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Chapitre I. Revue de la littérature et Problématique

2.2 Les facteurs d’observances du traitement par Pression Positive Continue 75

2.2.2 Les facteurs psycho-sociaux de l’observance thérapeutique

2.2.2.3 Les influences sociales

2.2.2.3.3 La Théorie du Comportement Planifié

La Théorie du Comportement Planifié a été introduite par Ajzen (1985, 1991) dans la perspective de compléter la Théorie de l’Action Raisonnée, élaborée par Fishbein (1967) puis développée par Ajzen et Fishbein (1970, 1975) (cités par Fishbein & Ajzen, 2010, pp. 17–18). La Théorie de l’Action Raisonnée représente une rupture radicale avec les autres modèles théoriques de l’époque pour deux raisons. L’individu n’est plus exclusivement considéré comme un être rationnel, mais pouvant également être influencé socialement, c’est-à-dire par les autres significatifs pour lui (entourage, famille, professionnels de santé, etc.). Ainsi dans ce modèle, l’influence sociale est considérée comme un déterminant direct du comportement.

Le second apport de cette théorie est de prendre en compte la valeur accordée à chaque croyance (Expectancy-Value Model), dans la mesure où les individus peuvent partager la même croyance, mais lui accorder une valeur différente. La Théorie de l’Action Raisonnée est ainsi un modèle motivationnel socio-cognitif, prenant davantage en compte la subjectivité des individus.

Par la suite, Ajzen (1985) a pu observer que cette théorie est surtout valable pour les comportements qui sont sous le contrôle total de l’individu, tel qu’aller voter aux élections présidentielles. Ajzen (1985, 1991) précise que pour certains comportements, les individus peuvent expérimenter un manque de contrôle, notamment si ce dernier nécessite des opportunités, des ressources et des habiletés particulières. C'est en tenant compte de ces facteurs qu’en 1985, Ajzen a ajouté au modèle original un troisième concept relatif aux croyances de contrôle, le contrôle comportemental perçu, élaborant ainsi un nouveau modèle : la Théorie du Comportement Planifié (cf. Figure 1).

Ce modèle, introduit depuis une trentaine d’années (Ajzen, 1985, 1991), a été appliqué à une grande variété de comportements sociaux et plus récemment aux comportements de santé, tels que les comportements de dépistage (Le Bonniec, Djoufelkit, & Cousson-Gélie, 2015). Il s’agit du modèle d’intention le plus cité pour la compréhension et la prédiction de comportements sociaux (Ajzen, 2011), soutenu par de nombreuses méta-analyses comme modèle efficace pour prédire l’intention comportementale (Armitage & Conner, 2001; McEachan, Conner, Taylor, & Lawton, 2011; Rich, Brandes, Mullan, & Hagger, 2015).

Selon le modèle de la Théorie du Comportement Planifié, l’intention comportementale est le déterminant premier et immédiat du comportement. L’intention comportementale est influencée par les attitudes, les normes subjectives et le contrôle comportemental perçu. Ainsi, la Théorie de Comportements Planifiés (TCP) rassemble des facteurs analogues à ceux observés précédemment dans la littérature, tels que les croyances relatives à l’utilisation de l’appareil de PPC, les influences sociales et les croyances de contrôle. De plus, la sensibilité de cette approche théorique, sous-tendue par l’intégration du Modèle Générique de la Valeur

de l’Attente, apporte de nouvelles perspectives face à certains résultats contradictoires retrouvés dans la littérature. Nous allons ainsi présenter dans le détail chacune des dimensions de ce modèle.

2.2.2.3.3.1 L’attitude comportementale

L’attitude comportementale est une disposition latente à répondre favorablement ou défavorablement à un objet psychologique (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 76). Il s’agit d’un construit théorique ancien et important en psychologie sociale. Dans le cadre de la Théorie du

Comportement Planifié, l’attitude est spécifique, portant sur un comportement précis (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 278) ; par exemple dans le contexte du SAOS, il s’agira d’évaluer la représentation des patients quant à l’utilisation suffisante et régulière de l’appareil de PPC.

Généralement, deux types d’attitudes comportementales sont distinguées : les attitudes cognitives (ex. : « ce comportement est dangereux ») et affectives (ex. : « ce comportement me fait peur »). Fishbein et Ajzen (2010, p. 82) précisent cependant que les attitudes

comportementales, qu’elles soient cognitives ou affectives, sont avant tout de nature évaluative. De plus, à la suite de plusieurs analyses factorielles, les auteurs considèrent cette distinction erronée, préférant distinguer les attitudes instrumentales et les attitudes

expérimentales (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 83). Les attitudes instrumentales font référence aux conséquences anticipées, positives ou négatives, d’un comportement, telles que les bénéfices ou les effets secondaires associés à l’utilisation du traitement par PPC. Les attitudes

expérimentales font référence au vécu, à l’expérience anticipée du comportement, comme le manque de confort lors du port du masque.

Les attitudes sont déterminées par un ensemble de croyances comportementales, relatives aux conséquences ou à l’expérience d'un comportement (Fishbein & Ajzen, 2010, pp. 82-85). Ces croyances comportementales se rapprochent des construits que nous avons déjà présentés : l’utilité perçue et la facilité d’usage perçue, issues du Modèle d’Acceptation

de la Technologie de Davis (1989). L’utilité perçue pourrait être définie comme une croyance instrumentale, portant sur les conséquences du comportement, alors que la facilité d’usage porterait sur les croyances expérimentales. Le Modèle d’Acceptation de la Technologie est tout à fait intéressant, car contrairement au modèle de la TCP, il met l’accent sur la dominance de ces deux croyances pour comprendre l’adoption d’une technologie par un individu. Néanmoins, sur la base du Modèle Générique de la Valeur de l’Attente

(Expectancy-Value Models), ces croyances sont pondérées par leur désirabilité propre à chacun (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 84; 98). L’individu évalue qualitativement chaque croyance en lui attribuant une valeur : la facilité d’usage de l’appareil de PPC est-elle très désirable ou peu désirable ? L’opérationnalisation des croyances comportementales telles que proposées par Fishbein et Ajzen (2010) semble ainsi plus sensible aux variations interindividuelles.

Les construits théoriques d’attitudes comportementales et de croyances

comportementales, de la Théorie du Comportement Planifié, permet de répondre à plusieurs interrogations et remarques soulevées lors de la revue de la littérature (cf. Chap. I : 2.2.2.2.2). Dans un premier temps, il est possible d’explorer, à la fois, l’attitude générale du comportement d’observance (ce qui rejoint l’index de balance décisionnelle), mais aussi les croyances spécifiques au comportement tel que le permet le Modèle d’Acceptation de la

Technologie de Davis (1986, 1989). Cette approche théorique permet aussi de prendre en compte la valeur subjective attribuée à chaque croyance, une pondération qui n’a jamais été étudiée dans ce contexte de recherche et qui pourrait expliquer le manque d’association significative entre l’attente de bénéfice et l’utilisation de la PPC. Par exemple, un ensemble de patients peut admettre que l’appareil de PPC réduit les ronflements, toutefois ce bénéfice peut ne pas avoir la même importance pour des patients en couple par rapport aux patients vivant seuls.

2.2.2.3.3.2 Les normes subjectives

Les normes subjectives font référence à la pression à effectuer ou non un comportement donné (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 130). Cette pression émane de référents significatifs pour le patient, en fonction de leur pouvoir : un pouvoir de récompense ou de punition, un pouvoir de légitimité, un pouvoir d’expertise, ou encore un pouvoir d’identification (French et Raven, 1959, cité par Fishbein et Ajzen, 2010, p130). D’après la revue de la littérature, il est fort probable d’observer des référents experts, tels que les professionnels de santé (Olsen et al., 2010), des référents par identification (Simon-Tuval et al., 2009), mais aussi des référents par attachement tels que les conjoints, les patients

exprimant leur motivation de ne plus gêner leur partenaire (Broström, Nilsen, et al., 2010). D’après la théorie initiale, la Théorie de l’Action Raisonnée, les normes subjonctives correspondaient aux injonctions perçues par l’individu à effectuer un comportement. Plus récemment, Fishbein et Ajzen (2010, p. 132) distinguent les normes injonctives des normes

descriptives. Les normes descriptives font référence aux pressions sociales par expérience vicariante, c’est-à-dire par l’observation du comportement d’autrui.

Les normes subjectives sont déterminées par des croyances normatives, elles aussi injonctives ou descriptives. Sur la base du Modèle Générique de la Valeur de l’Attente (Expectancy-Value Models), ces croyances sont pondérées par la désirabilité de se soumettre aux pressions sociales, soit par motivation à se complaire aux attentes d’autrui, soit par identification aux référents (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 137;147). Peu d’études ont cependant étudié la pertinence de l’évaluation des croyances normatives descriptives dans le contexte de la santé ; les auteurs supposent que ces croyances sont plus pertinentes dans l’étude de comportements socialement valorisés, tels que l’activité sportive (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 148). Néanmoins, la revue de la littérature dans le contexte du SAOS met en évidence que le témoignage d’expériences positives avec le traitement par PPC, de la part de l’entourage du patient, semble favoriser l’adoption et l’observance de ce dernier (Karlsson et al., 2015; Simon-Tuval et al., 2009). Les croyances normatives descriptives paraissent ainsi pertinentes dans ce contexte clinique.

Le construit théorique de normes subjectives, proposé par la Théorie du Comportement

Planifié, nous permets de répondre à plusieurs interrogations et remarques soulevées précédemment. Dans un premier temps, nous pourrons identifier les référents importants dans le contexte du SAOS. De plus, certaines études ont mis en évidence la nécessité d’ouvrir le champ d’investigation au-delà du soutien social. À partir des croyances normatives

injonctives, nous pouvons approfondir les suggestions d’Olsen et al. (2008) relatives à la pression sociale de la part des conjoints et à ses conséquences chez les patients. En effet, la prise en compte de la motivation à se soumettre aux attentes des conjoints permet d’évaluer la force de cette influence sur le comportement des patients (Fishbein et Ajzen, 2010, p. 139). De la même manière, le concept de norme descriptive permet d’explorer dans quelle mesure des témoignages positifs de la part de l’entourage impactent le comportement d’observance. Enfin, le soutien social perçu, correspondant à un déterminant social favorisant un comportement, fait apparaitre les normes subjectives comme plus génériques, puisqu’elles

permettent l’évaluation des pressions sociales favorisant ou défavorisant le comportement d’observance.

2.2.2.3.3.3 Le contrôle comportemental perçu

Le contrôle comportemental perçu fait référence aux croyances des patients quant à leur capacité à effectuer un comportement donné (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 154). Afin d’assurer une prédiction juste du comportement, il est nécessaire d’évaluer non seulement l’intention d’un individu, mais aussi le degré de contrôle qu’il croit pouvoir exercer sur le comportement en question (Godin, 1991). En effet, selon la Théorie du Comportement

Planifié, l'influence du contrôle comportemental perçu sur le comportement peut s'exercer selon deux scénarios. Soit de façon indirecte, lorsque le comportement semble sous le contrôle volontaire de l'individu, en influençant l’intention comportementale (de la même manière que les attitudes et les normes subjectives) ; soit de façon directe, lorsque le comportement n’est pas sous le contrôle volontaire de l'individu et que des facteurs peuvent faciliter ou entraver la mise en place du comportement (Fishbein et Ajzen, 2010 p. 217). Cela suggère, par exemple dans le contexte du SAOS, qu'en cas de panne électrique (barrière externe), le contrôle comportemental perçu sera plus déterminant que l’intention, pour prédire la non-observance du traitement par PPC.

Le contrôle comportemental perçu rassemble deux aspects du contrôle : l’autonomie et la capacité. L’autonomie renvoie au sentiment de contrôlabilité du comportement et répond à la question suivante : ce comportement dépend-il uniquement de la volonté de l’individu ? (Fishbein & Ajzen, 2010, pp. 165–166). La contrôlabilité, initialement suggérée par Armitage, Armitage, Conner, Loach et Willetts (1999), semble peu influencer l’intention, mais permet d’expliquer davantage de variances pour la prédiction des comportements. Ainsi le sentiment d’autonomie aurait un effet direct sur les comportements (Conner & Norman, 2005, p. 192).

La capacité renvoie aux croyances de compétences d’un individu sur un comportement donné : c’est-à-dire la facilité ou la difficulté perçue à effectuer un comportement. Cette définition est très semblable à la définition de facilité d’usage perçue du

Modèle d’Acceptation de la Technologie de Davis (1986), ce qui induit d’éclaircir une certaine ambiguïté retrouvée dans la littérature.

En effet, le Modèle d’Acceptation de la Technologie et la Théorie du Comportement

Planifié sont tous deux issus de la Théorie de l’Action Raisonnée. Élaborées plus ou moins simultanément dans les années 80, ces théories prennent en compte les croyances de facilité

ou de difficulté à émettre un comportement. Davis (1986, 1989) la définit comme une

croyance comportementale, alors qu’Ajzen (1985, 1991) la présente comme un déterminant du contrôle comportemental perçu. Cette opposition théorique a fait l’objet de plusieurs études. Par exemple, Gagné et Godin (2007) ont examiné les résultats de 10 études ayant utilisé l’item « facile/difficile » afin de mener des analyses d’équation structurelle. D’après leurs résultats, la croyance de facilité ou de difficulté semble davantage être un indicateur du

contrôle comportemental perçu, comme supposé par la TCP (Gagné & Godin, 2007). Cependant, cette conclusion n’a pas trouvé de consensus (Bruchon-Schweitzer & Boujut, 2014, p. 410) : la difficulté perçue étant par ailleurs définie comme une évaluation de l’effort nécessaire à la réussite d’un comportement, tel que proposé par Davis (1989). Fishbein et Ajzen (2010, p. 165) admettent l’ambiguïté de la formulation de l’item facile/difficile qui peut être associé à l’attitude comme au contrôle comportemental perçu, et préconisent un usage précautionneux de cette formulation.

Un fort sentiment de contrôle comportemental nécessite des compétences, des opportunités et un accès facilité à l’information (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 155). En effet, le

contrôle comportemental perçu s’établit à partir de croyances de contrôle. Celles-ci font référence à la présence perçue de facteurs facilitant ou inhibant le comportement. Sur la base du Modèle Générique de la Valeur de l’Attente (Expectancy-Value Models), ces croyances sont pondérées par la force de l’influence de ces facteurs. Les croyances de contrôle prennent en compte les facteurs internes (connaissances, compétences, émotions), mais aussi des facteurs externes (soutien social, barrières structurelles, économiques)18. Par exemple, les patients qui estiment que le traitement par PPC est trop onéreux sont susceptibles d’avoir un faible contrôle comportemental perçu.

Le contrôle comportemental perçu, tel que défini par la Théorie du Comportement

Planifié, permet non seulement d’évaluer le sentiment de capacité, analogue au sentiment d’auto-efficacité de la Théorie Sociale Cognitive (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 155;166; Godin, 1991), mais aussi de mesurer le pouvoir de nuisance ou de soutien de certains facteurs internes ou externes aux patients. Dans la revue de la littérature, les barrières étudiées sont de nature très hétérogène, faisant à la fois référence à des éléments propres à l’expérience même

18 Selon Fishbein et Ajzen (2010, p. 176), il est erroné de penser que le sentiment de capacité est une composante de contrôle interne alors que le sentiment d’autonomie est une composante de contrôle externe. Il démontre leur postulat en prenant comme exemple le facteur « manque de connaissance », ce dernier pouvant être associé, soit à un besoin d’information plus important (facteur interne), soit à un accès à l’information difficile (facteur externe) (Fishbein & Ajzen, 2010, p. 176).

du patient avec traitement, tels que les effets secondaires, mais également à des facteurs médicaux, ou sociostructurels, indépendants du comportement, tels que les déplacements ou les voyages (Stepnowsky, Marler, et al., 2002; Weaver et al., 2003). Ainsi, contrairement à d’autres modèles de compréhension, la Théorie du Comportement Planifié permet de distinguer les coûts du comportement (c’est-à-dire, les croyances comportementales comme l’inconfort pour dormir), des barrières à la réalisation du comportement, comme la présence de troubles du sommeil indépendante de l’utilisation de l’appareil de PPC. En conséquence, le

contrôle comportemental perçu semble être un concept plus complet et plus précis que le sentiment d’efficacité personnelle pour investiguer les croyances de contrôle, en jeu dans l’observance du traitement par PPC.

2.2.2.3.3.4 La Théorie du Comportement Planifié et la non-observance

À notre connaissance, la Théorie du Comportement Planifié n’a jamais été utilisée pour comprendre et prédire l’observance du traitement par PPC alors que, d’après la revue de la littérature, chacune de ses variables semble appropriée. Néanmoins sa pertinence pour comprendre et prédire les comportements de santé est, dans une certaine mesure, débattue, notamment sur la question de la suffisance de ses dimensions.

En effet, selon la méta-analyse de McEachan et al. (2011), le modèle de la TCP expliquerait 19.3% de la variance des comportements de santé. Ces derniers observent toutefois une disparité en fonction du type de comportement ; ce modèle serait plus efficace pour anticiper les comportements de prévention primaire (McEachan et al., 2011). Or McEachan et al. (2011) ont exclu de leur analyse les comportements de soin, car une seule étude respectait leurs critères d’inclusion. Plus récemment, Rich et al. (2015) ont montré que seulement 9% de la variance des comportements d’observance était expliqué par la TCP. Leur méta-analyse, effectuée sur 11 études, est moins favorable à la TCP que celle d’Armitage et Conner (2001) ou de McEachan et al. (2011). Les auteurs associent ces faibles résultats au contexte des maladies chroniques : l'étude de comportements de prévention tertiaire semble plus complexe que celle de comportements de prévention primaire ou secondaire. Ils suggèrent ainsi que pour améliorer le potentiel prédictif des comportements d’observance, à partir de la Théorie du Comportement Planifié, l’ajout de variables complémentaires est nécessaire.

Dans le contexte du SAOS, il est plus facile d’identifier les patients observants que les patients non-observants, ces derniers formant un groupe hétéroclite (Poulet, 2009; Wild et al., 2004). En conséquence, il semble nécessaire d’évaluer les croyances relatives à ce non-comportement. Dans cette perspective, lors d’études de certains comportements de prévention primaire, certains auteurs ont intégré à la TCP une variable additionnelle : les affects anticipés (Abraham, Sheeran, & Henderson, 2011; Sandberg & Conner, 2008).

Les affects anticipés font référence à l’ensemble des émotions, imaginées par l’individu, lorsqu’il pense que la situation actuelle pourrait être différente, par exemple en cas d’alternative comportementale ou de non-comportement (Conner & Norman, 2005, p. 193). La principale émotion étudiée est le regret anticipé, défini par Abraham et Sheeran (2003) comme les : « croyances des individus quant à l’émergence de regrets ou de troubles en cas

d'inaction ». D’après la méta-analyse de Sandberg et Conner (2008), l’ajout de la dimension

affects anticipés permet d’apporter 7% et 1% de variances expliquées supplémentaires à l’intention comportementale et au comportement respectivement.

Toutefois, Ajzen et Sheikh (2013) soutiennent que cet apport d’information est biaisé par un manque de compatibilité, c’est-à-dire d’adéquation, entre les croyances et le comportement évalués, et que les affects anticipés sont en réalité un aspect, en « négatif »19, des attitudes comportementales. En effet, lorsque l’évaluation des affects anticipés porte sur un comportement, tel que boire de l’alcool, en adéquation avec l’ensemble des variables de la TCP, l’explication de la variance de l’intention est pratiquement inchangée et une forte corrélation est observée entre les dimensions affects anticipés et attitudes. Ainsi selon Ajzen et Sheikh (2013), les résultats significatifs retrouvés en faveur des affects anticipés s’expliquent par le fait qu’en interrogeant les individus à propos d’un non-comportement, de nouvelles croyances sont accessibles ; ces croyances, différentes de celles relatives au comportement, augmentant en conséquence le taux de variance expliquée. Au cours de l’étude qualitative d’Ayow et al. (2009), des patients ont évoqué de la culpabilité ou encore du soulagement à l’idée de ne pas utiliser l’appareil de PPC. Cependant ni ces affects, ni leurs contraires, n’ont été exprimés lorsque les patients observants témoignaient. Ces résultats illustrent bien que ces affects anticipés sont des informations, des croyances supplémentaires, comme l’expliquent Ajzen et Sheikh (2013).

Selon les auteurs de la Théorie du Comportement Planifié, il est ainsi nécessaire de respecter le principe de compatibilité entre les variables20. Dans notre contexte, ceci impliquerait d’interroger les patients sur leur croyance et leur intention de non-observance, ce qui semble problématique d’un point de vue éthique en raison du risque d’implémentation d’intention21. Le risque étant d’inciter les patients à la non-observance, en suivant les strictes recommandations de comptabilité de Fishbein et Ajzen (2010, p. 43). Ces derniers reconnaissent également que le simple fait de répondre à un questionnaire peut influencer les individus en les confrontant à un ensemble de croyances qui ne leur appartient probablement pas (Fishbein et Ajzen, 2010, p. 310). Ainsi, il semble nécessaire d’inclure la dimension

affects anticipés afin d’explorer, dans une certaine mesure, les croyances relatives à la non-utilisation de l’appareil de PPC.

La Théorie du Comportement Planifié distinguant la pression sociale par injonction de celle par observation, doit permettre de mieux identifier les influences sociales en jeu dans l’observance du traitement par PPC. Elle permet également d’explorer les croyances relatives au traitement ainsi que les croyances de contrôle, qui s’avèrent, d’après la revue de la littérature, déterminante, et ce, en prenant en compte la subjectivité des individus. Néanmoins, bien que cette théorie semble pertinente dans ce contexte du SAOS, il parait nécessaire