le passage depuis les années 1990 d’un modèle « taylorien », à un modèle « coopératif », du moins pour la sous-traitance « de premier rang ». Ce passage n’est pas sans incidences sur les rapports d’emploi, la stabilisation des sous-traitants de premier rang et de nouvelles formes de régulation allant de pair avec des pressions commerciales renouvelées (1). On examine ensuite comment trois grands registres de la relation d’emploi – statuts d’emploi, activité de travail et relations professionnelles – se trouvent précarisés par ce processus (2). L’action syndicale peut alors être répertoriée selon trois registres : la prise en charge des « isolés » par les unions locales (3) ; le syndicalisme de site (4) ; et les coordinations interprofessionnelles de zone (4). On termine en relevant les difficultés auxquelles se heurte et les tensions dans lesquelles se développe l’action syndicale, en soulignant le défi redoutable d’une double transgression : celle des frontières, concurrences et hiérarchies liées à la sous-traitance elle-même, celle des frontières, concurrences et hiérarchies liées à une forme syndicale héritée de l’état antérieur du capitalisme.

77 Des comités de chômeurs ont pu exister dans certaines UL. Mais, faute de soutien déterminé de

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Sous-traitance et précarité dans la

pétrochimie

La précarité professionnelle dans la pétrochimie est fondamentalement liée à la place prise par la sous-traitance dans ce secteur d’activité. Ce qui signifie d’une part, que c’est pour l’essentiel dans les entreprises sous-traitantes qu’elle se développe, et d’autre part, que ses formes dépendent directement des formes que prend le rapport de sous-traitance.

1-1 La sous-traitance dans la pétrochimie

La pétrochimie provençale représente un tiers du raffinage français et un quart de la production chimique lourde. Elle rassemble 15.000 emplois directs ou sous-traités sur quatre sites industriels situés dans un rayon de 30 kilomètres sur les pourtours de l’étang de Berre (Berre, La Mède, Martigues-Lavéra, et Fos). Au total, on estime à 150.000 les personnes qui en vivent, si l’on compte les emplois indirects.

Dans l’industrie française, le recours à la sous-traitance est indubitablement un phénomène croissant. Une récente étude du CEE78 vient de montrer que, toutes branches confondues, le taux de sous-traitance a presque doublé dans les vingt dernières années, passant de 4,5% en 1984 à 8% en 2003. Le phénomène est naturellement plus marqué pour les grandes entreprises (plus de 500 salariés) pour lesquelles ce taux est passé de 5,7% à 10,2% dans la même période.

Les raisons fondamentales de ce recours croissant à la sous-traitance sont bien connues : gestion plus flexible du besoin de main d’œuvre en fonction des variations d’activité, affranchissement/externalisation de la contrainte sociale, gains substantiels de productivité du travail. Le tout permis par la substitution d’une relation commerciale au rapport salarial direct. Rappelons pour mémoire que le contrat qui lie le salarié à son employeur est un contrat de moyens (mise à disposition de sa force de travail) régi par le droit du travail et les conventions collectives alors que le contrat entre une entreprise donneuse d’ordre et une entreprise sous-traitante est un contrat d’objectifs dont la rémunération et la pérennité sont déterminés par les résultats obtenus. L’entreprise donneuse d’ordre peut ainsi soumettre par contrat l’entreprise sous-traitante à des impératifs de productivité qu’elle ne peut juridiquement imposer à ses propres salariés, mais qui s’imposeront de facto à ceux du sous-traitant.

L’étude du CEE citée ci-dessus confirme d’ailleurs que, au-delà des logiques de réponses aux fluctuations de l’activité et de recentrage sur le cœur de métier, le recours à la sous- traitance est d’abord et avant tout une forme différente de « mise au travail ». Elle montre en effet que les entreprises qui connaissent les taux de sous-traitance les plus élevés sont celles qui réduisent le plus leurs effectifs tout en augmentant leur chiffre d’affaires. Fondée sur une relation inter-entreprises intrinsèquement précaire (risque permanent de non-renouvellement des contrats), cette forme de « mise au travail » qui tend à se substituer à celle qui se fonde sur le rapport salarial direct est par définition génératrice d’une précarité professionnelle croissante.

78 C. Perraudin, N. Thévenot, J. Valentin, Sous traiter ou embaucher ? Une analyse empirique des

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