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Les systèmes régionaux d’innovation ou le rôle des institutions et cultures localesinstitutions et cultures locales

des organisation

5.2.4 Les systèmes régionaux d’innovation ou le rôle des institutions et cultures localesinstitutions et cultures locales

Nous avons donc vu à travers les théories évolutionnistes que le phénomène de « dépendance de sentier » impliquait des rigidités dans l’évolution économique des firmes et des économies. A l’échelle des territoires, cela se répercute notamment par des différences notables en termes d’institutions. D. North définit les institutions de la manière suivante :

« Les institutions sont les contraintes, créées par l’Homme, qui struc-turent les interactions politiques, économiques et sociales5 » (North,

1991, p.97 ; traduction de l’auteur)

Et il précise que les institutions peuvent être des contraintes formelles (constitu-tion, lois, droit de propriété, etc.) ou informelles (traditions, coutumes, normes, conventions, etc.).

Tout comme D. North (North, 1987, 1989), de nombreux économistes se sont inté-ressés à l’influence des institutions sur le développement économique des territoires, à commencer par R. Coase qui indiquait déjà dans les années 1960 qu’à partir du moment où l’on considère que dans une économie, les coûts de transaction ne sont pas nuls, les institutions jouent nécessairement un rôle dans le développement de cette économie (Coase, 1960). L’approche économique qui s’intéresse au rôle des institutions sur le développement économique est désignée par le terme

institution-nalisme. C’est à partir de ces travaux que s’est développée, au début des années,

1990 la littérature sur les systèmes d’innovation.

C’est d’abord au niveau national qu’apparait à la fin des années 1980 la notion de système d’innovation (Lundvall, 1992; Nelson, 1993; Freeman, 1995). L’apport théorique de ce concept est de considérer l’innovation nationale, non pas comme étant le fait d’entreprises isolées, d’organismes publics isolés, ou d’individus isolés,

5. « institutions are the humanly devised constraints that structure political, economic and

ni comme le résultat d’une simple agrégation des comportements individuels de ces agents, mais plutôt comme le résultat des interactions complexes qui existent entre ceux-ci. A ceci s’ajoute un élément clé de l’analyse : les interactions sont en grande partie conditionnées par les institutions formelles et informelles qui sont en vigueur dans le système national.

Parallèlement à ces travaux, certains auteurs tels que B. Carlsson, ont plaidé quant à eux pour la prééminence des institutions liées aux secteurs industriels, plutôt qu’aux institutions propres au Etats. L’auteur explique en effet que pour certains secteurs d’activité, l’économie globalisée dans laquelle nous sommes immergés im-plique que les institutions nationales n’ont que peu de pertinence pour exim-pliquer les interactions entre acteurs des systèmes d’innovation, tandis que les institutions spécifiques à ces secteurs ont au contraire une importance cruciale (Carlsson et Stankiewicz, 1991; Carlsson, 1995).

Enfin, d’autres auteurs se sont également écarté de l’échelle d’analyse nationale des système d’innovation, mais pour lui préférer une échelle géographique plus locale (Saxenian, 1994; Cooke, Gomez Uranga, et Etxebarria, 1997; Iammarino, 2005). Comme le montrent M. Feldman et N. Massard, cette approche est fortement liée au champ de la géographie de l’innovation, apparue également au début des an-nées 1990 (Feldman et Massard, 2002). Cette approche des systèmes d’innovation considère en effet que la répartition éminemment disparate des activités innovantes à l’intérieur des nations, interdit de considérer que les institutions nationales sont les seules institutions – ou du moins les institutions les plus pertinentes – pour expliquer le performance des systèmes d’innovations (Cooke, Gomez Uranga, et Etxebarria, 1997). Ils préconisent de s’intéresser aux institutions régionales (ou lo-cales), qui permettent mieux d’expliquer, selon eux, cette répartition asymétrique des activités innovantes.

P. Cooke, M. Uranga et G. Etxebarria (1997) mettent par exemple en lumière le fait que les territoires infra-nationaux n’ont pas tous la même Histoire, et n’ont donc pas tous les mêmes prérogatives ni la même autonomie en termes de décisions de politiques publique. De par ces différences d’Histoires, ils n’ont pas non plus le même rapport aux institutions nationales desquelles ils relèvent. Les auteurs identifient ainsi deux grands types de processus ayant donné lieu à des institutions régionales : le processus de régionalisation et le processus de régionalisme. Le pre-mier correspond à la volonté d’un Etat de conférer plus de pouvoir et d’autonomie à un territoire infra-national dont il délimite les frontières, tandis que le second correspond à la reconnaissance administrative (acquise par négociation ou par af-frontement) d’une culture infra-national. Dans ces deux processus, la création de nouvelles prérogatives administratives donne lieu – à plus ou moins long terme – à la création de nouvelles institutions aussi bien formelles qu’informelles dont l’importance dans les processus d’innovation est plus ou moins marquée selon les

5.2. Développement et capacité d’innovation

types de régions, mais qui y ont toujours un rôle significatif à jouer, au moins dans le développement de politiques et d’organismes d’aide à l’innovation. C’est ce rôle dévolu aux régions, ainsi que l’inégale distribution de leurs prérogatives en la matière, qui conduit les auteurs à plaider en faveur d’une approche régionale des SI, sans pour autant rejeter totalement l’influence des institutions nationales. Le caractère systémique de cette approche indique que l’on ne conçoit pas les processus d’innovation comme linéaires mais comme le fruits de différentes

inter-actions aux caractéristiques variées entre un certain nombre d’acteurs du système.

Parmi ces acteurs, on trouve en premier lieu des firmes, mais également des or-ganisations publiques ou semi-publiques de recherche et de formation tels que des universités et centres de recherche, des organisations privées telles que des agences de notations, des consultants, des financeurs, etc. Au rang des interactions, on trouve bien entendu des flux de connaissance, mais aussi des flux de financement, ou encore des relations de pouvoir. Enfin, ces interactions peuvent être caracté-risées par une fréquence régulière ou rare, elle peuvent être fortes ou faibles, etc. (Cooke, Gomez Uranga, et Etxebarria, 1997).

Notons que plusieurs critiques ont été formulées à l’endroit de cette approche de re-cherche. En particulier, à propos de l’unité d’analyse adéquate et de la délimitation des frontières du système (Amable, 2003).

Le choix de l’échelle régionale pour l’analyse des institutions pertinentes pour les systèmes d’innovation a également été mis en cause (Doloreux et Bitard, 2005; De Bruijn et Lagendijk, 2005).

Malgré les limites et critiques adressées à cette approche, l’hétérogénéité persis-tantes des performances régionales - aussi bien en termes d’innovation qu’en termes de développement économique - ainsi que l’importance de plus en plus flagrante des interactions entre acteurs et des institutions au sein desquelles ces interactions sont encastrées nous poussent à considérer l’approche par les SRI comme particu-lièrement pertinente (Cooke, 2013) et particuparticu-lièrement adaptée pour étudier le rôle de la structure sociale dans le développement économique d’un territoire (Pihkala, Harmaakorpi, et Pekkarinen, 2007). De plus, les indicateurs de développement éco-nomique sont en cours d’évolution et tendent notamment à inclure de plus en plus d’éléments sociaux et environnementaux (Richard, 2012; Pezzey, 1992). Dans cette optique, l’impact de l’innovation sur le développement économique ne peut plus reposer sur les mêmes bases d’évaluation (Seppänen, 2008), et la capacité d’inno-vation que l’on cherche à évaluer est également amenée à évoluer. Une approche du développement économique régionale et de la capacité d’innovation par les SRI est alors particulièrement intéressante puisque, de par son caractère holistique, systé-mique et centré sur les interactions, elle permet une meilleure prise en compte de tous les leviers d’actions à mobiliser pour gérer une évolution d’une telle envergure et d’une telle complexité.

Cependant, notons que la littérature sur les systèmes régionaux d’innovation, s’est principalement focalisée sur l’innovation technologique et sur la croissance. De ce fait, les acteurs intégrés aux systèmes, les interactions étudiées, ainsi que les institutions considérées comme pertinentes pour le système, ont principalement été ceux qui participent à l’innovation technologique qui se développe dans le système.

Notre travail tend à se démarquer de ce positionnement. En effet, ayant mis en lu-mière l’importance des mécanismes sociologiques dans les processus d’innovation, notre hypothèse est que plusieurs institutions formelles et informelles, moins di-rectement liées à la R&D et à l’innovation technologique, contribuent à orienter et à façonner certaines caractéristiques de la structure sociale des territoires, et que, ce faisant, elles jouent un rôle significatif dans la capacité d’innovation de ceux-ci.

5.2.5 Développement durable et capacité d’innovation

Comme nous l’avons évoqué dans la section 4.2.6, différents travaux issus de la

Théorie des Parties Prenantes ont souligné l’importance de la prise en compte de

différentes parties prenantes dans la construction des stratégies des organisations, tout en mettant en exergue un certain nombre de faiblesses associées à ce type d’approche. En effet, le caractère radical des innovations permettant une réelle prise en compte des aspects sociaux et environnementaux du développement, les rendent, dans de nombreux cas, peu profitables à court terme (Kemp, Schot, et Hoogma, 1998; Schot et Geels, 2008). Elles ont ainsi tendance à être souvent ba-layées par la concurrence, malgré l’impact positif qu’elles pourraient avoir pour les sociétés dans leur ensemble.

Afin de répondre à ce problème, différentes approches ont donc été proposées à l’échelle méso- / macro-économique. R. Kemp, Schot et Hoogma, ont en particu-lier proposé de mettre en place à l’échelle nationale un management stratégique

de niche (« Strategic Management Niche » ou « SMN ») qui permette de

proté-ger certaines innovations ou secteurs de recherche particulièrement prometteurs en termes de développement durable, des déstabilisations induites par une introduc-tion précoce sur le marché (Kemp, Schot, et Hoogma, 1998). Toujours dans une optique macroéconomique, A. Larson met quant à elle en lumière le rôle crucial de l’entrepreneuriat dans le développement d’innovations durables (Larson, 2000). En effet, l’auteure souligne le fait que la création de nouvelles entreprises constitue un mode privilégié de développement d’innovations radicales. Ce type d’organisation est en effet plus à même que des entreprises établies de longue date, de s’affran-chir des rigidités dues à des phénomènes de dépendance de sentier. Or, dans de

5.2. Développement et capacité d’innovation

nombreux cas, seules des innovations radicales peuvent donner lieu à des produits, procédés et formes organisationnelles ayant un impact positif sur le développement durable des sociétés dans toutes ses dimensions. A l’échelle macroéconomique, il apparait donc primordial de stimuler certaines formes d’entrepreneuriat pour fa-voriser le développement durable.

Ces différents travaux mettent en lumière le fait que les institutions d’un territoire jouent un rôle primordial dans la stimulation des innovations bénéfiques pour le développement durable. Elles peuvent donc influer sur la propension des innova-tions à répondre à des problématiques collectives du territoire, d’ordre social ou environnemental, ou autrement dit, à participer au développement durable. Compte tenu du fait que notre variable objectif final est le développement durable, nous intègrerons à la notion de capacité d’innovation des territoires, la propension des innovations à répondre à des problématiques collectives du territoire.