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Chapitre I. Revue de la littérature et Problématique

2.2 Les facteurs d’observances du traitement par Pression Positive Continue 75

2.2.2 Les facteurs psycho-sociaux de l’observance thérapeutique

2.2.2.1 La présence de psychopathologie et de troubles cognitifs

Le lien entre l’utilisation de l’appareil de PPC et les troubles psychologiques a été de nombreuses fois étudié, non seulement pour connaitre l’efficacité du traitement sur l’amélioration de ces symptômes, vu précédemment (cf. Chap. I : 1.2.2.1.3), mais aussi pour déterminer si ces comorbidités peuvent déterminer l’observance. Il a été ainsi démontré qu’une comorbidité psychiatrique peut rendre plus difficile l’utilisation de l’appareil de PPC (Means et al., 2010), voire être une des raisons d’abandon du traitement (Janson et al., 2000; Tyrrell et al., 2006). Dans cette partie, nous présenterons les études menées au sujet des troubles de la personnalité ainsi que les troubles de l’humeur et anxieux comme possibles facteurs d’observance thérapeutique. Nous aborderons également les facteurs cognitifs pouvant freiner l’utilisation du traitement par PPC.

2.2.2.1.1 Troubles de la personnalité

La personnalité se définit comme « le résultat de l’intégration dynamique des

composantes cognitives, pulsionnelles et émotionnelles d’un sujet » selon Féline, Guelfi et Hardy (2002) (cités par Delbrouck, 2013, p. 249). Elle est à la fois stable et propre à chaque individu. Un trouble de la personnalité est envisagé lorsque les traits sont rigides et inadaptés, entrainant une souffrance pour le sujet (Delbrouck, 2013, p. 249). Plusieurs conceptualisations et typologies existent, et notamment celle du DSM V qui s’intéresse aux troubles de la personnalité (antisocial, évitant, borderline, narcissique, obsessionnel-compulsif et schizotypique).

Edinger, Carwile, Miller, Hope et Mayti (1994) font partie des premiers à s’être intéressés à la personnalité comme facteur d’observance. À l’aide de l’Inventaire

Multiphasique de Personnalité du Minnesota (MMPI) de Hathaway et Mckinley, (1942), permettant de déterminer un profil de personnalité, ils ont montré que les hommes non-observants ont un score significativement plus élevé aux dimensions évaluant la dépression. Ces résultats rejoignent ceux de Broström et al. (2007), qui se sont particulièrement intéressés à la personnalité de type D (Détresse) pour comprendre la non-observance du traitement par PPC. Ce type de personnalité se caractérise par une tendance aux affects négatifs et à l’inhibition sociale en raison d’un fort sentiment d’insécurité et de tension, selon la définition de Denollet, (2000, 2005). Les auteurs ont évalué la personnalité et la présence d’effets secondaires auprès de 247 patients souffrant du SAOS à partir de deux échelles : 1/ le

questionnaire DS-14, « Type D Scale 14 », développé par Denollet (2005), évaluant l’affectivité négative et l’inhibition sociale et 2/ l’échelle SECI, Side Effects of CPAP

Inventory, élaboré lors de cette étude. D’après leurs résultats, les 72 patients, présentant une personnalité de type D, rapportent significativement plus d’effets secondaires et ont une observance inférieure aux patients ne présentant pas ce type de personnalité.

Moran et al. (2011) ont également fait l’hypothèse que la personnalité était un facteur prédictif de non-observance du traitement par PPC, en s’appuyant sur le modèle biopsychosocial de personnalité de Gray, développé dans les années 1970 (Gray, 1970). Ce modèle évalue la personnalité en fonction du principe d’activation et d’inhibition comportementale, lié aux systèmes endocrinien et neuronal. Ainsi un fort système d’activation comportementale (BAS, pour Behavioural Approach System) correspond à une forte propension à l’impulsivité et à la désinhibition ; à l’inverse, un fort système d’inhibition comportementale (BIS, pour Behavioural Inhibition System) est relié à des émotions de peur et d’anxiété. Moran et al. (2011) ont utilisé l’échelle BAS/BIS pour déterminer la personnalité selon le modèle biopsychosocial de Gray (1970), ainsi que le mini-IPIP, permettant d’évaluer les cinq grands traits de personnalité selon le modèle des « big-five » (névrosisme, extraversion, ouverture à l’expérience, agréabilité et caractère consciencieux). D’après leurs résultats, la non-observance est significativement associée à un fort score à l’échelle BIS, signifiant une importante propension à éviter les situations aversives, telles que les expériences d'effets indésirables avec le traitement par PPC, comme en conclut Moran et al. (2011). La non-observance est également associée au score obtenu à la dimension « névrosisme », caractérisée par de fortes émotions négatives telles que la peur ou la colère. Autrement dit, d’après les résultats de Moran et ses collaborateurs (2011), les patients avec une forte réactivité et instabilité émotionnelle ont plus de risque d’être non-observants.

Ces trois études font référence à différentes conceptualisations de la personnalité et n’ont pas utilisé les mêmes outils pour l’évaluer, ce qui rend toute généralisation hâtive. Néanmoins, il ressort de ces études que les patients non-observants manifestent une symptomatologie que nous pourrions également associer à des troubles de l’humeur, en raison de l’expression de symptômes dépressifs (Edinger et al., 1994), d’affects négatifs et d’inhibition sociale (Broström et al., 2007) ou encore en raison d’une instabilité émotionnelle, le névrosisme (Moran et al., 2011).

2.2.2.1.2 Troubles de l’humeur

Les études précédemment exposées mettent en évidence la présence de symptômes de type dépressifs chez les patients non-observants. Les troubles de la personnalité se différencient d’autres psychopathologies telles que les troubles de l’humeur ou les troubles anxieux, en raison de leur caractère stable. Néanmoins, les associations entre troubles de la personnalité et psychopathologies se retrouvent fréquemment. De plus l’humeur dépressive, marquée par la tristesse, se manifeste généralement avec l’anhédonie : le patient se désintéresse de ses activités, de sa vie sociale et de sa santé. C’est pourquoi certains auteurs ont émis l’hypothèse que la présence de troubles dépressifs pouvait impacter l’observance du traitement par PPC.

Law et al. (2014) ont soumis le questionnaire Hospital Anxiety and Depression Scale (HADS), auprès de 162 patients, avant de débuter le traitement par PPC. Ces auteurs ont ensuite recueilli l’observance objective après une semaine de titration à domicile. D’après leurs résultats, la prévalence de symptômes dépressifs (score supérieur à huit sur l’HAD-D) est importante, environ 40.7%. De plus, la présence de cette symptomatologie en début de traitement explique 7% de la variance d’utilisation du traitement par PPC à court terme. Ainsi, selon ces résultats, une humeur dépressive peut rendre difficile l’engagement des patients dans leur traitement. Cependant, de nombreuses études ne retrouvent pas d’association entre la présence initiale de troubles dépressifs et l’observance a posteriori (Gagnadoux et al., 2011; Lewis et al., 2004; Olsen, Smith, Oei, et al., 2008; Poulet et al., 2009; Sawyer, Canamucio, et al., 2011; Stepnowsky, Bardwell, Moore, Ancoli-Israel, & Dimsdale, 2002; Tanahashi et al., 2012; Wells et al., 2007). Malgré l’utilisation d’échelles identiques, deux études françaises obtiennent des résultats contradictoires (Borel et al., 2013; Gagnadoux et al., 2011), ainsi le lien entre dépression et observance semble plus complexe.

Cette complexité est mise en évidence par l’étude de Well et ses collaborateurs (2007) s’intéressant à la persistance des troubles dépressifs sous traitement par PPC. D’après leurs résultats, la symptomatologie dépressive, évaluée à l’aide de l’Inventaire de Dépression de

Beck (BDI) (Beck, 1961), s’améliore significativement après deux mois d’utilisation du traitement. Si cette amélioration des troubles de l’humeur n’est pas associée à l’observance par PPC, elle est cependant significativement liée à l’amélioration de la symptomatologie diurne. Or une relation « dose-réponse » est retrouvée entre l’amélioration de la symptomatologie et la durée d’utilisation du traitement. Ainsi, selon les conclusions de Well

et al. (2007), une symptomatologie dépressive persistante pourrait avoir une influence indirecte sur l’observance thérapeutique, en impactant la représentation de bénéfices du traitement par PPC.

Comme nous l’avons exposé précédemment (cf. Chap. I : 1.1.2.2.2), non seulement un SAOS peut entrainer des troubles de l’humeur, mais également, SAOS et dépression ont des symptômes similaires en raison de l’asthénie et de l’anhédonie. Cependant lorsqu’une symptomatologie dépressive persiste, malgré une utilisation régulière du traitement par PPC, une comorbidité psychopathologique indépendante doit être envisagée. Il est ensuite possible que la présence de troubles dépressifs associés puisse rétroactivement impacter l’observance du traitement. C’est ce que suggèrent Kjelsberg, Ruud et Stavem (2005) en comparant les patients, en fonction de leur score obtenu à l’HAD-D, en cours de traitement par PPC. Les auteurs ont retrouvé davantage de non-observants (53% vs 23%) dans le groupe de patients manifestant une forte symptomatologie dépressive persistante (score ≥ 11), suggérant que la persistance de ce trouble de l’humeur impacte défavorablement l’utilisation du traitement.

2.2.2.1.3 Troubles anxieux

De nombreuses études ne semblent pas soutenir l’association entre la présence de troubles anxieux et l’observance à court ou à long terme (Law et al., 2014; Lewis et al., 2004; Olsen, Smith, Oei, et al., 2008; Poulet et al., 2009; Stepnowsky, Bardwell, et al., 2002; Tanahashi et al., 2012). À notre connaissance, seule l’étude de Kjelsberg, Ruud et Stavem, (2005) montre une proportion de patients non-observants significativement plus importante (seuil fixé à trois heures ; 61% vs 22%) dans le groupe manifestant une forte symptomatologie anxieuse au cours du traitement (score ≥ 11 à l’HAD-A). Néanmoins, un trouble anxieux se distingue dans la littérature plus particulièrement : la claustrophobie, c’est-à-dire la peur des espaces confinés. Le traitement par PPC implique en effet de porter un masque sur le visage durant toute la nuit, ce qui peut déclencher une forte anxiété chez les patients ayant des tendances claustrophobes. Selon plusieurs études, la claustrophobie serait associée non seulement à la non-observance thérapeutique (Aloia, Arnedt, et al., 2007; Borel et al., 2013; Chasens, Pack, Maislin, Dinges, & Weaver, 2005; Kribbs et al., 1993), mais aussi à l’arrêt complet du traitement (Galetke et al., 2011; Janson et al., 2000; McArdle et al., 1999).

À partir d’une approche prospective, Chasens et al. (2005) ont étudié la relation entre les tendances claustrophobes et l’observance du traitement par PPC. La claustrophobie a été évaluée avant et après trois mois de traitement, auprès de 153 patients, à l’aide d’une version

adaptée de l’échelle Fear and Avoidance Scale (Johnston, 1984), comprenant 15 items évaluant les tendances claustrophobes, dont un item relatif à la peur de porter un masque (alpha de Cronbach = .88). Chasens et ses collaborateurs (2005) ont catégorisé les patients en trois groupes répartis en fonction de leur utilisation objective du traitement : 1/ faible utilisation (< 2h00/nuit), 2/ utilisation modérée (< 5h00/nuit) et 3/ forte utilisation (≥ 5h00/nuit). D’après leurs résultats les patients, présentant initialement une forte tendance claustrophobe, ont plus de risque d’avoir une faible utilisation à trois mois de traitement. Leur étude montre également, qu’après trois mois de traitement, les tendances claustrophobes diminuent significativement sur l’ensemble des patients. Selon les auteurs, l’exposition à l’appareil de PPC peut ainsi réduire la sévérité de ce trouble anxieux. En conséquence, la claustrophobie doit être considérée comme un trouble anxieux sous-jacent, initialement présent, qui impacte l’observance et non pas comme qu’un effet secondaire du traitement.

2.2.2.1.4 Troubles cognitifs

Les difficultés attentionnelles et mnésiques sont fréquemment retrouvées chez les patients souffrant d’un SAOS. Ces difficultés peuvent provoquer une mauvaise connaissance ou compréhension de la pathologie, perturbant ainsi l’acquisition de nouvelles compétences nécessaires à l’utilisation du traitement par PPC. Cette hypothèse est partagée avec les professionnels, qui ont l’impression que des difficultés de communication entravent l’adoption initiale du traitement, notamment en cas de dysfonctionnements cognitifs, de barrières culturelles ou de la langue (Karlsson et al., 2015). Certaines études qualitatives mettent en évidence que les patients non-observants ont une mauvaise connaissance des risques à long terme du SAOS (Sawyer et al., 2010; Tyrrell et al., 2006), de même qu’une mauvaise compréhension du fonctionnement de l’appareil de PPC (Sawyer et al., 2010). Tyrrell et ses collaborateurs (2006) ont rencontré neuf patients ayant arrêté leur traitement et rapportent que ces derniers ont une mauvaise compréhension du SAOS et des difficultés à identifier les conséquences de cette maladie. Cependant, à notre connaissance, aucune étude quantitative n’a été effectuée pour évaluer l’impact de troubles cognitifs sur l’observance thérapeutique, seul le niveau de connaissance a été investigué dans plusieurs études. Néanmoins ces dernières ne retrouvent pas de relation directe entre l’observance et le niveau de connaissance, évaluée à l’aide de questionnaire à choix multiple (QCM) portant sur le SAOS et l’appareil de PPC (Poulet, 2009, p. 136; Shahrabani, Tzischinsky, Givati, & Dagan, 2014; Stepnowsky, Marler, et al., 2002; Stepnowsky, Marler, Palau, & Annette Brooks,

2006). Ainsi, au-delà de l’évaluation des connaissances des patients (revenant à quantifier le nombre de croyances véridiques et justifiées12), il semble nécessaire d’étendre la recherche aux croyances des patients quant au SAOS et à son traitement, pour comprendre la non-observance dans ce contexte clinique.