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A VATARS REVOLUTIONNAIRES D ’ UNE THEMATIQUE

Dans le document La fonction de juger (Page 63-70)

Le pouvoir de juger dans l’État souverain

§ 2 L' AUTORITE JUDICIAIRE ET LA SEPARATION RATIONNELLE DES POUVOIRS

A. A VATARS REVOLUTIONNAIRES D ’ UNE THEMATIQUE

« Ainsi la nécessité de tenir le pouvoir législatif séparé du pouvoir exécutif obligerait à séparer le pouvoir judiciaire de ce pouvoir exécutif, quand même il n'en différerait pas essentiellement. »

Roederer, séance du 7 mai 1790, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, Tome 4 - Assemblée constituante, Paris, Éd. Henri Plon, 1860, p. 304.

110. Cherchant à « faire aller la machine publique » et à en « accorder toutes les pièces »3, les Constituants et leurs successeurs ont en commun la certitude que pour

1

Rials (S.), « 1689-1789 : une lecture de Montesquieu », in Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 480.

2

Montesquieu, op. cit., Part. 2, Liv. XI, Chap. VI, p. 305.

3

Tels sont les termes placés par l'abbé Sieyès en épigraphe à son Aperçu d'une nouvelle organisation de

la justice et de la police en France et reproduits au mois d'avril 1790 dans les colonnes du Moniteur universel, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p.13.

garantir la liberté politique aucun corps institutionnel ne doit disposer de toutes les prérogatives étatiques. Cette division des pouvoirs qui fait écho aux préoccupations de Montesquieu est indissociable d’une représentation hiérarchique des fonctions normatives de l’État subordonnant la puissance de juger à celle de faire la loi (1). Susceptible de s’incarner dans de nombreux modèles institutionnels, ce principe d’organisation des pouvoirs étatiques a connu une concrétisation durable dans la détermination des compétences de l’autorité judiciaire qu’ont opérée les révolutionnaires (2).

1–DIVISION DES FONCTIONS

111. Conçue comme une nécessité constitutionnelle, la séparation des pouvoirs a été consacrée par les Constituants dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Porteur de lourdes ambiguïtés, ce principe de division des fonctions étatiques implique leur hiérarchisation et maintient la primauté de la puissance de légiférer sur le pouvoir d’appliquer la loi (a). Ce dernier se dissocie en un pouvoir judiciaire et un pouvoir exécutif également placés en situation d’infériorité à l’égard de la volonté générale (b).

a – Supériorité du pouvoir de faire la loi sur le pouvoir de l’appliquer

112. Déjà mise en évidence en ce qui concerne le fondement du pouvoir souverain1, l’influence de la philosophie politique du XVIIIe siècle sur les acteurs de

la Révolution française se vérifie également sur le plan des principes fondamentaux de l’organisation institutionnelle. En ce domaine, le principe de la séparation des pouvoirs qui « avait fait l’unanimité des philosophes ennemis du despotisme » fit également « l’unanimité de l’Assemblée »2. Dans les deux cas, cette règle selon

laquelle, pour garantir la liberté, les fonctions de l’État ne doivent pas être réunies entre les mêmes mains repose sur une distinction opposant l’édiction des règles juridiques et leur application administrative ou judiciaire3. Cette différenciation de la

volonté et de l’exécution qui implique « par sa terminologie même, (…) la primauté de la loi »4 apparaît en filigrane dans la théorie constitutionnelle de Montesquieu5 et

très explicitement chez Rousseau1

.

1

Supra Part. 1, Chap. 1, Sect. 1, § 2, A, n° 47 et s.

2

Troper (M.), La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, Paris, LGDJ, 1980, p. 157. En sens contraire, v. Godechot (J.) qui affirme : « Nonobstant l’article 16 de la Déclaration des droits, les Constituants estimaient (…) que certains régimes pouvaient fort bien fonctionner sans que les pouvoirs fussent divisés. D’ailleurs, eux-mêmes, en vertu (…) de la théorie du pouvoir constituant réunissaient pour un temps les trois pouvoirs… », Les institutions de la France…, préc., p. 45.

3

Troper (M.), op. cit., p. 114 et s.

4

Troper (M.), op. cit., p. 118.

5

La différence de nature entre ces deux formes d’exercice de la puissance étatique passe inaperçue dans la théorie des fonctions de l’État élaborée par Montesquieu. Elle est pourtant sous-jacente puisque, comme le remarque Troper (M.), le baron de la Brède distingue « bien volonté et exécution ; il ne conçoit pas une fonction qui puisse avoir une nature double », op. cit., p. 117. Par ailleurs, il reconnaît implicitement la supériorité de la loi, notamment dans ce passage, extrait du chapitre VI du livre XI (De

l’esprit des lois, op. cit, p. 300) : « Si la puissance exécutrice n’a pas le droit d’arrêter les entreprises du

113. Véritable « lieu commun »2 de la pensée politique du XVIIIe siècle le

principe de séparation qui permet de diviser la puissance d’État « sans détruire la "summa potestas" »3 fait donc l'unanimité chez les Constituants4. Tous s'accordent

sur le fait que « les droits de l'homme ne sont assurés qu'autant que les pouvoirs publics sont distincts et sagement distribués »5. Mais les députés pressentent

également combien ce principe est gros d’une bataille d'interprétations6. Aussi se

prononcent-il le 26 août 1789 pour que celui-ci soit consigné dans la déclaration des droits, mais « que l'on renvoie les réflexions pour l'exécuter à la constitution »7.

L'article 16 finalement adopté ne laisse « aucune méfiance » aux uns et aux autres : il constate simplement que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution »8.

114. Sous cette forme négative, le principe de séparation des pouvoirs est revendiqué peu ou prou par la totalité des régimes qui se succèdent en France à partir de 17899. Ne préjugeant pas de la manière positive dont sont agencées les

institutions, cette règle est cependant à l'origine d'une « tradition française de séparation des pouvoirs, qui (…) continue à peser »10 notamment sur la conception

de la puissance de juger.

b – Dissociation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif

115. La question du pouvoir judiciaire n’est pourtant pas abordée par les députés qui discutent l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme. Pour eux, les nécessités de l’instant réclament une « protection contre toute tentative de la puissance royale de revenir sur l’acquis de la nation »11. Le débat ne fait aucune

que que la puissance législative ait réciproquement la faculté d’arrêter la puissance exécutrice. Car l’exécution ayant ses limites par sa nature, il est inutile de la borner (…) ». Comme le remarque Troper (M.), cela implique que la puissance législative n’a pas de limite par sa nature, op. cit., p. 118.

1

Supra Part. 1, Chap. 1, Sect. 1, § 2, A, 1, n° 49 et s.

2

Troper (M.), « L'interprétation de l'article 16 », Droits, 1988, n° 8, p. 118.

3

Troper (M.), La séparation des pouvoirs…, préc., p. 119.

4

Sur la discussion et l’élaboration par les députés de l’article 16 qui consacre le principe de séparation des pouvoirs dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, v. Gauchet (M.), La révolution des

droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1992, p. 183 et s. ; v. également Rials (S.), La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préc., p. 251 et s.

5

Article proposé par Target mais non retenu par l’Assemblée nationale à l’occasion de l’élaboration de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen lors de la séance du mercredi 26 aout 1789,

Réimpression de l'ancien Moniteur universel, Paris, Plon, 1858, Tome 1, p. 384.

6

Gauchet (M.), op. cit., p. 188.

7

Intervention de M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 1, p. 384.

8

Article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

9

Pour Troper (M.), « il n'y a pas une seule des Constitutions françaises dont les auteurs n'aient entendu se conformer » au principe « selon lequel une seule autorité ne doit pas exercer la totalité des fonctions étatiques », La séparation des pouvoirs…, préc., p. 206. Sur la signification contemporaine de ce principe, v. Avril (P.), « La séparation des pouvoirs aujourd’hui », in Troper (M.) et Jaume (L.), dir., 1789 et

l’invention de la constitution, préc., p. 295.

10

Chevallier (J.), « La séparation des pouvoirs », in Association française des constitutionnalistes, La

continuité constitutionnelle…, préc., p. 146.

11

référence à la fonction de juger et « la force exécutrice et la force législatrice »1 sont

seules envisagées. Cette acception dualiste de la séparation revient de manière récurrente lors de la discussion menée par les Constituants sur l’institution des juges2. Soucieux de renforcer la position royale, certains députés ne reconnaissent

« que deux pouvoirs, celui qui fait la loi, et celui qui la fait exécuter »3. Ainsi pour le

Vicomte de Mirabeau, il « n’est pas un seul publiciste qui ait mis le pouvoir judiciaire au nombre des pouvoirs politiques »4. Pour ces monarchiens, la puissance

de juger est une simple émanation de l’exécutif et doit à ce titre rester dans sa « dépendance »5.

116. Une telle conception est loin de faire l’unanimité parmi les députés. Toujours à l’occasion de ce débat particulièrement animé sur l’institution des juges, Barnave invoque Montesquieu contre les partisans de la puissance royale6 : « il

est faux, souverainement faux, que le pouvoir judiciaire soit une partie du pouvoir exécutif »7. Persuadé avec d’autres que « le dépositaire du pouvoir exécutif ne doit

avoir aucune influence sur les agents du pouvoir judiciaire »8, il obtient finalement

gain de cause : la constitution de 1791 consacre l’existence d’un pouvoir judiciaire9

issu du peuple par la voie élective et délivré de toute influence royale10. Cette

victoire, qui est aussi celle de la conception trialiste des pouvoirs étatiques défendue par Montesquieu, est cependant de courte durée.

1

Selon les termes de M. de Boisgelin, intervention précitée.

2

La délibération de l’Assemblée sur les modalités d’institution des juges débute le 5 mai 1790 et s’étale sur trois jours. Elle est reproduite dans la Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 288 et s. Sur le déroulement de ces débats et sur leurs implications politiques à cet instant de la Révolution, v. Royer (J.-P.), Histoire de la justice, préc., pp. 323-327. Sur les conceptions du pouvoir judiciaire qui y sont développées, v. Verpeaux (M.), « La notion révolutionnaire de juridiction », Droits, 1989, n° 9, p. 33 et s.

3

Cazalès, séance du mercredi 5 mai, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 291.

4

Séance du jeudi 6 mai, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 300.

5

Le mot est de M. de Cazalès, séance du mercredi 5 mai, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 291.

6

Sur la référence à Montesquieu dans le débat révolutionnaire sur l’institution des juges, v. Manin (B.), « Montesquieu », in Furet (F.) et Ozouf (M.), dir., Dictionnaire critique de la Révolution, préc., p. 792.

7

Séance du mercredi 5 mai, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 299.

8

Intervention de Mougins de Roquefort, séance du mercredi 5 mai, Réimpression de l'ancien Moniteur

universel, préc., Tome 4, p. 289.

9

Le Chapitre V du Titre III de la constitution de 1791 s’intitule « Du pouvoir judiciaire ». Par la suite aucune constitution française ne consacrera de manière aussi explicite la puissance de juger au sein de l’État même si la notion de « pouvoir judiciaire » est utilisée dans les constitutions du 5 fructidor an III (22 août 1795), du 4 novembre 1848 et également, quoique de manière franchement abusive, dans l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire du 22 avril 1815.

10

L’Art. 2, Chap. 5, Tit. III, de la constitution de 1791 prévoit que les juges sont « élus à temps par le peuple, et institués par des lettres-patentes du Roi qui ne pourra les refuser ». Rappr. l’Art. 3, Tit. II du décret du 16 août 1789 sur l’organisation judiciaire : « Les juges seront élus par les justiciables ». Sur ce thème, v. Métairie (G.), « L’électivité des magistrats judiciaires en France, entre Révolution et monarchies (1789-1814) », in Krynen (J.), dir., L’Élection des juges. Étude historique française et

117. Le principe de l’élection des juges est très tôt concurrencé1, puis

définitivement remplacé2, par celui de la nomination. Combinée à de fréquentes

épurations judiciaires3, cette évolution vide de son sens la notion de pouvoir

judiciaire et place pour longtemps « les tribunaux sous la coupe du pouvoir exécutif »4. Certes, tout au long du XIXe siècle, l’élection des juges demeure « un

article important du catéchisme des républicains »5. Mais le mot d’ordre qui le sous-

tend selon lequel « le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif sont deux pouvoirs différents, deux organes de la nation ; non subordonnés l’un à l’autre »6 demeure

lettre morte. Pétition de principe sans traduction institutionnelle, cette conception semble s’imposer aux premiers jours de la Révolution mais s’incline en définitive devant la vision que nourrissaient les monarchiens. Avalisé par les juges7, ce

principe de dépendance institutionnelle de l’autorité judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif se combine à une répartition des compétences qui donne à la « tradition française de la séparation des pouvoirs »8 une spécificité certaine.

2–DISTRIBUTION DES COMPETENCES

118. La réorganisation des représentations constitutionnelles à laquelle a donné lieu l’épisode révolutionnaire s’est traduite par une redéfinition des pouvoirs étatiques tant sur le plan abstrait des fonctions que sur celui plus concret des compétences. Pour protéger les frontières d’attributions établies à cette occasion, certaines règles connexes au principe de séparation ont été établies afin d’éviter l’empiètement des pouvoirs les uns sur les autres. Ces règles qui proscrivent théoriquement tout expansionnisme judiciaire dans le domaine législatif justifient l’institution de la cassation (a). Elles sont également à l’origine d’une répartition des

1

Selon Royer (J.-P.), les élections judiciaires de 1792 et 1793 s’accompagnent de la réapparition de la nomination comme mode de recrutement. Celle-ci « se conjugue de plus en plus souvent avec l’élection, jusqu’à la fin de la Révolution », Histoire de la justice, préc., p. 354. Sur cette question, rappr., du même auteur, La société judiciaire…, préc., pp. 237-244.

2

Le principe d’élection des juges est abandonné par la constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799) qui lui préfère, comme les suivantes jusqu’à la 5e

République, celui de nomination des juges par le pouvoir exécutif.

3

V. l’ouvrage collectif de l’Association française pour l’histoire de la justice, L’épuration de la

magistrature de la Révolution à la Libération, Paris, Loysel, 1994. Rappr. Lecocq (P.) et Martinage (R.),

« L'inamovibilité de la magistrature française dans les constitutions au XIXe

siècle et son application », in

Liber amicorum John Gilissen, Anvers, Kluwer rechtswetenschappen, 1983, p. 215.

4

Chevallier (J.), « La séparation des pouvoirs », préc., p. 145.

5

Poumarède (J.), « Les tribulations d’un principe républicain : l’élection des juges », in Lorgnier (J.), Martinage (R.) et Royer (J.-P.), dir., Justice et République(s), L’espace Juridique, Lille, 1993, p. 94.

6

C’est en ces termes, et par la bouche de l’avocat Chaudey, qu’est résumée la problématique constitutionnelle de la commission pour la réforme judiciaire nommé en 1870 par la République à peine proclamée. Sur cet épisode, v. Poumarède (J.), « L’élection des juges en débat sous la IIIe République »,

in Krynen (J.), dir., op. cit., p. 122 et s.

7

C’est ce qui ressort des discours de rentrée aux audiences solennelles des cours d’appel : « en majorité, ils considèrent que le pouvoir judiciaire est lié à l’exécutif », Farcy (J.-C.), Magistrats en majesté. Les

discours de rentrée aux audiences solennelles des cours d’appel (XIXe

-XXe

siècles), Paris, CNRS, 1998,

p. 153.

8

tâches entre l’exécutif et les tribunaux qui contient en germes l’exclusion du contentieux administratif des compétences judiciaires (b).

a – Aux frontières du judiciaire et du législatif

119. Décrétant que l’ordre judiciaire « doit être reconstruit en entier »1,

l’Assemblée ne renonce pas pour autant à puiser dans l’héritage institutionnel de l’État les outils nécessaires à cette reconstruction. Ainsi la procédure de cassation, « voie de contrôle administratif sur la justice réglée »2, lentement organisée au profit

du Roi au XVIIe et XVIIIe siècles, est conservée par les députés et confiée, après bien des débats3

, à un tribunal sédentaire. Cette institution dont la nécessité « est démontrée politiquement et judiciairement »4 vise, comme le Conseil des parties

avant la Révolution5, à prévenir les contraventions faites à la loi par les magistrats,

mais elle est entièrement repensée à l’aune du principe de séparation des pouvoirs. 120. Le Tribunal de cassation se donne comme une réponse aux interdictions symétriques faites aux juges et au législateur d’empiéter sur leurs compétences respectives. La constitution de 1791 fait défense aux tribunaux de « s’immiscer dans l’exercice du Pouvoir législatif »6 et prohibe l’exercice du pouvoir judiciaire « par le

Corps législatif »7

. Par l’institution d’un tribunal de révision faisant office de « régulateur dans le pouvoir judiciaire» 8, les Constituants garantissent la sanction

des jugements pris en violation de la loi tout en évitant que les députés n’interfèrent dans l’exercice de la justice. Les vives discussions relatives au statut dévolu à cet organe9

témoignent de la position médiane qui lui est destinée, entre le pouvoir de légiférer et celui de juger. Si, finalement, la majorité des Constituants reconnaît un

1

A la question « L’ordre judiciaire sera-t-il reconstruit en entier ou non ? » posée lors de la séance du 24 mars 1790, l’Assemblée répond majoritairement oui. Les débats qui précèdent ce vote sont reproduits dans la Réimpression de l'ancien Moniteur universel, Paris, Plon, 1860, Tome 3, p. 690.

2

Boulet-Sautel (M.), « La cassation sous l’Ancien régime », in Association des magistrats et anciens magistrats de la Cour de cassation, Le Tribunal et la Cour de cassation, 1790-1990. Volume jubilaire, Paris, Litec, 1990, p. 23.

3

Pour un aperçu chronologique du débat sur le Tribunal de cassation, v. Halpérin (J.-L.), Le Tribunal de

cassation et les pouvoirs sous la Révolution (1790-1799), Paris, LGDJ, 1987, p. 51 et s.

4

Barnave, Séance du samedi 8 mai 1790, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 319.

5

Sur la procédure de cassation sous l’Ancien régime, v. Boulet-Sautel (M.), op. cit. ; la continuité est très nette en matière de procédure puisque le Tribunal de cassation, puis la Cour du même nom, conservent une réglementation datant de 1738. Sur ce point, v. Van Caenegem (R.C.), « History of European Civil Procedure », in Cappelletti (M.), dir., International Encyclopaedia of Comparative Law – T. XVI : Civil

Procedure, Tübingen, JCB Mohr, 1973, p. 90.

6

Art. 3, Chap. V, Titre III de la constitution de 1791.

7

Art. 1, Chap. V, Titre III de la constitution de 1791.

8

Clermont-Tonnerre, Séance du mardi 25 mai 1790, Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 459.

9

Lors des débats, les députés s’opposent sur la qualification du Tribunal. Merlin revendique pour lui « le pouvoir judiciaire suprême ». Goupil de Préfeln, soutenu par Robespierre, considère quant à lui que « la cassation n’est pas une partie du pouvoir judiciaire, mais une émanation du pouvoir législatif » (Réimpression de l'ancien Moniteur universel, préc., Tome 4, p. 451). Pour l’Abbé Royer enfin, « cette fonction a toujours été attribuée au pouvoir exécutif et (…) on ne peut lui ravir » (Réimpression de

caractère judiciaire1 à cette institution « établie auprès du Corps législatif »2, c’est

qu’elle est chargée d’assurer le respect de la législation par les tribunaux et non d’en préciser ou d’en modifier le sens.

121. La continuité qui caractérise le Tribunal de cassation, dénommé Cour de cassation par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII, a été justement relevée3. Mais

non moins frappante est la constance avec laquelle le principe de séparation des pouvoirs est invoqué pour légitimer cette institution. Ainsi, dans un essai de théorie judiciaire publié en 18144, l’ancien député Brillat-Savarin, promu conseiller au

tribunal suprême, fait-il expressément référence aux risques d’usurpation des juges sur les autres pouvoirs étatiques pour justifier « l’établissement d’une Cour unique, placée au-dessus de tous les autres tribunaux », et contenant ces derniers « dans la sphère de leurs attributions »5. Outre la protection du pouvoir législatif, le haut

magistrat justifie l’institution où il officie en invoquant la nécessité de prévenir les excès des juges qui parfois accaparent illégalement « le pouvoir exécutif quand ils s’immiscent dans l’exécution de ses ordres, quand ils s’y opposent, quand ils en poursuivent les agents »6.

b – Aux frontières du judiciaire et de l’exécutif

122. Chargé de sanctionner l’empiètement des juges sur les autres organes, le Tribunal de cassation doit notamment veiller au respect des textes révolutionnaires qui proscrivent l’immixtion des magistrats dans le champ administratif. Cette prohibition doit rendre impossibles les pratiques des anciennes cours souveraines qui n’hésitaient pas à faire comparaître les agents du Roi et à leur donner des instructions7. Pour rendre impossible de tels abus, l’Assemblée vote l’article 13, titre

2, de la célèbre loi des 16-24 août 1790 : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelques manières que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».

123. Quand les députés votent ce texte, ils se situent au plan des « maximes constitutionnelles »8 et n’anticipent en « aucune manière, sur le sort réservé au

contentieux administratif »9. La question de savoir « de quel pouvoir relèvent les

1

Halpérin (J.-L.), op. cit., p. 61.

2

Selon les termes de l’article 1 du Décret du 27 novembre 1790 portant institution d’un tribunal de

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