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des groupes

3.5.1 Présentation de l’appoche

Dans leur article de 2001 intitulé Networks, Diversity and Productivity : The

So-cial Capital of Corporate R&D Teams, Reagans et Zuckerman s’attaquent à la

question du lien entre diversité culturelle et capacité d’innovation d’une manière originale, en étudiant explicitement la pertinence de l’ajout du CSI comme variable intermédiaire.

La particularité du modèle de Reagans et Zuckerman (2001) (« modèle RZ » par la suite) tient dans le fait que les auteurs utilisent le concept de capital social – et l’analyse des réseaux sociaux pour mesurer celui-ci – en vue d’expliquer l’absence d’effet systématique de la diversité démographique sur la capacité d’innovation des groupes de travail.

De plus, ils mobilisent dans un même modèle à la fois la littérature sur le capital social tel que défini par Coleman, et celle sur le capital social tel que défini par Burt (1992), en montrant que ces deux aspects du CS ne sont pas incompatibles mais plutôt complémentaires.

Plus précisément, il affirment que la diversité démographique n’a pas un impact direct sur la capacité d’innovation des groupes, mais qu’elle a plutôt deux effets opposés sur deux variables de CS (la densité du réseau et l’hétérophilie du réseau) relevant chacune d’un des aspects du CS évoqués, et ayant chacune un effet positif sur la capacité d’innovation (cf. figure 3.1).

De ce fait, l’effet global de la diversité démographique sur la capacité d’innovation est indéterminé : il est fonction de l’effet qui est dominant parmi les deux cités. Ceci est représenté par le signe du coefficient δ qui est calculé comme suit :

δ= (β1λ1) − (β2λ2) (3.1)

où β1 est le coefficient associé à l’impact positif de la diversité démographique sur l’hétérophilie du réseau, λ1 est le coefficient associé à l’impact positif de l’hé-térophilie du réseau sur la capacité d’innovation du groupe, β2 est le coefficient associé à l’impact négatif de la diversité démographique sur la densité du réseau, et λ2 le coefficient associé à l’impact positif de la densité du réseau sur la capacité d’innovation du groupe.

Ce modèle est donc cohérent avec les éléments mis en lumière par notre revue de littérature sur le lien indirect entre DC, CSI et CI. Mais il est encore plus intéressant de noter qu’il est également cohérent avec les mécanismes complexes mis en lumière par notre revue de littérature sur le lien direct entre DC et CI puisqu’il souligne l’importance des relations sociales qui existent à l’intérieur d’un groupe entre individus culturellement hétérogènes, au-delà de la simple juxtapo-sition d’individus culturellement hétérogènes au sein d’un groupe. L’existence de telles relations dépend de la perspective qu’ont ces individus de la DC, de leur vo-lonté de dépasser les barrières culturelles de premier abord, et de leur perception commune de la valeur de la DC.

Penchons-nous à présent sur le dispositif empirique que les auteurs mettent en place pour démontrer la pertinence de ce modèle. Le terrain d’étude que ceux-ci mobilisent est très vaste : il se compose de 224 équipes de R&D issues de 29 or-ganisations couvrant 7 secteurs industriels différents relevant majoritairement des secteurs de haute technologie3. Les données qu’ils exploitent ont été collectées à travers deux séries de questionnaires administrés entre 1985 et 1986, l’une seule-ment auprès des managers ou chefs d’équipe, et l’autre auprès de tous les membres des équipes de R&D. Ce sont ainsi 224 chef d’équipes/managers (« managers » par la suite) qui ont répondu au premier questionnaire, et 2 077 membres d’équipes qui ont répondu au second (sur 2 285 interrogés, soit un taux de réponse de 91%).

Les questionnaires administrés aux managers visent à évaluer la productivité des équipes de R&D (notons que le rôle des équipes de R&D au sein d’une organisation

3. industrie automobile, industrie chimique, industrie des équipements électroniques, industrie aérospatiale, industrie des produits pharmaceutiques, industrie des biotechnologies et industries pétrolière.

3.5. L’approche de Reagans & Zuckerman (2001)

étant de permettre à celle-ci de mettre en œuvre des innovations, la productivité de ces équipes peut logiquement être assimilée à leur capacité d’innovation). En particulier, la mesure de la productivité d’une équipe k est mesurée par un indice composite que nous noterons Pk, utilisant les réponses des managers à une série de 11 questions concernant les résultats obtenus par l’équipe au cours des trois années passées. Ces questions consistent simplement à demander aux managers, pour 11 types de productions ou « items » pouvant émerger du travail de R&D4, combien d’items ont été produits par l’équipe au cours de cette période. A chaque type d’item est ensuite associée une pondération que les auteurs ont déterminée à travers une analyse en composantes principale (ACP). L’ACP a permis d’identifier 3 facteurs principaux expliquant conjointement 44% de la covariance totale des facteurs, le 1er facteur en expliquant à lui seul 24%. C’est la contribution de chaque item au 1er facteur qui est utilisée par les auteurs comme pondération des items. Notons donc d’ores et déjà que les auteurs soulignent le fait que ce choix implique une perte non-négligeable d’information. En particulier, les items qui contribuent peu au 1er facteur mais contribuent significativement au second facteur (ex : les ouvrages ou les programmes informatiques) voient leur rôle sous-évalué par ce mode de calcul de l’indice composite. Malgré cela, l’indice permet de rendre compte de manière satisfaisante d’une forme de capacité d’innovation. Les questionnaires administrés aux membres d’équipes visaient à obtenir des don-nées sociométrique, c’est à dire des informations sur leurs relations de travail avec leurs collègues. Plus précisément, une liste des membres de leur équipe était fournie, et il était demandé aux répondants d’indiquer pour chaque membre la fréquence de leurs communications sur une échelle de likert à 5 degrés (0 = jamais ; 1 = moins d’une fois par mois ; 2 = une à trois fois par mois ; 3 = une à trois fois par semaine ; 4 = quotidiennement). Ces questions ont permis aux auteurs de recontituer, pour chaque équipe k le réseau social (pondéré et orienté) des relations de collaboration entre employés, et partant de là, de calculer la densité (pondérée) de chacun de ces réseaux de la manière suivante :

Dk=

PNk

i=1 PNk

j=1zijk/max(zijk)

Nk(Nk−1) , j 6= i

4. articles de positionnement, propositions de projet, article scientifique ou technique publié, brevet d’invention déposé, ouvrage écrit ou coordonné, algorithme/marque/dessin/etc., rapport interne, rapport ayant circulé à l’extérieur de l’équipe, prototype expérimental d’appareil, ins-trument ou composant d’appareil, prototype expérimental de matériaux (ex : plastiques, fibre de verre, métaux, médicaments, produit chimique, etc.), et prototype de programme informatique

Où zijk représente la fréquence du lien (score de 0 à 5) entre l’individui et l’indi-vidu j, telle que reportée par i dans le questionnaire5, et max(zijk)représente la fréquence maximale (score de 0 à 5) reportée par l’un des individus de l’équipe. Enfin, la diversité démographique ainsi que l’hétérophilie des réseaux sociaux des équipes nécessitant d’avoir accès à des informations démographiques individuelles sur chaque membre, les auteurs ont utilisé des données sur l’ancienneté dans l’orga-nisation (t) de chaque membre comme attribut démographique. Ceci leur a permis d’obtenir, pour chaque paire d’inventeur ij de chaque équipe k, un indicateur quantitatif de « similarité démographique » inter-individuelle wijk calculé comme suit :

wijk = (d maxik− dijk) /

Nk X

j=1

(d maxik− diqk)

où dijk représente la « distance » d’ancienneté entre l’acteur i et l’acteur j, et

d maxik représente la distance maximale entre un acteur i et n’importe quelle autre acteur de l’équipe k. Partant de là, les auteurs peuvent calculer l’hétérogénéité du réseau égocentré de chaque individu de l’équipe de la manière suivante :

nhik = 1 −

Nk

X

j=1

wijk∗ pijk, j 6= i

où pijk représente la proportion des interactions sociales de l’individu i que celui-ci accorde à l’individu j6. NHk, le niveau d’hétérophilie du réseau global de l’équipe

k est alors simplement calculé comme la moyenne des nhik :

N Hk =

PNk

i=1nhik Nk

5. notons que la fréquence reportée n’est pas nécessairement symétrique. Autrement dit,

zijkn’est pas nécessairement égal à zjik. Le mode de calcul de la densité implique que ces deux valeurs sont comptabilisées.

6. pijk= zijk/PNk

3.5. L’approche de Reagans & Zuckerman (2001)

Outre le calcul de l’hétérophilie du réseau, le choix du critère d’ancienneté comme critère démographique permet également aux auteurs de calculer, pour chaque équipe k, un indicateur quantitatif de diversité démographique de type « coeffi-cient de différence à la moyenne » (ou « CMD » pour le terme anglais « coefficoeffi-cient of mean difference ») simplement calculé comme la moyenne des distances démo-graphiques entre toutes les paires d’acteurs possibles d’une équipe :

CM Dk = 1 Nk(Nk−1) Nk X i=1 Nk X j=1 | tik− tjk |, i 6= j

Les données collectées permettent donc d’obtenir une mesure de la diversité dé-mographique, de la variable cohésive du CSI (densité de réseau), de la variable d’ouverture du CSI (hétérophilie du réseau), et de la capacité d’innovation des équipes de travail. Ces variables correspondent aux variables mises en lumière au cours de notre revue de littérature.

Les auteurs introduisent par la suite ces variables au sein d’un modèle économé-trique de régression linéaire, dont la spécification est la suivante :

Pk = α + β1.Dk+ β2N Hk+ β3Dk∗ N Hk+ βzZk

Où Zkreprésente le vecteur des variables de contrôle du modèle et βz le vecteur des coefficients respectifs de ces variables. Parmi les variables de contrôles les au-teurs introduisent la diversité démographique CMDk, mais également l’ancienneté moyenne de l’équipe, le type de tâche dévolue à l’équipe (série de 5 variables bi-naires : recherche fondamentale, recherche appliquée, développement de produit, amélioration de produit, ou amélioration de procédé), la taille de l’équipe (nombre d’individus), et enfin l’intensité concurrentielle du marché concerné.

Notons que les auteurs ajoutent aux deux variables explicatives, le produit croisé des deux, afin de tester si ces variables sont complémentaires ou si elles sont plutôt des substituts l’une pour l’autre.

Les résultats des régressions confirment que les deux variables explicatives, ainsi que leur produit croisé, ont un effet positif significatif sur la productivité. La diversité démographique n’a, quant à elle, aucun effet significatif sur la productivité des équipes, et ce, quel que soit le modèle retenu ou le mode de calcul de la diversité retenu. Notons également qu’on n’observe aucune corrélation significative entre la diversité démographique et l’une ou l’autre des variables explicatives (Dket NHk).

Ainsi, le modèle RZ constitue une base de travail particulièrement intéressante en vue de tester l’existence d’une relation indirecte entre DC et CI intermédiée par le CSI, pour des échelles d’analyse plus grandes que les groupes de travail, à savoir, les organisations et les territoires.

L’enjeu de cette problématique est double : il s’agit d’une part de déterminer dans quelle mesure les concepts de DC, de CSI et de CI, peuvent être considérés comme comparables à ces différentes échelles, et s’il est possible de considérer que leurs interactions sont régies par des mécanismes similaires. Ce point sera examiné en détail au cours des chapitres 4 et 5 qui s’intéressent respectivement à l’échelle des organisations et à celle des territoires. Et il s’agit d’autre part, de déterminer si le modèle RZ – qui n’a pas donné lieu à de nombreux prolongements empiriques ni en sciences économiques ni en sciences de gestion – fournit une robustesse et un niveau de généralité suffisants pour prétendre à une validité externe qui lui permette d’être vérifié dans des contextes empiriques différents de celui mis en place par les auteurs. Ce second point sera abordé au cours de la section suivante.