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L’ ENCADREMENT DOCTRINAL DE L ' ACTIVITE JUDICIAIRE

Dans le document La fonction de juger (Page 127-130)

Le juge en activité, sujet soumis à la lo

B. L’ ENCADREMENT DOCTRINAL DE L ' ACTIVITE JUDICIAIRE

« Il est inexact de dire que, l'objet du procès appartenant aux parties, la marche de la procédure doive également dépendre de celles-ci. La justice rendue par l'État constitue un service public : du moment que les parties ont recours à ce service, les juges ont le devoir d'en assurer le fonctionnement dans les meilleures conditions possibles ; il leur appartient de diriger la procédure de manière à accélérer la solution des procès. »

René Morel, Traité élémentaire de procédure civile, Paris, Sirey, 1949, p. 345.

253. Sévèrement réglementées par l'œuvre napoléonienne, les modalités d'exercice de l'activité judiciaire ne suscitent pas l'intérêt des professeurs du XIXe siècle. Le rôle effacé du juge dans la marche du procès se prête peu à une conceptualisation approfondie et les processualistes ne prêtent guère attention à la notion d'officium judicis jusqu'à la seconde guerre mondiale (1). La pauvreté de la réflexion en la matière ne doit cependant pas dissimuler la richesse du discours doctrinal relatif aux principes de fonctionnement devant gouverner ce qui devient, au XXe, siècle le service public de la justice (2).

1–LE ROLE DU JUGE DANS LE PROCES

254. Absorbée tout entière par l'exégèse étroite du Code de procédure civile, la doctrine processualiste s'abstient longtemps de mettre en système les différentes attributions du juge civil (a). Au XXe siècle, une succession de réformes visant à renforcer la maîtrise des magistrats sur le déroule ment des procès prépare néanmoins la réhabilitation de l'office du juge comme catégorie essentielle du discours juridique relatif à l'institution judiciaire (b).

a – Le juge soumis à la procédure

255. Les spécialistes de la procédure civile du XIXe siècle se donnent

explicitement pour objet d'étude « la collection de toutes ces règles établies pour diriger la demande, l'instruction, le jugement, les voies à prendre contre le jugement et son exécution »1. Ce programme doctrinal, s'il inclut l'exposition des formalités

gouvernant l'action des magistrats, n'implique pas en revanche leur systématisation. Pour les professeurs de l'époque, la présentation de « l'art de procéder sur la réclamation que l'on fait du secours de la justice »2 consiste en effet uniquement en

1

Pigeau, Introduction à la procédure civile, 7e

éd., Paris, Joubert, 1842, p. 4. Cette définition de la procédure, qui se retrouve à quelques modifications près dans presque tous les manuels de procédure du XIXe

siècle, est dans la droite ligne de celle proposée par Pothier sous l'Ancien Régime. Comp. supra n° 210.

2

C'est en ces termes que Pigeau explique étymologiquement le mot procédure dans son « Discours… », précité.

une description chronologique des actes juridiques susceptibles d'être mis en œuvre lors du règlement judiciaire d'un litige.

256. Tous les auteurs, même les plus hardis qui vont au delà d'un commentaire du code article par article1, dressent un tableau du procès dans lequel la figure du

juge brille par son absence2. Non que se dessine une volonté doctrinale de brider les

pouvoirs du magistrat3, mais ce sujet laisse indifférents les processualistes trop

occupés à décrire les étapes successives du contentieux.

257. Au début du XXe siècle, Tissier peut légitimement constater que « le rôle du juge, son autorité, l'initiative qui lui est réservée quant à la marche et à l’instruction des procès » est une question qui n’a pas été « suffisamment étudiée »4.

Familier du droit comparé, cet auteur s'inspire de la législation autrichienne pour critiquer la toute-puissance des parties sur le procès et la passivité du juge civil français, dépeint « comme une sorte d'automate à qui on fournit tous les matériaux du procès pour retirer ensuite un jugement »5. Le savant processualiste se prononce

pour « un accroissement sérieux du rôle et de l'activité du juge dans la marche de la procédure »6 et prône l’imitation de la procédure administrative contentieuse par la

procédure civile7. Il prépare ainsi la réapparition de l'office du juge dans le discours

doctrinal.

b – Le juge chargé de la procédure

258. Très peu modifié au XIXe siècle en dépit d'un désir récurrent de réforme8, le

Code de procédure civile fait l'objet de modifications législatives significatives à partir des années 19309. Pour remédier à la lenteur et au coût élevé de la justice,

maux séculaires frappant l'institution judiciaire, le législateur s'efforce à cette

1

V. par exemple le Cours de procédure civile de Berriat-Saint-Prix (J.), précité.

2

V. néanmoins l'exception à la règle que constitue l'ouvrage de Carré (G.L.J.), Les lois de l'organisation

et de la compétence des jurisdictions civiles (préc., Tome 1, p. 76), où l'auteur consacre d'importants

développements à l'art. 480 du Code procédure civile et au principe selon lequel : « Les juges ne peuvent exercer leur ministère que sur une réquisition des parties. Ils doivent statuer sur toutes les conclusions qu'elles ont prises, sans omettre aucun des chefs qui y sont exprimés, et, réciproquement, ils ne peuvent donner aucune décision sur un point qui ne leur serait pas expressément soumis par ces mêmes conclusions ».

3

Ainsi Rodière (A.) dans son Traité de compétence et de procédure en matière civile (préc., Tome 1, p. 160) n'hésite pas à « poser en principe général » qu'en matière de procédure « tout ce que la loi ne défend pas aux juges est permis ».

4

Tissier (A.), « Le centenaire du Code de procédure et les projets de réforme », RTDCiv, 1906, p. 647.

5

Tissier (A.), op. cit., p. 648.

6

Tissier (A.), op. cit., p. 656. Rappr. le Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire, de

compétence et de procédure civile de Glasson (E.) et Tissier (A.), préc., Tome 1, p. 69.

7

Tissier (A.), « Le centenaire… », préc., p. 657. Le thème devient récurrent dans une partie de la doctrine de la première moitié du XXe

siècle. Sur ce point, v. Debbasch (Ch.), Procédure administrative

contentieuse et procédure civile, Paris, LGDJ, 1962, not. p. 439.

8

Tissier (A.), op. cit., p. 634 et s.

9

Solus (H.), « Les réformes de procédure civile. Étapes franchies et vues d'avenir », in Le droit privé

français au milieu du XXe

époque d'accroître les faibles pouvoirs du juge dans la direction de l'instance1.

Plusieurs textes, en rupture avec la logique accusatoire du Code de procédure civile de 1806, vont ainsi se succéder2.

259. Premier mouvement en ce sens, le décret-loi du 30 octobre 1935 institue le « juge chargé de la procédure », auquel sont conférés un devoir de surveillance de l'instance et un pouvoir d'instruction de l'affaire. Les nombreuses attributions de ce magistrat en matière de recherche de la preuve et de conciliation des parties sont par la suite confirmées et renforcées, notamment par la loi du 15 juillet 19443 et les

décrets du 22 décembre 19584 et du 2 août 19605. Des termes de ces textes, la

doctrine déduit logiquement l'avènement d'une nouvelle figure du juge civil, non plus instrument passif des parties mais acteur dynamique du procès, tout en doutant des chances de succès d'une telle entreprise législative.

260. Et, de fait, ces réformes successives semblent avoir été peu effectives, freinées par les réticences de certains parlementaires6 et brisées par la résistance du

monde judiciaire7. Elles ont du moins contribué à stimuler la réflexion scientifique

sur la répartition des tâches entre magistrats et parties dès le milieu du XXe siècle8.

Préfigurant les travaux de recodification de la procédure civile9, l'exaltation du rôle

du juge dans la direction du procès civil ne fait alors pas l'unanimité parmi les docteurs10. Mais elle s'impose néanmoins à eux, comme une conséquence nécessaire

des exigences que la société formule à l'égard d'une justice élevée au rang de service public et soumise à ce titre à des principes particuliers11.

1

Pour une perspective comparatiste sur l'accroissement des pouvoirs du juge dans l'instance civile en Europe dans la première moitié du XXe

siècle, v. Millar (R.W.), « Civil procedure reform in civil law countries », in David Dudley Fields - Centenary essays, New-York, NYU School of Law, 1949, not. p. 127 et s.

2

Pour un synthèse de l'évolution du droit positif en la matière, v. Giverdon (C.), « Procédure ordinaire. Généralités. Évolution de la législation. Nouveau Code de procédure civile », fasc. 216, J.-Cl. proc. civ., 1999.

3

Hébraud (P.) et Madray (G.), « Commentaire de la loi du 15 juillet 1944 », D. 1945, lég. 189.

4

Merle (R.) et Madray (G.), « La réforme de la procédure civile par le décret du 22 décembre 1958 »,

JCP 1959, I, 1475. V. également Hébraud (P.), « La réforme de la procédure civile : le décret du 22

décembre 1958 », AFDT, 1961, Tome IX, fasc. 1, p. 3.

5

JCP 1960, III, 25923.

6

Foyer (J.), « Synthèse des travaux », in Cour de cassation, Le nouveau Code de procédure civile : vingt

ans après, Actes du colloque des 11 et 12 décembre 1997, Paris, La documentation française, 1998, not.

p. 322.

7

V. par exemple Michel (R.), « Le juge chargé de suivre la procédure », JCP 1956, I, 1304. Rappr. Motulsky (H.), « Le rôle respectif du juge et des parties dans l'allégation des faits », publié une première fois en 1959 et reproduit dans ses Écrits - Notes et études de procédure civile, Paris, Dalloz, 1973, not. p. 38 et s.

8

V. par exemple Morel (R.), op. cit., p. 344 et s.

9

Infra n° 403 et s.

10

V. par exemple Malaurie (Ph.), note sous Civ., sect. Soc., 18 mars 1955, D. 1956, jur. 517, not. p. 520.

11

En ce sens, v. Désiry (R.), « Le rôle du juge dans le déroulement de l'instance civile », D. 1956, chron. 145. Rappr. Vienne (R.), « Le rôle du juge dans la direction du procès civil », Études de droit

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