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L A REFONTE INSTITUTIONNELLE DU CADRE JUDICIAIRE

Dans le document La fonction de juger (Page 118-127)

Le juge en activité, sujet soumis à la lo

A. L A REFONTE INSTITUTIONNELLE DU CADRE JUDICIAIRE

« Si l’on en croyait certaines personnes, on supprimerait toute espèce de procédures, comme si la décision des magistrats pouvait n’être précédée d’aucune instruction : on réduirait arbitrairement tous les droits, comme s’il pouvait exister dans l’État une classe d’hommes qui seule donnerait gratuitement à ses concitoyens ses soins, ses peines, le fruit de son travail et de son expérience. Comment peut-on se livrer encore à ces exagérations après l’épreuve récente que nous avons faite ? »

Exposé général du système du Code de procédure civile, par M. Treilhard au Corps législatif, séance du 4 avril 1806, rapporté par Le Baron Locré, La législation civile,

commerciale et criminelle de la France, Paris, Treuttel et

Würtz, 1830, Tome XXI, pp. 32-33.

238. L’utopie rationaliste, qui préside à la régénération révolutionnaire de l'ordre judiciaire, nourrit un modèle de justice conciliatoire et un idéal institutionnel caractérisé par sa simplicité formelle et sa proximité spatiale. Les réformes des premières années de la Révolution vont en ce sens et marquent en profondeur le paysage juridique français (1). Tout à la fois érodant et consolidant cette empreinte, le régime napoléonien la fond à des éléments d’Ancien Régime et donne à la France un ordre judiciaire durable qui fixe, pour plus de 150 ans, l'organisation des juridictions civiles et leur marche procédurale (2).

1–REGENERATION JUDICIAIRE ET UTOPIE RATIONALISTE

239. En dépit de la nomophilie régnant lors de la reconstruction de l’ordre judiciaire par les Constituants, la légalité cède le pas à d’autres topiques quand ils en viennent à déterminer les modalités pratiques d’exercice de la nouvelle justice. Un jusnaturalisme sous-théorisé et teinté d’optimisme favorise alors le développement des procédures conciliatoires au détriment des juridictions étatiques (a). Dans le même temps, l’antijuridisme et l’égalitarisme des révolutionnaires alimentent la simplification de l’organisation et des formes judiciaires (b).

a – Jusnaturalisme, optimisme et colonisation du judiciaire par l’arbitrage

240. Révélatrice de la faible pénétration des doctrines « scientifiques » du droit naturel dans la France pré-révolutionnaire1, les limites de la réflexion révolutionnaire

1

Selon Halpérin (J.-L.), « le droit naturel n’a jamais été, pour nos philosophes, un système mais plutôt une référence, parfois assez vague à des principes juridiques ou moraux censés remonter à la pureté de l’état de nature », L’impossible Code civil, Paris, PUF, 1992, p. 63. Sur les doctrines jusnaturalistes dites « scientifiques », v. les articles de Thomann (M.), « Histoire de l’idéologie juridique au XVIIIe

en la matière1 ne sauraient faire oublier la perspective résolument jusnaturaliste

adoptée par l’Assemblée2. Cet arrière-plan théorique nourrit largement la faveur des

Constituants pour l’arbitrage et la conciliation, espaces d’expression privilégiés de la raison naturelle dans l’ordre du contentieux3. Sensible dans les cahiers de doléances4,

l’engouement pour ces modes de résolution des litiges, qui s’accordent parfaitement au souci révolutionnaire de limiter l’emprise des juges sur le corps social, s’appuie sur l’anthropologie sociale optimiste du moment. Pour les députés, « planter alentour des humains le décor neuf auquel on songe aura pour nécessaire effet de suffire à les bonifier »5 ; et de cette conviction surgit la nécessité de nouvelles

institutions, partiellement dégagées des exigences du droit positif pour être mieux sensibles à celles de la raison.

241. Cette justice projetée, qui doit amener la concorde où les instances judiciaires attisaient les rancœurs, a l’arbitrage pour principal pilier. Dans l’importante loi des 16-24 août 1790 qui reconstruit l’ordre judiciaire en son entier, les députés lui consacrent la première place et interdisent que celle-ci puisse lui être un jour contestée. L’article 1er de ce texte, voté sans discussion par l’Assemblée6,

décrète : « (l)'arbitrage étant le moyen le plus raisonnable de terminer les contestations entre les citoyens, les législatures ne pourront faire aucune disposition qui tendrait à diminuer, soit la faveur, soit l’efficacité des compromis ».

242. Cette préséance, qui s’impose jusque dans les constitutions révolutionnaires7, non seulement rétrécit le territoire du judiciaire8, mais en modifie

"le droit prisonnier des mots" », APD, 1974, Tome 19, et « Un modèle de rationalité idéologique : le "rationalisme" des Lumières », APD, 1978, Tome 23.

1

Sur le droit naturel des députés au tout début de la Révolution française, v. Halpérin (J.-L.), op. cit., chapitre 2, pp. 51-76. V. également les articles de Thomann (M.), « Droit naturel et Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 », in Vovelle (M.), dir., op. cit., Tome 1, p. 65 ; et « Origines et sources doctrinales de la déclaration des droits », Droits, 1988, n° 8, not. pp. 68-69.

2

V. sur ce point Wachsmann (P.), « Naturalisme et volontarisme dans la déclaration des droits de l'homme de 1789 », Droits, 1985, n° 2, pp. 14-15.

3

Selon Clère (J.-J.), dans l’idéologie révolutionnaire, arbitrage et conciliation sont « indissociables » en ce qu’ils apparaissent tous deux « comme la suite logique du droit naturel, droit simple, clair et immédiatement perceptible », « L’arbitrage révolutionnaire : apogée et déclin d’une institution (1790- 1806) », Rev. arb., 1981-1, p. 8. Sur cette problématique, v. également l’article du même auteur intitulé « Recherche sur l’histoire de la conciliation en France au XVIIIe

et XIXe

siècles », MSHDI, 46e

fascicule, 1989, p. 191.

4

Dans son résumé des cahiers sur la réforme judiciaire (article 29), la Chancellerie présente comme un « vœu général » l’établissement d’un « Conseil de paix » dans chaque paroisse pour faire « office d’arbitre gratuit » avant que « les parties ne puissent se pourvoir en justice », reproduit in Seligman (E.),

op. cit., p. 494.

5

Martin (X.), Nature humaine et Révolution française du siècle des Lumières au Code Napoléon, Bouère, Éd. Dominique Martin Morin, 1994, p. 99.

6

Séance du 16 août 1790, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, Paris, Plon, 1860, Tome 5, p. 408.

7

Reprennent ainsi une partie des principes exprimés par la loi des 16-24 aout 1790, la Constitution du 3 septembre 1791 (Titre III, Chap. V, Art. 5), le projet girondin des 15 et 16 février 1793 (Titre X, Sect. 2, art. 273), la Constitution du 24 juin 1793 (art. 86), celle du 5 fructidor an III (art. 210).

8

Parmi les dispositions qui restreignent alors le domaine des juges au profit de celui des arbitres, on peut citer par exemple le principe selon lequel « il ne sera point permis d’appeler des sentences arbitrales, à moins que les parties ne se soient expressément réservées, par le compromis, la faculté de l’appel » et qu’elles aient également convenu « par le compromis, d’un tribunal entre tous ceux du royaume auquel

l’essence même. Conçus comme de simples « arbitres publics »1, les juges voient

leur activité réorganisée à l’aune d’un modèle dont la finalité est plus la réconciliation des parties que la résolution juridique de leurs litiges2. A l’Assemblée,

Prugnon rappelle qu’avant de rendre la justice, la société doit « (e)mpêcher les procès », et à l’adresse des citoyens il ajoute : « (p)our arriver au temple de la justice, passez par celui de la concorde »3. Ce principe guide les révolutionnaires

dans l’instauration d’un préliminaire de conciliation devant un bureau de paix, préalable obligatoire à la liaison de tout contentieux de quelque importance4. Il

s’exprime également dans l’institution, au socle de l’édifice judiciaire, d’une justice de paix5 « qui ne demande pas d’autres lois que les indications du bon sens »6 et dont

les magistrats sont « semblables aux citoyens qui décident (…) en qualité d’arbitres »7. L’établissement de tribunaux de famille relève de la même logique8 :

conçues pour « rendre la conciliation inévitable (…) en donnant aux parties des juges intéressés à les accorder »9, cette incarnation domestique de l’arbitrage

bénéficie, comme ce dernier, de l’antijuridisme croissant qui caractérise les premières années de la Révolution.

l’appel sera déféré, faute de quoi l’appel ne sera pas reçu », articles 4 et 5 du décret des 16-24 août 1790. L’extension de l’arbitrage, qui va se faire forcé en certaines matières, est continuelle jusqu’en 1794. Sur l’arbitrage forcé, v. Ikni (G.-R.), « La loi du dix juin 1793 et la sentence arbitrale : une procédure d’expropriation révolutionnaire ? », in Vovelle (M.), dir., op. cit., Tome 2, p. 417 ; et dans le même volume, Solakian (D.), « Copartageants ou propriétaires ? Interprétations locales de la loi du 10 juin 1793 sur le mode de partage de terrains communaux », p. 429.

1

Radicale en ce domaine comme en d’autres, la Constitution du 24 juin 1793 (articles 91 et 93) évite soigneusement le vocable de « juge » pour n’évoquer que les « arbitres publics » dont la fonction est de « (connaître) des contestations qui n’ont pas été terminées définitivement par les arbitres privés ou par les juges de paix ».

2

Sur la philosophie générale et les formes institutionnelles des procédures conciliatoires, v. la synthèse de Royer (J.-P.), Histoire de la justice, préc., pp. 281-292.

3

Séance du mercredi 7 juillet, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 5, pp. 73-74.

4

Le décret des 16-24 août 1790 prévoit dans son Titre X, article 2, qu’« (a)ucune action au principal ne sera reçue au civil devant les juges de district (…) si le demandeur n’a pas donné, en tête de son exploit, copie du certificat du bureau de paix, constatant que sa partie a été inutilement appelée à ce bureau, ou qu’il a employé sans fruit sa médiation », Duvergier (J.B.), op. cit., Tome 1, p. 326. Sur le préliminaire de conciliation, v. Léonnet (J.), « Une création de l’Assemblée constituante : la conciliation judiciaire », in Badinter (R.), dir., Une autre justice, préc., p. 267.

5

V. Delaigue (P.), « Une justice de proximité : création et installation des juges de paix (1790-1804) »,

Histoire de la Justice, 1995-1996, n° 8-9, p. 31. V. également Ten Raa (M.G.), « Les origines de la justice

de paix et la République », in Lorgnier (J.), Martinage (R.) et Royer (J.-P.), dir., Justice et République(s), préc., p. 137. V. enfin les travaux de Métairie (G.), not. « Figures de juges de paix parisiens », in

Hommage à Romuald Szramkiewicz, Paris, Litec, 1998, p. 235.

6

Thouret, Séance du mercredi 7 juillet, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 5, p. 67. Poursuivant, l’illustre membre du comité de constitution explique que « (p)our être juge de paix, il suffira d’avoir les lumières de l’expérience et d’un bon jugement, et l’habitude des contestations », ibid.

7

Ibid.

8

Sur les tribunaux de famille, v. les travaux de Commaille (J.), « Les tribunaux de famille sous la Révolution. Recours à l’histoire comme contribution à une sociologie de la justice et des relations privé- public », in Badinter (R.), dir., op. cit., p. 205 ; et « Les formes de justice comme mode de régulation de la famille, questions sociologiques posées par les tribunaux de famille sous la Révolution française », in Théry (I.) et Biet (C.), dir., La famille, la loi, l’État…, préc., p. 274. V. également, dans le même volume, Halpérin (J.-L.), « La composition des tribunaux de famille sous la Révolution, ou "les juristes, comment s’en débarasser ?" », p. 292.

9

b – Antijuridisme, égalitarisme et simplification de la justice pour le justiciable

243. La croyance révolutionnaire selon laquelle « la loi naturelle est gravée dans le cœur de l’homme et (…) la loi politique – la volonté générale – existe dans toutes les consciences individuelles »1 porte en germe l'idée selon laquelle les citoyens

peuvent résoudre pacifiquement leurs différends. Lourde d’un antijuridisme implicite, cette conception renforce une aversion pour le droit qui s’exprimait déjà sous l’Ancien Régime dans la dénonciation de la chicane, mais qui croît à partir de 1789 au point de couvrir d’opprobre l’ensemble des hommes de lois2. Corollaire

d’une Révolution radicale3, cette défiance dissout la légitimité intellectuelle des

jurisconsultes4 et conduit à une « déprofessionalisation » de la justice5.

L '« aristocratie thémistique »6, dont la disparition est annoncée par les députés, se

voit substituer l’ensemble des citoyens qui concourent également « à la formation et à l’exécution des lois »7.

244. L’effroi suscité par l’opacité d’un droit de savants faisant obstacle à la transparence du rapport liant la loi au citoyen8 incite les révolutionnaires à simplifier

la marche des procès9. Préparée par une royauté impuissante à la mettre en œuvre10,

la réforme procédurale est à l’ordre du jour dès 1789, mais la Constituante se contente d’adopter certaines dispositions protectrices des plaideurs11

dans l’attente

1

Beaud (O.), « Ouverture : L’histoire juridique de la Révolution française est-elle possible ? », préc., p. 8.

2

Sur le sort réservé aux juristes professionnels par la Révolution, v. Halpérin (J.-L.), L’impossible Code

civil, préc., pp. 180-189, ainsi que son article « Haro sur les hommes de loi », Droits, 1983, n° 17, p. 55.

3

Sur la rupture à l’égard de l’ancien droit induite par les révolutions « globales », v. Gilissen (J.), « Droit et Révolution. Quelques réflexions historico-juridiques sur un thème de philosophie du droit », in Justice

et argumentation. Essais à la mémoire de Chaïm Perelman, Bruxelles, éd. de l’Université de Bruxelles,

1986, p. 117.

4

Signe évident de la désaffection à l’égard de la pensée juridique, l’enseignement du droit est malmené durant toute la période révolutionnaire. Cet épisode est évoqué par Imbert (J.) dans son article sur « L’enseignement du droit dans les Écoles centrales sous Révolution », AHFDSJ, 1986, n° 3, p. 37. Dans la même livraison, rappr. Halpérin (J.-L.), « Une enquête du ministère de l’Intérieur sous le Directoire sur les cours de législation dans les Écoles centrales », p. 57.

5

Halpérin (J.-L.), « Haro sur les hommes de loi », préc., p. 60.

6

Connotant péjorativement l’ensemble des juristes professionnels, cette expression revient plusieurs fois dans des débats de la Constituante. Ainsi Goupil de Préfeln évoque, lors de la séance du mercredi 31 mars 1790, le « despotisme des légistes et (…) l’aristocratie thémistique, la plus dangereuse de toutes les aristocraties », Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 7.

7

Halpérin (J.-L.), op. cit., p. 60.

8

Beaud (O.), « Ouverture… », article précité, p. 9.

9

Sur la politique révolutionnaire en matière de procédure civile, v. Bloch (C.) et Hilaire (J.), « Nouveauté et modernité du droit révolutionnaire : la procédure civile », in Vovelle (M.), dir., op. cit., Tome 2, p. 469 ; Halpérin (J.-L.), « Le juge et le jugement en France… », préc., not. pp. 240-248 ; rappr. Monier (J.-C.), « Note sur les caractères de la procédure civile dans la période 1789-1804 », in Théry (I.) et Biet (C.), dir., op. cit., p. 306.

10

Hilaire (J.) montre ainsi comment le souhait exprimé par les cahiers de doléances quant à la réduction des degrés de juridiction à deux atteste d’une « évolution confuse que la royauté était impuissante à mener à son terme » mais dont on admettait largement la nécessité, « Un peu d’histoire », préc., p. 11.

11

Le décret des 16-24 août 1790 donne une autorité légale à quelques principes procéduraux essentiels comme ceux de la liberté de la défense (Titre II, art. 14), de la publicité de la justice (Titre II, art. 15), ou de la motivation des décisions (Titre V, art. 15).

d’une recodification de la matière1 et elle maintient provisoirement l’ordonnance de

16672. La Convention n’abroge pas plus cette dernière, mais elle franchit une étape

dans la simplification des formes3. Généralisant la « procédure sommaire », le décret

du 3 brumaire an II (24 octobre 1793) restreint drastiquement l'intervention des auxiliaires de justice dans la marche de la justice pour réaliser la gratuité promise et assurer une efficacité accrue4.

245. S’imposant avec d’autant plus de force qu’elle se justifie aussi en vue de garantir l’égalité de tous devant la justice5, la refonte des formes du procès civil

accompagne celle de la distribution des tribunaux6. Coulée dans un découpage

administratif en rupture avec la géographie institutionnelle de l’Ancien Régime7, la

carte judiciaire de 1790 est le fruit d’une nouvelle raison géométrique et d’une volonté de rapprocher les juges des plaideurs8. La multiplication des tribunaux à

l’échelon du district9 et la disparition des juridictions de second degré, remplacées

par un système d’appel circulaire10, épanchent la soif de proximité judiciaire des

députés tout en satisfaisant leur défiance à l’égard des juges. Soucieux de remédier à une excessive fragmentation de l’administration de la justice, le Directoire passe d’un extrême à l’autre et élargit au département le ressort du tribunal civil quelques années plus tard11. Sans lendemain, cette mesure est vite balayée par une nouvelle

1

L’article 20 du décret des 16-24 août 1790 prévoit que « le Code de procédure civile sera incessament réformé, de manière qu’elle soit rendue plus simple, plus expéditive et moins couteuse », mais les Constituants n’auront pas le temps de s’atteler à cette tâche, Duvergier (J.B.), op. cit., Tome 1, p. 313.

2

L’article 34 du décret des 6-27 mars 1791 relatif au nouvel ordre judiciaire prévoit que « jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait statué sur la simplification de la procédure, les avoués suivront exactement celle qui est établie par l’ordonnance de 1667 et règlemens postérieurs », Duvergier (J.B.), op. cit., Tome 2, p. 243.

3

Halpérin (J.-L.), op. cit., p. 242.

4

Sur le décret du 3 brumaire an II, v. Bloch (C.) et Hilaire (J.), op. cit.

5

Exemplaire de cette préocupation, le décret des 16-24 août 1790 prévoit (Titre II, article 16) que « (t)out privilège en matière de juridiction est aboli ; tous les citoyens, sans distinction, plaideront en la même forme et devant les mêmes juges, dans les mêmes cas », Duvergier (J.B.), op. cit., Tome 1, p. 312. Sur la justice dans son rapport avec le principe d’égalité, v. Caporal (S.), L’affirmation du principe d’égalité

dans le droit public de la Révolution française (1789-1799), Aix en Provence : PUAM, Paris :

Economica, 1995, pp. 77-87.

6

Le processus d’élaboration de la carte judiciaire française est au centre des travaux socio-historiques de Chauvaud (F.). De cet auteur, en collab. de Jean-Jacques Yvorel, v. not. Le juge, le tribun et le comptable.

Histoire de l’organisation judiciaire entre les pouvoirs, les savoirs et les discours (1789-1930), Paris,

Anthropos, 1995. Du même auteur, v. également « Carte judiciaire et justice de proximité (1790-1914) »,

Histoire de la justice, 1995-1996, n° 8-9, p. 49 ; ainsi que « La justice et le temps circulaire. Le destin des

territoires de justice de 1789 au début des "années 1930" », in Association française pour l'histoire de la justice / École nationale de la magistrature, Du juge de paix au tribunal départemental - Actes du

colloque du 17 mars 1995, Paris, 1997, p. 19.

7

Sur l’avènement d’un nouveau découpage administratif dans les premières années de la Révolution, v. Godechot (J.), Les institutions de la France …, préc., p. 91 et s.

8

Chauvaud (F.), Le juge, le tribun…, préc., pp. 89-105.

9

Sur ces juridictions, v. Drugeon (L.), « La justice à portée de cheval : les tribunaux de district pendant la Révolution française (1790-1795) », in Journées régionales d’histoire de la justice – Poitiers, 13, 14 et

15 novembre 1997, Paris, PUF, 1999, p. 107.

10

Sur l’appel circulaire, v. Royer (J.-P.), Histoire de la justice, préc., p. 292.

11

topographie judiciaire qui, coulée dans le bronze du legs napoléonien, reste inchangée jusqu’en 19581.

2 SOLIDIFICATION INSTITUTIONNELLE ET RESURRECTION DE CADRES

TRADITIONNELS

246. Bonaparte considérait les juges comme « des machines physiques au moyen desquelles les lois sont exécutées comme l’heure est marquée par l’aiguille d’une montre »2. Cette conception, que n'auraient pas reniée les révolutionnaires, n’a pas

empêché Napoléon d’inscrire la justice civile dans un cadre institutionnel largement inspiré de l’Ancien Régime, tant en ce qui concerne l’organisation judiciaire (a) que les règles de procédure (b).

a – L’organisation judiciaire

247. Annonçant le 24 frimaire an VIII que la Révolution, « fixée aux principes qui l’ont commencée », est désormais « finie »3, Napoléon entame un règne de

quinze années durant lesquelles il donne sa forme moderne à la justice civile4. La

constitution des « brumairiens »5 et les deux lois du 27 ventôse an VIII constituent le

socle de ce nouvel ordre judiciaire6 qui, à l’image de la variété des hommes

entourant le premier Consul7, apparaît comme une œuvre de transaction. A défaut de

démêler l’écheveau des influences multiples à l’origine de cette réforme8, ses

dispositions essentielles suffisent à démontrer qu’elle repose sur « un compromis entre l’idée de hiérarchie judiciaire, empruntée à l’Ancien Régime, et le schéma d’une organisation rationalisée qui vient de la Révolution »9.

1

Sur l’histoire de la carte judiciaire de 1930 jusqu’à nos jours, v. les travaux de Commaille (J.), notamment Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte judiciaire, Paris, PUF, 2000. Du même auteur, v. également « L’enchâssement de la carte judiciaire dans les traditions de la société française. Bilan du passé, schémas d’un avenir », in Association française pour l'histoire de la justice / École nationale de la magistrature, Du juge de paix au tribunal…, préc., p. 33.

2

Au Conseil d’État, 7 mai 1806, Correspondance de Napoléon. Six cents lettres de travail (1806-1810), éd. par M. Vox, Paris, 1943, p. 455, cité par Martin (X.), Nature humaine et Révolution française, préc., p. 241.

3

Proclamation des Consuls de la République du 24 frimaire an VII (15 décembre 1799), reproduit par Duverger (M.), Constitutions et documents politiques, Paris, PUF, 1996, p. 127.

4

Sur la justice sous le règne de Napoléon Bonaparte, v. Monnier (F.), « Justice », in Tulard (J.), dir.,

Dictionnaire Napoléon, Paris, Fayard, 1987, p. 993. Du même auteur, et dans le même ouvrage, rappr. le

« Magistrature », p. 1110. Sur ce sujet, v. également Halpérin (J.-L.), « L’Empire hérite et lègue », in Boucher (Ph.), dir., La révolution de la justice, préc., not. pp. 236-242.

5

La constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) consacre son Titre V (articles 60 à 68), plus quelques dispositions éparses, aux « tribunaux » et à la fonction judiciaire.

6

Sur ce chapitre de l’histoire judiciaire, il faut se reporter aux travaux de Bourdon (J.), op. cit.

7

Exemplaire de cette variété, le triumvirat consulaire désigné par Sieyès le 22 frimaire (13 décembre) réunit, sous l’autorité de Bonaparte, l’ancien conventionnel régicide Cambacérès et l’ancien secrétaire du chancelier Maupeou et royaliste modéré Lebrun, Godechot (J.), op. cit., p. 556.

8

Bourdon (J.) revient longuement sur les origines de la réforme judiciaire de l’an VIII, op. cit., pp. 273-

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