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Chapitre I. Revue de la littérature et Problématique

2.2 Les facteurs d’observances du traitement par Pression Positive Continue 75

2.2.2 Les facteurs psycho-sociaux de l’observance thérapeutique

2.2.2.2 Les croyances des patients

2.2.2.2.1 Les croyances relatives à cette maladie chronique

La valeur accordée à la santé diffère d’un individu à l’autre. D’après les résultats de Wild et al. (2004), les patients, déclarant leur santé comme importante pour eux, utiliseraient davantage le traitement par PPC ; toutefois ces résultats ne sont pas retrouvés systématiquement dans le contexte du SAOS (Poulet, 2009; Tanahashi et al., 2012). De manière plus précise, Leventhal et al. (1980) définissent les représentations de la maladie comme des « croyances issues de bon sens implicite propre aux patients et concernant leur

maladie », ces dernières déterminant les comportements des patients. Dans cette partie, nous présenterons les résultats des études qui se sont intéressées aux croyances spécifiques au SAOS comme facteur d’observance.

12 Nous faisons ici référence aux réflexions philosophiques de Platon (livre Théétète) sur les connaissances qu’il définit comme l’ensemble des croyances vraies et justifiées.

13 Nous avons fait le choix d’utiliser préférentiellement les termes « représentation » et « croyance ». Le terme « perception » sera préférentiellement utilisé pour évoquer les expériences sensorielles ou physiologiques des patients, telles que la perception de la douleur et des symptômes.

2.2.2.2.1.1 La sévérité perçue

Le SAOS, par sa symptomatologie insidieuse et ses manifestations nocturnes, peut amener les patients à se construire des croyances éloignées des connaissances médicales, notamment au sujet de la gravité de leur maladie, impactant ainsi leur utilisation du traitement par PPC. Plus la symptomatologie est faible, moins la maladie est perçue comme grave (Leventhal et al., 1980). Deux études qualitatives ont observé ce constat : les patients plus observants évoquaient davantage de conséquences associées au SAOS, alors que les non-observants avaient tendance à les minimiser (Ayow et al., 2009; Sawyer et al., 2010). Afin de comprendre l’acceptation initiale du traitement, Skinner et al. (2013) ont évalué la représentation de la maladie de 449 patients se présentant à un examen de polysomnographie. Ils observent que, lorsque l’IAH est inférieur à 30 (signifiant un SAOS léger à modéré), ce sont de fortes conséquences perçues qui entrainent l’initiation du traitement. Ces résultats démontrent que la représentation du patient quant à la gravité de sa maladie n’est pas le parfait reflet de ces indicateurs objectifs, mais bien une croyance évaluative et subjective.

Le concept de sévérité perçue d’une maladie par les patients est multidimensionnel, se décomposant en fonction de la durée (conséquences actuelles ou à long terme), mais aussi de la nature des conséquences (physiologiques ou/et psychosociales) (Conner & Norman, 2005, p. 48). Sage et al. (2001) ont étudié, auprès de 40 patients, la sévérité perçue des symptômes les plus fréquents du SAOS (ronflement, maux de tête, somnolence). Ils ne retrouvent pas d’association significative avec l’observance à un mois de traitement. Cependant, la sévérité

perçue évaluée dans cette étude ne porte que sur les conséquences physiologiques actuelles, ne prenant pas en comptes les conséquences dans la vie quotidienne et au long terme. Ainsi davantage de recherches sont nécessaires concernant la sévérité perçue du SAOS comme potentiel facteur d’observance.

2.2.2.2.1.2 Le risque perçu

Selon le Modèle de Croyances de Santé, le risque perçu d’une maladie se construit à partir de la combinaison des croyances de sévérité et des croyances de vulnérabilité (Rosenstock, 1974). Une nuance est ainsi introduite entre se représenter les conséquences de la maladie comme sévères et se sentir vulnérable, c’est-à-dire concerné par celles-ci. L’échelle SEMSA, Self-Efficacy in Sleep Apnea, développée par Weaver (2003), permet, entre autres, de mesurer le risque perçu par les patients d’avoir des troubles cardio-vasculaires et des accidents à cause du SAOS (alpha de Cronbach = .85). Néanmoins, la majorité des

études ayant utilisé cette échelle d’évaluation ne retrouvent pas de lien direct entre les risques

perçus et l’observance du traitement par PPC (Bakker et al., 2011; Baron et al., 2009; Sawyer, Canamucio, et al., 2011; D. M. Wallace et al., 2013; Ye et al., 2012). Seules deux études indiquent un lien entre ces deux variables. La première étude de Baron (2009), effectuée auprès d’un échantillon de 23 patients, montre une corrélation significativement positive entre les risques perçus et l’observance. La seconde étude d’Olsen et al. (2008) trouve des résultats contradictoires avec la théorie, indiquant que les patients qui se sentent le moins vulnérables utilisent davantage l’appareil de PPC. Ce résultat inattendu est interprété par les auteurs comme un possible biais d’échantillonnage, en raison d’une proportion de femmes plus importante que dans la population générale.

Le Modèle de Croyances de Santé a fait son apparition dans les années 50, afin de comprendre les comportements de dépistage dans le contexte de maladies asymptomatiques (Rosenstock, 1974). Ce modèle théorique parcimonieux est intéressant dans la pratique, néanmoins la méta-analyse de Harrison, Mullen et Green (1992) montre de faibles résultats pour la compréhension des comportements d’observance. En effet, les dimensions du modèle sont corrélées significativement au comportement d’observance, mais l’effet reste faible (r compris entre .15 et .16). De la même manière, les résultats concernant les risques perçus sont peu concluants dans le contexte clinique du SAOS. Il semble toutefois intéressant de poursuivre l’exploration de ces croyances relatives au SAOS.

En effet, le Syndrome d’Apnées Obstructives du Sommeil est une maladie chronique, insidieuse et méconnue, ce qui nous amène à penser que les dimensions sévérité perçue et

vulnérabilité perçue sont insuffisantes pour rendre compte de l’ensemble des représentations relatives aux SAOS chez les patients. Ainsi, les causes perçues ou encore la chronicité perçue de cette pathologie mériteraient d’être étudiées en complément, à l’aide du Modèle

d’Autorégulation de Leventhal (1980, 1997).

2.2.2.2.1.3 Le Modèle d’Autorégulation

Le Modèle d’Autorégulation de Leventhal (1980, 1997) est basé sur les approches de résolution de problème : face à une maladie, le patient est motivé à trouver une solution afin de rétablir son état de santé initial (Leventhal et al., 1997). Selon ce modèle, les comportements de santé se décomposent en trois étapes : l’interprétation du problème, l’ajustement au problème et l’évaluation de l’efficience de l’ajustement. Dans ce cadre

théorique, l’utilisation de l’appareil de PPC est un ajustement par approche14, mais avant d’initier ce comportement, le patient doit attribuer une signification au problème, c’est-à-dire se représenter le SAOS.

Selon H. Leventhal, Diefenbach et E. Leventhal (1992), pour comprendre l’observance d’un traitement, il est indispensable d’explorer la représentation de la maladie par les patients. Cette représentation est à la fois conceptuelle et perceptuelle. En effet, un individu peut être confronté à la maladie de deux façons différentes : soit en percevant des symptômes (par exemple une douleur), soit en recevant des messages sociaux (le diagnostic à la suite d'un examen) (Leventhal et al., 1997). À partir de ces messages, l’individu se construit une représentation de la maladie, que Leventhal et ses collaborateurs (1980, 1997) ont décomposée en cinq attributs : 1/ l’identité ; 2/ la temporalité ; 3/ les conséquences ; 4/ les

causes et 5/ la curabilité.

L’identité fait référence à l’ensemble des symptômes, des signes cliniques, qui sont typiquement les premiers points de repère pour les patients. L’identité comprend également la notion de label, c’est-à-dire la qualification, la nomination de la maladie. Cette dimension est intéressante car, comme constaté lors de la présentation du contexte clinique, le SAOS se manifeste par des symptômes communs, parfois attribués à d’autres facteurs, tels que le stress professionnel. Selon H. Leventhal et al. (1980), en l’absence de symptômes associés, les patients sont plus susceptibles d'élaborer de fausses croyances, ces dernières pouvant impacter l’observance. L’identité de la maladie se distingue des conséquences perçues.

Les conséquences perçues rassemblent l’ensemble des effets à court et long terme d’une maladie. Cette dimension est analogue au construit théorique de sévérité perçue, vu précédemment, pour laquelle des résultats contradictoires sont retrouvés concernant son potentiel prédictif de l’observance du traitement par PPC. La définition de conséquences

perçues, selon le Modèle de l’Autorégulation, est toutefois plus complète en intégrant les conséquences physiques, sociales, mais aussi économiques.

Le troisième attribut de la représentation de la maladie est sa temporalité. Trois modèles de croyances se distinguent : le modèle épisodique, cyclique et chronique (H Leventhal et al., 1980). Dans le contexte de maladies chroniques, tel que l’hypertension ou l’asthme, la chronicité perçue de la maladie est davantage retrouvée chez les patients qui

14 Selon le Modèle de l’Autorégulation, l’ajustement par approche fait référence à l’ensemble des stratégies de coping mise en place pour faire face à la maladie (Leventhal, Zimmerman, & Gutmann, 1984)

continuent leur traitement (Halm, Mora, & Leventhal, 2006; Meyer, Leventhal, & Gutmann, 1985). Cette dimension semble ainsi pertinente pour comprendre l’observance du traitement par PPC. La temporalité perçue est également associée à la causalité perçue, quatrième attribut de la représentation de la maladie (H Leventhal et al., 1980).

La causalité perçue fait référence à l’ « étiologie subjective de la maladie »15 ainsi qu’aux facteurs contribuant à son développement. La causalité perçue est un attribut de la représentation de la maladie relativement constant, évoluant peu au cours du temps et de l’expérience du patient (Moss-Morris et al., 2002). Quatre types d’attributions causales peuvent être distingués : les attributions psychologiques, les facteurs de risque génétiques ou comportementaux, les attributions biologiques ou environnementales (immunité) et le facteur hasard (Moss-Morris et al., 2002). Leventhal et ses collaborateurs (1980) mettent en évidence que lorsque les patients se représentent une maladie comme chronique, ils ont tendance à l’associer au facteur de risque génétique et héréditaire ; cette causalité perçue étant associée à l’observance de traitement médicamenteux (Leventhal, Weinman, Leventhal, & Phillips, 2008).

La curabilité est un attribut de la représentation de la maladie qui a été ajouté au

Modèle de l’Autorégulation à partir des travaux de Lau et Hartman (1983). Ces auteurs partent du constat que les premières études effectuées par Leventhal et ses collaborateurs (1980) se sont intéressées aux représentations de maladies sévères (hypertension, cancer). En s’interrogeant sur les représentations de maladies plus communes, ils ont suggéré d’intégrer l’attribut de curabilité (Lau & Hartman, 1983; Leventhal et al., 1997). Appelée aussi contrôlabilité, cette dimension fait référence au contrôle que le patient peut exercer sur sa maladie. Les travaux de Hornes (1997) ont permis de préciser deux composantes de la

curabilité perçue : le contrôle personnel (le patient exerce un contrôle sur sa maladie) et le

contrôle curatif par le traitement (cités par Moss-Morris et al., 2002).

Ces cinq attributs composent la représentation dite cognitive de la maladie. Cette dernière fournit au patient un schéma de pensée permettant de comprendre sa maladie et de s’y adapter. Cependant lorsqu’un individu est confronté à une maladie, l’identification du problème entrainera également des changements émotionnels. Ainsi en 1997, Leventhal et ses collaborateurs proposent, le concept de représentation de la peur. Cette représentation

15 L’étiologie subjective est un concept proposé par Laplantine (1986) qui rend compte des réinterprétations du diagnostic scientifique par les patients.

émotionnelle, appelée par la suite réactions émotionnelles, est définie comme un processus parallèle à la représentation cognitive d’un danger, entrainant une réponse d’ajustement spécifique (Leventhal et al., 1997). Plus récemment, l’étude des réactions émotionnelles s’est élargie à d’autres émotions comme l’anxiété, la colère et la tristesse (Moss-Morris et al., 2002), émotions également retrouvées dans le contexte du SAOS (Broström, Johansson, et al., 2008).

À notre connaissance, seule l’équipe de Sampaio, de l’école de Psychologie à l’Université de Minho (Portugal), a utilisé ce cadre théorique pour explorer les représentations des patients atteints de SAOS comme facteur d’observance (Sampaio et al., 2012; Sampaio, Pereira, & Winck, 2014). Les auteurs ont utilisé le Illness Perception Questionnaire-Brief de Broadbent, Petrie, Main et Weinman (2006), questionnaire composé de huit items évaluant : 1/ les conséquences perçues, 2/ la temporalité, 3/ le contrôle personnel, 4/ le contrôle par le

traitement, 5/ l’identité, 6/ le sentiment d’être concerné 7/ l’impact émotionnel et 8/ la

compréhension de la maladie16. Cette échelle permet d’avoir un score global concernant la représentation de la maladie : un score haut signifiant une maladie perçue comme sévère et dangereuse. D’après leurs premiers résultats, les femmes perçoivent davantage de conséquences, de symptômes et de cohérence, elles éprouvent également un impact émotionnel plus important que les hommes (Sampaio et al., 2012). Dans une seconde étude, les auteurs montrent que la représentation de la maladie est influencée par l’expérience du traitement et que les patients ont plus de risque de devenir non-observants lorsque la menace est jugée moins dangereuse au fil du temps (Sampaio et al., 2014). Cependant ces premiers résultats donnent peu d’indications précises sur l’influence spécifique des différents attributs de la représentation de la maladie sur l’observance du traitement par PPC. En effet l’outil utilisé, l’IPQ-Brief, fournit un score global, alors que le questionnaire recommandé pour évaluer distinctement chaque attribut de la représentation de la maladie est l’IPQ-R, Illness

Perception Questionnaire –Revised, de Moss-Morris et al. (2002) (Leventhal, 2008).

Une grande majorité des études, portant sur la représentation du SAOS comme facteur d’observance, se sont focalisées sur la dimension sévérité de la maladie. Le Modèle de

16 La dimension de cohérence a été proposée par Moss-Morris et al. (2002), lors de l’élaboration de l’IPQ-R (Revised Illness Perception Questionnaire). Définie comme une méta-dimension rendant compte de la croyance qu’a un individu de son niveau de compréhension au sujet de sa maladie. Cette dimension a été reprise par Broadbent et al. (2006) se basant sur l’IPQ-R pour élaborer leur questionnaire.

l’Autorégulation de Leventhal (1980, 1997) nous apprend que la représentation de la maladie est plus complète et complexe. Ce modèle est soutenu par une méta-analyse confirmant l’association et la distinction de chaque attribut, de même que le lien entre la représentation de la maladie et les stratégies d’ajustement qui en découlent (Hagger & Orbell, 2003). Ainsi il apparait intéressant d’étudier l’ensemble des dimensions de la représentation de la maladie, afin d’identifier quelles croyances, spécifiques au SAOS, déterminent la non-observance thérapeutique des patients.

2.2.2.2.2 Les croyances relatives au traitement par Pression Positive