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L A TABLE RASE REVOLUTIONNAIRE

Dans le document La fonction de juger (Page 91-97)

L’application de la loi, objet de l’activité du juge

A. L A TABLE RASE REVOLUTIONNAIRE

« Les juges doivent être seulement chargés de juger les différends entre citoyens ; ainsi toute interprétation de la loi doit leur être interdite, et jamais il ne peuvent l’expliquer que sur un fait déjà arrivé. »

Adrien Duport, séance du 29 mars 1790, Réimpression de

l'ancien Moniteur universel, Tome 3 – Assemblée

constituante, Paris, éd. Henri Plon, 1860, p. 740.

175. Souhaitée par la majorité des Constituants, la table rase en matière judiciaire est vigoureusement réclamée dans les débats parlementaires dès les premiers jours de la Révolution. La volonté de rupture avec l’Ancien Régime se manifeste notamment par l’adoption d’une nouvelle formalisation théorique de l’art de juger que les révolutionnaires empruntent à certains philosophes du XVIIIe siècle. Afin de réduire le pouvoir des juges, les députés insistent sur le caractère mécanique de l’activité judiciaire et réduisent celle-ci à une opération d’application de la loi (1). Cette conception oriente de manière décisive les discussions relatives à la refonte de l’administration de la justice et inspire les nouvelles institutions adoptées par les députés (2).

1–MISE EN FORME THEORIQUE

176. Clairement conceptualisée par Montesquieu, qui en fait un trait caractéristique des gouvernements républicains, la soumission logique du juge à la loi devient pour les auteurs éclairés un réquisit de l’amélioration d’une justice criminelle vivement critiquée (a). En 1789, ce principe de légalité s’impose aux révolutionnaires. Réduisant l’acte de jugement à un syllogisme, ils assignent aux magistrats l’unique fonction de trancher les litiges par application de la loi générale de l’État aux faits particuliers de la cause (b).

a – Les antécédents philosophiques

177. Dans son travail de description des institutions humaines, Montesquieu est le premier à établir le lien unissant liberté politique et soumission stricte du juge à la loi. Analysant les formes de gouvernement, il constate que, dans le républicain, « il est de la nature de la constitution, que les juges suivent la lettre de la loi »1. Proche

de la république en ce qu’elle garantit la liberté politique2, la constitution

d’Angleterre présente cette caractéristique : les juges y sont « la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n’en peuvent modérer ni la force, ni la rigueur. »3. Cause de la nullité de la puissance judiciaire4, cette

conception du jugement est dans l'esprit des lois un modèle dénué de valeur normative5. Sa formulation rigoureuse ouvre néanmoins la voie, dans la seconde

moitié du XVIIIe siècle, à des revendications relatives à l’observance rigoureuse de la loi par les magistrats dans le domaine de la justice criminelle6.

178. Le marquis italien Cesare Beccaria fut le fer de lance théorique de ce mouvement qui secoua l’Europe entière7. Suivant, selon ses propres mots, « les

traces lumineuses » de « l’immortel président de Montesquieu »8, il élabore, à partir

d’une philosophie contractualiste et utilitariste, une théorie de la pénalité qui remporte un succès considérable en France9

. Outre les appels à l’humanisation et à la rationalisation de la procédure qui y sont lancés, le Traité des délits et des peines est l’occasion pour l’aristocrate milanais de définir, en publiciste et non en théologien10,

la structure logique du jugement pénal : « En présence de tout délit, le juge doit former un syllogisme parfait : la majeure doit être la loi générale, la mineure l’acte conforme ou non à la loi, la conclusion étant l’acquittement ou la condamnation »11

. 179. Excluant toute interprétation de la loi et appelant une codification du droit, le principe de légalité ainsi exprimé va fortement marquer les esprits12

. Il est repris par les philosophes qui fêtent Beccaria, avant de pénétrer à la toute fin de l’Ancien

1

Montesquieu, De l’esprit des lois, préc., Part. 1, Liv. 6, Chap. III, p. 203.

2

Manin (B.), « Montesquieu », in Furet (F.) et Ozouf (M.), dir., Dictionnaire critique de la Révolution, préc., p. 793.

3

Montesquieu, op. cit., Part. 2, Liv. XI, Chap. VI, p. 301.

4

Timsit (G.), « M. le maudit, Relire Montesquieu », préc., not. pp. 624-628.

5

Sur ce point, v. supra n° 106 et n° 108.

6

Sur les « trois noms qui (…) ont le mieux illustré » ce mouvement théorique, v. Poumarède (J.), « Montesquieu, Voltaire, Beccaria », in Boucher (Ph.), dir., La révolution de la justice, préc., p. 103. Rappr. les développements de Royer (J.-P.) sur « la pensée des Lumières et la justice d’Ancien Régime »,

Histoire de la justice, préc., p. 185 et s.

7

Badinter (R.), « Présence de Beccaria », in Beccaria (C.), Des délits et des peines, trad. Chevallier, Paris, Flammarion, 1991 (1e

éd. 1764), p. 36.

8

Beccaria (C.), op. cit., p. 61.

9

Publié en l’été 1764 à Livourne, le traité fut traduit en français par l’abbé Morellet dès la fin de 1765. Il reçut l’accueil enthousiaste des « encyclopédistes » et de Voltaire. Sur ces points, v. Godechot (J.), « Beccaria et la France », in Regards sur l’époque révolutionnaire, Paris, Privat, 1980, p. 39 et s.

10

Beccaria (C.), op. cit., « Avis au lecteur », p. 57.

11

Beccaria (C.), op. cit., chap. IV, p. 67.

12

Régime une partie du monde judiciaire et de l’opinion publique1. Cette conception

dont on trouve des traces dans les cahiers de doléances de 17892 imprègne si

profondément les révolutionnaires qu’ils l’étendent au delà du domaine de la justice pénale et l’élèvent au rang de fondement commun aux nouvelles institutions judiciaires3.

b – Les débats révolutionnaires

180. Couplé à la puissante attraction des représentations modernes, le rejet de l’appareil judiciaire monarchique conduit les Constituants à avaliser la théorie « mécaniste » de la fonction de juger4

. Redéfini à l’ombre des figures du sujet de droit5 - justiciable potentiel - et de la loi étatique6 - nécessité naturelle - le rôle du

magistrat est considérablement restreint. Il est réduit à sa portion congrue dans un univers juridique qui se reconstruit entre « d’une part la conscience des droits naturels et la connaissance des droits positifs, d’autre part, l’énergie juridique créée par les individus et l’efficacité de la norme publique »7.

181. Dans la « cité idéale »8 dont les députés élaborent les nouveaux principes, le

juge « institué pour l’application de la Loi » a « pour but unique d’assurer l’exécution de tout ce qui est permis, d’empêcher tout ce qui est défendu »9

. L’utopie rationaliste qui fait du magistrat un automate et du jugement un raisonnement syllogistique est très prégnante dans le discours des Constituants10. L’abbé Sieyès11

n’y échappe pas, pour qui « en matière civile, comme en matière criminelle, il s’agit

1

Schnapper (B.), « La diffusion en France des nouvelles conceptions pénales dans la dernière décennie de l’Ancien Régime », in Voies nouvelles en histoire du droit. La justice, la famille, la répression pénale

(XVIe

-XXe

siècles), Paris, PUF, 1991, pp. 187-205.

2

Le « résumé des cahiers sur la réforme judiciaire établi par la Chancellerie », reproduit en annexe de l’ouvrage de Seligman (E.) (La justice en France pendant la Révolution (1789-1792), Paris, Plon, 1901, vol. 1, Annexe IV, art. 17, p. 492) présente comme un « vœu général » le fait que les tribunaux soient les simples « conservateurs des lois dont ils sont garants sans pouvoir s’en écarter ».

3

Clère (J.-J.), « Les Constituants et l’organisation de la procédure pénale », in Vovelle (M.), dir., La

révolution et l’ordre juridique privé. Rationalité ou scandale ? – Actes du colloque d’Orléans des 11-13

septembre 1986, Paris, PUF, 1988, vol. 2, p. 442.

4

Halpérin (J.-L.), « Le juge et le jugement en France à l’époque révolutionnaire », in Jacob (R.), dir.,

op. cit., not. pp. 238-239.

5

Guibert-Sledziewski (E.), « L’invention de l’individu dans le droit révolutionnaire », in Vovelle (M.), dir., op. cit., vol. 1, p. 141. Du même auteur, rappr. « Individualité et modernité : regards sur une civilisation de l’individu », in Théry (I.) et Biet (C.), dir., La famille, la loi, l’État, de la Révolution au

Code civil, Paris, Imprimerie Nationale, 1989, p. 363. Rappr., dans le même ouvrage, l’article de Bart (J.),

« L’individu et ses droits », p. 351 et s.

6

Supra Part. 1, Chap. 1, Sect. 1, § 2, A, n° 47 et s.

7

Guibert-Sledziewski (E.), « L’invention de l’individu dans le droit révolutionnaire », préc., p. 141.

8

Royer (J.-P.), op. cit., p. 271.

9

Bergasse (N.), Rapport du comité de constitution sur l’organisation du pouvoir judiciaire présenté à

l’Assemblée nationale, Paris, 1789, p. 6.

10

Sur cette question, v. Troper (M.), « La notion de pouvoir judiciaire au début de la révolution française », in Mélanges offerts à Jacques Velu, préc., Tome 2, not. pp. 832-834 ; Verpeaux (M.), « La notion révolutionnaire de juridiction », préc., not. pp. 40-41 ; rappr. Guastini (R.), « La fonction juridictionnelle dans la constitution de l’an III », in Dupuy (R.) et Morabito (M.), dir., op. cit., p. 217 et s.

11

Sur la figure historique majeure que fut Sièyes, v. Bredin (J.-D.), Sieyès, la clé de la Révolution

d’abord de mettre le fait soit réel, soit personnel, dans sa vérité ; ensuite de discerner en quoi le fait est contraire à la loi ; enfin de toucher celui qui en est responsable, et qui peut encourir la peine, ou devoir la réparation réglée par la loi »1.

182. Pour l’Assemblée constituante, la transparence du juge garantit son asservissement à la loi et exorcise le souvenir des anciens Parlements. Exemplaire de cet état d'esprit, le député Bouchot affirme, lors de la séance du 5 juillet 1790, qu’on « ne saurait trop répéter aux juges qu’ils ne sont que les organes de la loi, et qu’ils doivent se taire quand elle n’a pas parlé »2. Nuancée par certains des

révolutionnaires3 avant d’être implicitement désavouée par les rédacteurs du Code

civil4, cette conception du jugement constitue néanmoins l’horizon théorique

indépassable5 des débats qui agitèrent, de la Constituante à l’Empire6, les régimes à

l'origine de l’organisation judiciaire contemporaine.

2–MISE EN ŒUVRE PRATIQUE

183. Étouffées par des considérations plus pragmatiques lors des discussions relatives à la carte judiciaire, les préoccupations théoriques relatives à l’essence du jugement resurgissent avec une force particulière à l’occasion des controverses parlementaires relatives au référé législatif et au jury civil. L’adoption du premier (a) et le renoncement au second (b) ont été respectivement le résultat de l’assentiment du législateur à la théorie du jugement syllogisme et de sa méfiance à l’égard de certaines implications pratiques de cette conception.

a – Le référé législatif

184. Tenu de lire la loi – majeure du jugement – et de constater les faits – mineure du jugement – avant de rendre sa décision, le juge est théoriquement soumis à une nécessité qui s’impose à lui. Pour garantir en pratique cette exigence révolutionnaire et prévenir ainsi le retour de certaines pratiques de l’Ancien Régime, les députés s’efforcent de retirer au magistrat le « dangereux privilège d’interpréter la loi ou d’ajouter à ses dispositions »7

. Un tel pouvoir lui permettrait en effet de

1

Article 120 du plan sur l’organisation de la justice et de la police proposé par Sièyes, lu à l’Assemblée le jeudi 8 avril à l’occasion de la discussion sur les jurés, et reproduit dans la Réimpression de l'ancien

Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 72.

2

Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 5, p. 50.

3

Sur les prémisses de cette évolution, v. Verpeaux (M.), op. cit., not. pp. 41-43.

4

V. infra n° 282 et s.

5

Troper (M.) considère que l’Assemblée constituante adopte une conception du jugement « qui est aujourd’hui encore, malgré des signes d’évolution récente, au fondement du droit français », op. cit., p. 832.

6

Si les réformes napoléoniennes en matière judiciaire sont l’occasion de ressusciter certains traits de la justice d’Ancien Régime, il est non moins certain que c’est sur les fondations idéologiques révolutionnaires que Bonaparte fait reconstruire l’ordre judiciaire. Sur ce point, v. Halpérin (J.-L.), « L’Empire hérite et lègue », in Boucher (Ph.), dir., La révolution de la justice, préc., p. 221. V. également les réflexions de Bourdon (J.), La législation du Consulat et de l’Empire. La réforme judiciaire

de l’an VIII, Rodez, Carrere, 1943, not. p. 474.

7

Bergasse (N.), Rapport du comité de constitution sur l’organisation du pouvoir judiciaire…, préc., p. 21.

modifier la majeure du syllogisme judiciaire et de se soustraire à la force obligatoire de cette opération mentale. Pour parer à de telles dérives, les révolutionnaires élaborent une réponse institutionnelle articulée autour d’un organe de cassation1 et

d’une procédure de référé à l’Assemblée2.

185. Ce double mécanisme permet, d’une part, d’annuler « tout jugement qui contiendra une contravention expresse au texte de la loi »3 et, d’autre part, d’éclaircir

le sens de la volonté nationale en cas de doute sur cette dernière4. Une telle

clarification peut être demandée a priori par les magistrats qui « s’adresseront au Corps-Législatif toutes les fois qu’ils croiront nécessaire, soit d’interpréter une loi, soit d’en faire une nouvelle »5. Elle peut également leur être imposée a posteriori si

une incertitude sur le droit fait durablement obstacle à la résolution d’un litige : le décret du 27 novembre-1er décembre 1790 prévoit en effet que lorsqu’un « jugement aura été cassé deux fois, et qu’un troisième tribunal aura jugé en dernier ressort, de la même manière que les deux premiers, la question ne pourra plus être agitée au tribunal de cassation, qu’elle n’ait été soumise au Corps-Législatif »6.

186. Adaptation au nouvel ordre politique d’un mécanisme pensé par l’ordonnance de 16677, l’institution révolutionnaire du référé législatif repose avant

tout sur sa capacité à symboliser la nouvelle justice. La transposition de cette technique d’Ancien Régime, signe de continuité évident dans les montages juridiques du pouvoir, fut paradoxalement l’occasion pour les Constituants de manifester avec éclat le changement radical des représentations savantes du jugement8. En deçà de la diversité des volontés des députés, tous s’accordaient pour

penser le référé à l’aune du syllogisme judiciaire9

. La mise en œuvre difficile et l’abandon progressif de cette procédure l’ont reléguée, avec le temps, au rang de vestige historique d’une illusion rationaliste10. Assouplie dès les premiers jours de la

Révolution11, cette utopie n’en planait pas moins lourdement sur le débat relatif au

jury civil.

1

V. supra n° 119 à n° 121.

2

Sur la genèse et l’histoire de cette institution, v. Hufteau (Y.-L.), Le référé législatif, Paris, PUF, 1965.

3

Article 3 du décret du 27-novembre-1er

décembre 1790 portant institution d’un tribunal de cassation, et réglant sa composition, son organisation et ses attributions, reproduit par Duvergier (J.B.) dans sa

Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglemens, avis du Conseil-d'État, 2e

éd., Paris, 1834, Tome 2, p. 56.

4

On a logiquement déduit des institutions mises en place par les Constituants que ces derniers ont entendu donner aux juges le droit d’interpréter les lois in concreto (Troper (M.), op. cit., pp. 834-838 ; rappr., du même auteur, La séparation des pouvoirs…, préc., p. 63 et s.). Armés d’une foi évidente en la transparence du langage, les Constituants se sont en fait abstenus d’étudier la question : « ils ne pensaient pas qu’il pouvait se rencontrer des problèmes de qualification (…) nécessitant (…) un développement du texte littéral de la loi » (Halpérin (J.-L.), Le tribunal de cassation…, préc., p. 63).

5

Article 12, Titre II du décret du 16-24 aout 1790 portant sur l’organisation judiciaire, reproduit par Duvergier (J.B.), op. cit., Tome 1, p. 311.

6

Article 21 du décret du 27-novembre-1er

décembre 1790 précité.

7

V. supra n° 173.

8

Hufteau (Y.-L.), op. cit., not. pp. 29-45.

9

Royer (J.-P.), op. cit., p. 279.

10

Sur l’évolution du référé législatif jusqu’à son abrogation définitive par la loi du 1er

avril 1837, v. Hufteau (Y.-L.), op. cit., pp. 43-140.

11

b – Le jury civil

187. Avec l’élection des juges, le jury est l’un des moyens par lesquels les députés veulent rendre à la Nation sa justice1. Importation anglaise dénuée de

tradition indigène, l’institution des jurés, parce qu’elle incarne la souveraineté populaire en acte, trouve naturellement sa place dans l’idéologie démocratique révolutionnaire2. Elle s’y fond d’autant mieux qu’elle y rencontre le souci de limiter

le pouvoir des juges. Très tôt acquis au criminel3, la création d’un jury pour juger les

affaires civiles est l’occasion de riches débats qui courent sur plus d’un mois4 et

dévoilent, une fois de plus, l’idée étroitement mécanique de la fonction judiciaire que nourrissent les Constituants.

188. Exemplaire de cette conception, le plan exposé à l’Assemblée par Adrien Duport5, lors des séances des 29 et 30 mars 1790, pousse à son paroxysme l’utopie

rationaliste6

. Pour l’ancien conseiller au Parlement de Paris, le procès - civil comme pénal - est un « enchaînement de questions à aborder et à trancher séparément pour parvenir automatiquement à la décision finale »7. Il exige à cette fin « des jurés pour

le fait, et des juges pour l’application de la loi »8. L’interprétation particulièrement

sévère du syllogisme qui sous-tend sa théorie l’amène à hypostasier la distinction traditionnelle du fait et du droit et à exclure, dans l’intérêt de la liberté politique, qu’un seul organe puisse se prononcer sur les deux questions9. Les dérives

ratiocinantes de Duport n’emportèrent pas la conviction de l’Assemblée qui refusa finalement le jury civil le 30 avril, mais elles imprimèrent durablement leur marque aux représentations à partir desquelles cette institution est désormais pensée.

189. Certes, la distinction du fait et du droit est contestée par certains des Constituants. Nombreux sont ceux pour qui « vouloir qu’on sépare l’un et l’autre, ce serait exiger que le maçon séparât la pierre et le ciment »10

. Sieyès lui-même opte

1

Sur le traitement de la question du jury par les premiers révolutionnaires français, v. Padoa-Schioppa (A.), « La giuria all’Assemblea costituente francese », in Padoa-Schioppa (A.), dir., The Trial Jury in

England, France, Germany (1700-1900), Berlin, Duncker & Humblot, 1987, pp. 75-163.

2

Lombard (F.), Justice représentative et représentations de la justice, Paris, L’Harmattan, 1993, pp. 143- 147.

3

Sur les origines et le devenir du jury criminel, v. l’ouvrage collectif de Martinage (R.) et Royer (J.-P.),

Les destinées du jury criminel, Lille, L’espace juridique, 1990. Rappr. les travaux de Schnapper, not. « Le

jury criminel », in Badinter (R.), dir., Une autre justice…, préc., p. 149 ; ainsi que « Le jury français aux XIXe

et XXe

siècles » publié dans son ouvrage Voies nouvelles en histoire du droit, préc., p. 241.

4

Cette question est traitée par Royer (J.-P.) dans son article « Et le jury civil ? », extrait du collectif dirigé par Martinage (R.) et Royer (J.-P.), dir., op. cit. ; v. également les développements qu’il consacre à la question dans son Histoire de la justice, préc., pp. 304-309.

5

Sur la figure de Duport, v. Poncela (P.), « Adrien Duport, fondateur du droit pénal moderne »,

Droits, 1993, n° 17, p. 139.

6

Padoa-Schioppa (A.) explore ce plan dans son article « Le jury d’Adrien Duport », in Vovelle (M.), dir.,

op. cit., vol. 2, p. 609.

7

Padoa-Schioppa (A.), op. cit., p. 611.

8

Séance du 29 mars 1789, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 3, p. 741.

9

Selon Duport, pour juger, il faut « d’abord constater le fait, ensuite comparer le fait à la loi » et « ces deux opérations ne peuvent être confiées aux personnes d’un même état » (ibid).

10

Intervention de Mougins de Roquefort, séance du mardi 6 avril, Réimpression de l'ancien Moniteur

universel, préc., Tome 4, p. 54. Loin d’être isolé, ce commentaire est récurrent dans les débats

pour l’indissociabilité en donnant au jury d’hommes de lois, qu’il propose à l’Assemblée, la charge d’identifier les prémisses juridiques et factuelles du syllogisme judiciaire1. Reste que ce dualisme conceptuel fonde toutes les

représentations du jury des révolutionnaires, puis de leurs successeurs2. Peu prolixe

sur la question du jury civil, la doctrine des facultés de droit n'en est pas moins acquise à la conception légaliste qui le justifie en réduisant le jugement à la simple application de la loi générale aux faits particuliers.

Dans le document La fonction de juger (Page 91-97)