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C ONFORMITE DES JUGES

Dans le document La fonction de juger (Page 112-118)

Le juge en activité, sujet soumis à la lo

B. C ONFORMITE DES JUGES

« Les Rois et les Peuples souverains auroient en vain créé des Oficiers pour rendre la Justice, si en même tems ils n’avoient donné ordre de les retenir en leur devoir (…). C’est pourquoi ils ordonnerent (…) qu’ils s’obligeassent par un serment solennel, de suivre en leurs jugemens les Loix & les Ordonnances publiques, de ne point se laisser emporter à la faveur ni à la haine, ni corrompre par les presens, de ne point redouter la puissance des uns, ni mépriser la foiblesse des autres… »

Cardin Le Bret, « Traité de la souveraineté du roy », in

Œuvres, Paris, 1639, Liv. 2, Chap. 3, p. 43.

222. La convenance des juges à leur destination est la condition nécessaire de leur légitimité. Pour garantir l’une et l’autre, les représentations savantes et populaires du droit ont, depuis le Moyen Âge, inclu des références à la conformité des juges à certains standards de bonne justice. Les savants, les magistrats et les légistes s’attachent, chacun à leur manière, à dresser le portrait du parfait détenteur de la justice royale en énumérant les qualités requises pour exercer cette charge (1). A ce corps de représentations font écho des réflexions récurrentes sur la responsabilité des juges tant sur le plan moral que juridique (2).

1–QUALITES

223. Le discours des juristes savants, des juges et des légistes construit, et maintient avec une continuité remarquable, une image idéale du juge ordinaire. Du XIIe siècle à la fin de l’Ancien Régime, les jurisconsultes élaborent et développent une problématique selon laquelle « celui qui s’attache à l’administration de la Justice, doit joindre aux qualités de cœur » (a) certaines « qualités de l’esprit »2

(b) afin de s’acquitter correctement de son devoir.

a – Qualités de cœur

224. Pierre d’angle des représentations savantes de la justice, la figure du juge médiéval se construit « à la confluence de la morale religieuse et du droit »3. Dans

l’espace délimité par les règles procédurales, le magistrat occupe une place cruciale exigeant « intégrité, honnêteté, courage, diligence et discernement »4

. Ces valeurs constituent autant de qualités subjectives dont la doctrine du bas Moyen Âge –

1

Serverin (E.), op. cit., p. 47. Rappr. pp. 64-65.

2

Ferrière (C.J. de), Dictionnaire de droit et de pratique, préc., Tome 2, V° Juges, p. 81.

3

Mayali (L.), « Entre idéal de justice et faiblesse humaine : le juge prévaricateur en droit savant », préc., p. 102.

4

faisant écho à la législation pontificale d’une part et aux ordonnances royales d’autre part - pare les magistrats.

225. Les auteurs des XVe et XVIe siècles reprennent sans rupture ces réflexions et participent à leur amplification1. Bénéficiant des progrès de la théorie du droit

divin qui s’étend, par analogie, du Prince à ses officiers, les juges profitent à cette époque de représentations génératrices « à la fois d’un renforcement du prestige, (…) mais aussi des devoirs »2. A côté des développements consacrés à la

déontologie judiciaire dans les traités généraux, ce thème doctrinal s’exprime également dans les harangues et les mercuriales des parlementaires, ainsi que dans certains opuscules exclusivement consacrés à cette question3. C’est de ce genre que

relève le mémoire sur Les qualités necessaires a un juge, avec la résolution des questions les plus importantes sur les devoirs de la profession, publié en 1699 et attribué à Fuyot de la Marche, dans lequel l’auteur entend « réduire en abrégé (…) tout ce que (…) les Juges doivent sçavoir par nécessité et pratiquer par devoir »4.

226. Discours idéologique légitimant l’appareil justicier de l’État monarchique et outil de normalisation des pratiques judiciaires5, cette littérature juridique insiste

d’abord sur la piété du juge. Considérée comme « le fondement, le motif, & la règle » des études préparant aux charges judiciaires6

, la religion s’impose aux magistrats. Théoriquement, elle surplombe l’important dispositif de règles définissant les canons de l’intégrité des juges. Pratiquement, elle les oblige à adopter une conduite chrétienne dans tous les aspects de leur vie sociale et personnelle. Partagée par les juristes d’Ancien Régime, cette problématique est magistralement résumée par Domat à la fin du XVIIe siècle7

. Pour l’illustre jurisconsulte, de toutes les qualités exigibles des officiers de justice, la « crainte de Dieu » apparaît comme la plus essentielle « puisqu’elle est le fondement des autres et les comprend toutes »8 : gage « de force et de courage », d '« amour de la vérité » et

d '« éloignement de l’avarice », elle est le « principe » sans lequel « l’uniformité dans tous les devoirs ne peut subsister »9

.

1

Thireau (J.L.), « Le bon juge chez les juristes français du XVIe

siècle », préc., not. p. 132.

2

Ibid.

3

Exemplaire de cette littérature, le Discours des parties et office d’un bon et entier juge de Jean de Coras, professeur de droit et conseiller au Parlement de Toulouse jusqu’en 1572, est analysé dans l’article préc. de Thireau (J.-L.), pp. 136-141.

4

« Avertissement » à l’ouvrage sur Les qualités necessaires a un juge, avec la résolution des questions

les plus importantes sur les devoirs de la profession, Lyon, 1699.

5

Pour une ébauche de problématique sur ces questions, v. Delprat (C.), « Magistrat idéal, magistrat ordinaire selon La Roche-Flavin : les écarts entre un idéal et des attitudes », in Poumarède (J.) et Thomas (J.), dir., préc., not. pp. 717-719.

6

D’Aguesseau, « Instructions sur les Etudes propres à former un Magistrat », in Œuvres, préc., vol. 1, p. 260.

7

Domat (J.), « Le droit public », préc., not. Livre II, Titre IV, Sect. 2.

8

Domat (J.), op. cit., p. 138.

9

b – Qualités de l’esprit

227. La pureté des intentions du magistrat est le premier de ses devoirs, mais la corruption des juges n’est pas le seul écueil qui menace l’exercice de la justice. L’incompétence peut également lui être fatale. Ce constat, récurrent dans la doctrine juridique du Moyen Âge1 à la fin de l’Ancien Régime, conduit les auteurs à exiger

des membres de l’appareil judiciaire une aptitude particulière à résoudre les différends. Ils refusent de voir cette tâche exercée par « ceux qui n’ont pas encore l’esprit formé, ou qui sont malades des maladies de l’esprit »2, et réclament des juges

qu’ils aient, non seulement un âge raisonnable et une santé mentale satisfaisante, mais également un savoir-faire propre à leur fonction.

228. Second versant du portrait doctrinal de l’officier de justice, la mise en valeur de ses capacités concilie l’idéal humaniste à l’idéal chrétien dans les représentations juridiques de la déontologie judiciaire. En la matière, la barre est placée très haut et le magistrat se voit parfois réclamer une érudition encyclopédique : ainsi, pour l’auteur du Discours des parties et office d’un bon et entier juge, celui « ayant le parfait sçavoir de tous artes et disciplines, celuy-là certes mériteroit sur tous d’estre juge pour avoir cognoissance de toute choses, desquelles luy convient quelquefois faire jugement »3

.

229. L’inaccessibilité de cet objectif conduit les jurisconsultes à exclure des compétences exigées du juge certaines disciplines de peu d’intérêt lorsqu’il s’agit de rendre la justice. Pour Bernard de la Roche-Flavin, il en va ainsi de la poésie4

, de la géométrie5, de la peinture6 et de la musique7 également inutiles, ou de l’alchimie8 et

de « l’astrologie judiciaire »9 absolument prohibées. Reste que les officiers

judiciaires doivent être d’habiles juristes et de fins lettrés, comme en témoigne le « plan général » des études « propres à former un magistrat » établi par d’Aguesseau10. Selon le Chancelier, le futur juge doit se pénétrer de jurisprudence,

dans son acception première de science du droit, et maîtriser autant le droit romain que le droit canonique. A ces matières, il ajoute également l’histoire11, les « Belles-

Lettres »12 ainsi que « l’art de prouver » et celui « de plaire en prouvant pour mieux

prouver »13

. Autant de qualités dont l’absence, si elle nuit à l’exercice de la justice, peuvent déboucher sur une mise en cause de la responsabilité du juge.

1

Mayali (L.), op. cit., p. 96.

2

Ferrière (C.-J. de), Dictionnaire de droit et de pratique, préc., Tome 2, V° Juge, p. 78.

3

Coras, op. cit, p. 36, cité par Thireau (J.-L.), op. cit., p. 137, note 3.

4

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 30, p. 363.

5

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 40, p. 375.

6

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 41, p. 375.

7

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 42, p. 375.

8

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 43, p. 375.

9

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. VI, Chap. 39, p. 375.

10

D’Aguesseau, « Instructions sur les Etudes propres à former un Magistrat », préc., p. 257 et s. ; rappr. Gautier (P.-Y.), « Le discours de la méthode du Chancelier Daguesseau », RTDCiv, 1994, p. 67.

11

D’Aguesseau, op. cit., p. 284.

12

D’Aguesseau, op. cit., p. 342.

13

2–RESPONSABILITE

230. La dignité de la fonction du juge, et l’immensité de ses devoirs, dessinent en creux l’image d’une nécessaire responsabilité : les magistrats doivent répondre de leur comportement et de leur activité. Cette idée qui se dégage très tôt des représentations juridiques, tant savantes que symboliques1, s’exprime à travers des

principes permettant aux juristes de penser le contrôle des magistrats par la justice (a) et par les justiciables (b).

a – Le magistrat devant la justice

231. Occupant une place importante dans les représentations religieuses médiévales2, le serment devient au XIIe siècle « le véritable acte fondateur de la

fonction de juger et, en même temps, la source de la responsabilité du juge »3.

Corollaire de « l’invention de la conscience judiciaire » qui fait succéder la raison du juge aux autres formes du jugement de Dieu4, cette pratique élève les fautes

déontologiques au rang de parjures et conduit à juger les magistrats à l’aune de la fidélité à leur promesse. Organisé par les anciennes ordonnances des rois de France, ce rite religieux s’ancre durablement dans la tradition juridique5. Avec la réception et

l’installation des officiers en leurs tribunaux, le serment demeure tout du long de l’Ancien Régime un des éléments qui « donnent au Juge le caractère de l’autorité publique »6.

232. Cette promesse du magistrat faite à Dieu, loin de rester du ressort unique de son for interne, ouvre la voie à sa responsabilité disciplinaire. A l’image des conseillers au Parlement, qui doivent prêter avant examen un premier serment sur « l’image du crucifix », puis un second par lequel ils promettent de « porter honneur & reverance à leur presidens, & obeir aux Arrests & commandemens de la Cour »7

, les juges s’engagent devant la justice divine, mais également devant la justice des hommes8.

233. Relevant à l’origine directement du roi, le pouvoir disciplinaire sur les magistrats lui échappe à mesure que ceux-ci gagnent en indépendance à partir du

1

Sur cette dimension, v. Jacob (R.), Images de la justice, Paris, Le léopard d'or, 1994, not. pp. 65-91.

2

Gaudemet (J.), « Le serment dans le droit canonique médiéval », in Verdier (R.), dir., Le serment –

Théories et devenir, Paris, CNRS, 1991, vol. 2, p. 63.

3

Jacob (R.), « Les fondements symboliques de la responsabilité des juges. L’héritage de la culture judiciaire médiévale », Histoire de la justice, 2000, n° 12, p. 9.

4

Jacob (R.), « Le serment des juges ou l’invention de la conscience judiciaire (XIIe

siècle européen) », in Verdier (R.), dir., Le serment – Signes et fonctions, Paris, CNRS, 1991, vol. 1, p. 439.

5

La pensée jusnaturaliste du XVIIe siècle fragilise les fondements théologiques de la souveraineté politique mais ne porte pas atteinte dans son principe à cette pratique d’accession à la magistrature. Sur ce point, v. Goyard-Fabre (S.), « La nature et le sens du serment selon les jusnaturalistes du XVIIe

siècle »,

in Verdier (R.), dir., op. cit., vol. 2, p. 91.

6

Denisart (J.B.), Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle, Paris, 1773, Tome 3, V° Juges, p. 57, n° 24.

7

La Roche-Flavin (B. de), op. cit., Liv. 6, Chap. 47, p. 380.

8

Un aspect de cette question est traité par Bongert (Y.), « Question et responsabilité du juge au XIVe

siècle d'après la jurisprudence du Parlement de Paris », in Hommage à Robert Besnier, Paris, Sté d'histoire du droit, 1980, p. 25 et s.

XVe siècle1. L’inamovibilité, la vénalité et l’hérédité des offices ont pour corollaire

l’appropriation par les juges eux-mêmes de la police des comportements judiciaires. A côté des modèles de vertu dressés par la doctrine, et des obligations établies par les textes royaux, la corporation judiciaire ébauche un droit disciplinaire visant à garantir la dignité, la loyauté et la droite activité du magistrat2. « Pour l’honneur de

la compagnie et de la magistrature ! »3, il importe de sanctionner, sinon de manière

systématique4, du moins de manière ostentatoire5, celui qui manque à ses obligations,

afin « que les sujets du roi aient confiance en leurs juges ordinaires »6.

b – Le magistrat devant les justiciables

234. Ancré au cœur du système disciplinaire de la magistrature, le principe hiérarchique sert également le contrôle des juges par les justiciables qu’organise la procédure d’appel. Cette technique d’origine romaine, reprise et systématisée par les canonistes, et étendue aux cours laïques au XIIIe siècle7, succède à des formes

archaïques de mise en jeu de la responsabilité judiciaire par les justiciables devant les cours féodales. A la « provocation en duel élevée par la partie perdante contre l’auteur de la décision » abolie par Saint Louis8, se substitue l’appelatio romano-

canonique qui consiste, selon les termes de Tancrède9, en un « recours adressé par

une partie au juge supérieur dans le but de faire réformer une décision rendue par un juge inférieur lorsque cette partie prétend qu’elle est contraire aux règles du droit »10.

235. Pendant, dans le domaine des voies de recours, de la rationalisation de la fonction de juger qui s’opère au XIIe siècle, cette procédure fut un puissant instrument de renforcement du pouvoir royal11 en même temps qu’un mécanisme

1

Sur ce processus, v. Soleil (S.), « "Pour l’honneur de la compagnie et de la magistrature !" Le pouvoir disciplinaire interne aux institutions judiciaires », Histoire de la justice, 2000, n° 12, p. 53.

2

Soleil (S.), op. cit., p. 57 et s.

3

Soleil (S.), op. cit., p. 57. Sur l’honneur dans la magistrature d’Ancien-Régime, v. Royer (J.-P.),

Histoire de la justice, préc., p. 130.

4

Santucci (M.-R.), « Les ambiguïtés du contrôle de la justice sous l'Ancien Régime », Recueil de

mémoires et travaux publié par la Société d'histoire du droit et des institutions des anciens pays de droit écrit (Critères du juste et contrôle des juges), préc., pp. 129-192.

5

Évoquant la peine de « flestrissement des officiers de justice » qui consiste en un marquage au front « avec un fer chaud », la Roche-Flavin (B. de) la décrit comme « une peine plus douce & tollerable, que l’escorchement tout vif » et la justifie en invoquant sa visibilité : « comme les Magistrats estant plus eslevez, leurs crimes sont plustost veus & remarquez que des autres : aussi faut que la marque de la peine de leur mesfaict soit plus veuë et cognue que des autres, la marquant à la partie de l’homme plus haute, eslevée et découverte », op. cit., Liv. XI, Chap. 17, p. 652.

6

Gauvard (C.), « Les juges devant le Parlement de Paris aux XIVe

et XVe

siècles », Histoire de la justice, 2000, n° 12, p. 44.

7

Ourliac (P.) et Gazzaniga (J.-L.), Histoire du droit privé français…, préc., p. 62. Rappr. dans le même ouvrage les remarques pp. 471-472, note 14.

8

Jacob (R.), « Les fondements symboliques de la responsabilité des juges… », préc., p. 17.

9

Tancrède fut l’un des canonistes les plus renommés du XIIIe

siècle. Son traité de procédure est très tôt traduit en France et il fait autorité pendant tout le Moyen Âge. Il influencera notablement Beaumanoir. V. Guyader (J.), « L’appel en droit canonique mediéval », in Thireau (J.L.), dir., Les voies de recours

judiciaires, instrument de liberté, Paris, PUF, 1995, p. 45, note 1.

10

Tancrède, Ordo judiciarius, éd. F. Bergmann, Goettingue, 1842, De appellationibus, IV, V, I, cité et traduit par Guyader (J.), op. cit.

11

privilégié de mise en jeu de la responsabilité judiciaire. Élevant le Parlement des rois de France au rang de gardien de la discipline de tous les juges, l’appel hiérarchique conserve longtemps l’idée d’une mise en cause directe du magistrat par son justiciable1. Au XVIIIe siècle, Pothier classe cette technique parmi « les manières de

se pourvoir contre les sentences »2, mais il y voit toujours « le recours d’une partie

(…) contre les torts ou griefs qu’elle prétend lui avoir été faits par les Juges »3.

236. Détaillant, à côté de l’appel, toute une gamme de techniques disciplinaires4

permettant de garantir la conformité des magistrats aux exigences de leur fonction, la doctrine d’Ancien Régime banalise cet acte de pratique courante qui consiste à citer son juge. Mais, simultanément, les savants déplorent les abus résultant des recours en cascade et vilipendent la justice dans le Royaume de France pour « cette multiplication des degrez de Iurisdiction (qui) rend les procés immortels »5. Gage de

bonne justice, les voies de recours sont également comble de l’injustice pour « le pauvre païsan » qui « mourra avant que son procès soit jugé en dernier ressort »6 :

« avant qu’on peust parvenir à la définitive, il falloit quelquefois faire vuider plus de six appellations, l’une après l’autre, & chacune en deux ou trois Sieges »7. Le poids

de la tradition monarchique empêche la royauté de mener à terme une transformation institutionnelle en la matière8 et c’est finalement la Révolution, dans

son élan rationalisateur, qui opère le réaménagement nécessaire de la justice.

§

2.L’

AMENAGEMENT RATIONNEL DE L

ADMINISTRATION DE LA JUSTICE

237. Aux discours sur la pureté des juges, la Révolution fait succéder la thématique de la perversité des juristes et les Constituants, désireux de liquider le fatras de cours et tribunaux accumulé par la monarchie, tracent à l'équerre le modèle d'une nouvelle justice. L'Empire exerce son droit d'inventaire sur ces plans et n'en conserve qu'une partie, revenant sur bien des points aux solutions d'Ancien Régime. Du moins l'épisode napoléonien consacre-t-il l'avènement d'un ordre judiciaire durablement organisé selon une logique volontariste se réclamant de la raison (A). Longtemps tout entière absorbée par la description minutieuse des textes législatifs organisant ces nouvelles institutions, la doctrine juridique s'engage tardivement dans

1

Selon Jacob (R.), dans les derniers siècles du Moyen Âge, « toute invalidation d’un jugement en appel faisait présumer la faute professionnelle de son auteur et, réciproquement, tout appel prenait la physionomie d’un recours disciplinaire », op. cit., p. 18.

2

Pothier, op. cit., p. 286.

3

Ibid.

4

Avec l’appel, la récusation et la prise à partie sont les deux principaux mécanismes permettant aux parties de faire jouer la responsabilité de leurs juges. Sur l’unification et la réglementation de ces procédures par l’ordonnance de 1667, v. Methy (C.), « Le juge entre prise à partie et récusation : résistance et compromis dans l’ordonnance civile de 1667 », Histoire de la justice, 2000, n° 12, p. 91.

5

Loyseau (Ch.), « Discours de l’abus des justices de village », préc., p. 10.

6

Ibid. Selon l’illustre jurisconsulte, le mal est tel qu’« aux endroits où il y a tant de degrez de Iurisdiction, il est plus expédient de tout quitter que de plaider », ibid.

7

Loyseau (Ch.), op. cit., p. 23.

8

la voie d'une systématisation de ce cadre normatif, traçant ainsi les contours de l'office du juge et du service de justice (B).

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