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Définitions et concepts

2.1.2 L’innovation à quelles fins ?

Contrairement à la notion d’évolution économique, le terme développement

écono-mique ou simplement développement est chargé d’une valeur normative (Rist, 1996;

Vivien, 2003). Il partage donc ce caractère avec le terme innovation. Une première définition générale du développement consiste donc à le décrire comme une suc-cession de changements permettant une amélioration de la situation économique d’une unité sociale.

Si le concept de développement constitue une variable d’objectif finale assez stan-dard dans les sciences économiques et de gestion, le contenu de l’expression « amé-lioration de la situation économique d’une entité sociale » est beaucoup plus sujet à controverse. Nous préciserons notre positionnement au cours des sections 2.1.2.1 et 2.1.2.2, consacrées respectivement à la croissance économique comme indicateur de développement, et au concept de développement durable apparu à partir des années 1980.

2.1.2.1 Développement et croissance économique

L’étude du développement économique des nations et des territoires s’est largement inscrite dans deux champs de littérature des sciences économiques : les théories de la croissance et l’économie du développement. Pour les théoriciens de la croissance, le développement économique a souvent été simplement assimilé à la croissance

économique. Ainsi R. Lucas explique que :

« Quand je parle de la question du développement économique, je fais simplement référence à la question de la prise en compte des ré-gularités que l’on observe à travers les pays et à travers le temps, en termes de niveau de croissance du revenu par tête. Cette définition peut paraitre étroite, et peut-être qu’elle l’est, mais le fait de penser à ces régularités nous amènera nécessairement à penser à bien d’autres as-pects de la société. De ce fait, je suggère que nous nous abstenions de juger le spectre couvert par cette définition, tant que nous n’avons pas

une idée plus claire de là où elle peut nous mener6. » Lucas (1988, p.3 ; traduction de l’auteur)

Notons que cette position est largement partagée par les auteurs de ce champ de re-cherche. En effet, comme l’expliquent R. Barro et X. Sala-i-Matrin dans le chapitre inaugural de leur manuel de référence sur la croissance économique, l’importance de cette dernière tient au fait qu’à long terme, des différences de taux moyen de croissance entre pays, même si elles sont minimes, conduisent à des écarts de « ni-veau de vie » très significatifs. A partir de cette observation, les auteurs invitent à considérer l’étude de la croissance comme une priorité par rapport à l’étude des fluctuations macroéconomiques de court terme Barro et Sala-I-Martin (1996, p.4). L’hypothèse qui sous-tend ce primat de la croissance sur d’autres aspects macroéconomiques est donc qu’elle est garante à long terme de l’augmentation du « niveau de vie » considéré comme une amélioration de la situation économique. De nombreux économistes du développement ont suivi la voie ouverte par les théo-riciens de la croissance, assimilant le « développement économique » à cette der-nière. F. Perroux par exemple définit celui-ci comme :

« La combinaison des changements mentaux et sociaux d’une popu-lation qui la rendent apte à faire croitre, cumulativement et durable-ment son produit réel global. » (Perroux, 1961)

Ce faisant, il introduit une subtilité en intégrant les changements sociaux, psycho-sociaux, etc. comme facteurs explicatifs du développement. Mais celui-ci demeure cependant évalué par l’augmentation du produit réel par tête dans cette perspec-tive.

Notons que la prégnance du recours au PIB pour évaluer le développement est en partie entretenue par le manque de mesures alternatives pertinentes permettant des comparaisons internationales.

Ainsi, de nombreux économistes considèrent, que malgré ses limites, la « croissance économique » constitue une variable qu’il demeure pertinent d’utiliser comme in-dicateur unique de « développement économique » du fait de sa simplicité et de sa capacité à synthétiser les autres types de progrès économiques réalisés.

6. « By the problem of economic development I mean simply the problem of accounting for

the observed pattern, across countries and across time, in levels and rates of growth of per capita income. This may seem too narrow a definition, and perhaps it is, but thinking about income patterns will necessarily involve us in thinking about many other aspects of societies too. so I would suggest that we withhold judgment on the scope of this definition until we have a clearer idea of where it leads us. »

2.1. Innovation et capacité d’innovation

Cependant, de nombreux travaux se sont attachés à montrer les limites de cette approche. Dès les années 70, les travaux de Nordhaus et Tobin (1972), puis le rapport « Meadows » (Meadows, Meadows, Randers, et Behrens, 1972) pointent ouvertement certaines de ces limites. W. Nordhaus et J. Tobin, soulèvent trois questions principales qui incitent à éviter cette approche unidimensionnelle du dé-veloppement : ils s’interrogent en premier lieu sur la pertinence de l’utilisation des mesures d’accroissement de PIB pour rendre compte de l’accroissement du bien-être. Ils se demandent ensuite dans quelle mesure un processus d’accroisse-ment consomme inévitabled’accroisse-ment des ressources naturelles. Enfin, ils soulèvent la question de l’impact de l’accroissement de la population sur le bien-être écono-mique (Nordhaus et Tobin, 1972). Le rapport « Meadows » pointe le problème que pose l’accroissement de la population et du capital au niveau global en termes de consommation de ressources naturelles et de production de quantités de nourriture, et va jusqu’à prôner, pour sa part, un objectif de « croissance nulle » (Meadows, Meadows, Randers, et Behrens, 1972). Ces deux travaux fondateurs ont donné lieu à de nombreux développements théoriques et empiriques, tels que ceux des parti-sans de la « décroissance » ou « objecteurs de croissance » qui s’inscrivent dans la lignée du rapport « Meadows » (Kempf, 2013; Latouche, 2006).

Partageant la même insatisfaction vis-à-vis de la mesure unidimensionnelle du dé-veloppement à travers la croissance du PIB, d’autres chercheurs ont proposé des approches alternatives en mettant plutôt l’emphase sur l’aspect social du dévelop-pement économique. Ainsi B. Perret proposa au début des années 2000 d’intégrer une série d’ « indicateurs sociaux » à l’évaluation du développement économique français (Perret, 2002). D. Méda travaille pour sa part depuis les années 1990 sur la mise en œuvre d’une approche du développement économique ayant vocation à faire progresser la civilisation (baisse de la violence, répartition plus équitable des richesses, moindres altérations de l’environnement, accroissement des niveaux de santé et d’éducation, etc.) plutôt qu’à faire augmenter le produit, et par consé-quent, milite en faveur d’indicateurs permettant de rendre compte de ces amélio-rations (Méda, 1999, 2008).

A. Sen, quant à lui, prix Nobel d’économie en 1988, a consacré l’essentiel de son œuvre à une réflexion sur l’imbrication des sciences économiques et de l’éthique. Fervent défenseur d’une économie normative, qui ne dissocie justement pas écono-mie et éthique, il a ainsi montré que la croissance économique, si elle ne s’accom-pagnait pas d’une amélioration des « capacités7 » des individus et d’une réduction

des inégalités, ne pouvait pas être considérée comme un signe de développement économique au sens normatif du terme (Sen, 1999a, 2000). Il a ainsi largement contribué à la création des « indicateur de développement humain » (IDH) et « in-dicateur de pauvreté humaine » (IPH) par le Programme des Nations Unies pour

le Développement (PNUD), permettant d’apprécier le développement économique des nations et territoires selon ces critères.

2.1.2.2 Développement durable

C’est dans ce contexte qu’est apparu dans les années 1980 le concept transdisci-plinaire de développement durable (Vivien, 2003). Le qualificatif durable accolé au concept de développement souligne l’importance de la prise en compte de l’impact du développement économique actuel sur le monde tel qu’il sera transmis aux gé-nérations futures. Ainsi, les économistes engagés dans le développement durable se sont attachés à proposer des modèles de développement économique intégrant la notion de durabilité (Pezzey, 1992; Faucheux, Pearce, et Proops, 1996), ainsi que des mesures et indicateurs permettant de l’évaluer.

Ce concept est généralement représenté comme la combinaison de trois principes fondamentaux : principe économique, principe environnemental, et principe social (Lauriol, 2004; Bansal, 2002). Cette combinaison vise à « maintenir un niveau de vie raisonnable » (Bansal, 2002) tout en protégeant les ressources afin de ne pas compromettre l’avenir des générations futures, et en s’assurant que chaque individu soit traité avec équité. En effet, la justice sociale contribue à entretenir la cohésion sociale en permettant à chacun de bénéficier du développement collectif, et donc, d’avoir une incitation individuelle à y participer.

Au-delà de ce quasi-consensus sur les principes fondamentaux, il existe une mul-titude d’acception du terme développement durable, qui font l’objet d’approches très différentes, voire de vives tensions (Lauriol, 2004). Citons notamment la di-chotomie qui s’est opérée entre les partisans d’un développement durable fondé sur l’intégration d’une dimension morale à l’économie, dans la lignée des travaux d’A. Sen (Pesqueux et Biefnot, 2002; Jonas et Vaillancourt, 2007), et les partisans d’un développement durable fondé sur la théorie des parties prenantes (Freeman, 1984).

Malgré cela, nous n’entrerons pas dans le détail de ces travaux. En effet, le contenu précis, la mesure et la dynamique du développement durable ne constituent pas l’objet de cette thèse. Il convenait simplement de préciser la finalité à laquelle est assignée l’innovation, mais nous n’étudierons pas directement la relation innovation

=> développement durable.

Nous nous en tiendrons donc à une approche globale de ce concept, en le définissant comme une forme de développement prenant simultanément en compte les aspects

économiques, sociaux et environnementaux des sociétés et des organisations.

Partant de là, nous pouvons préciser la définition de l’innovation en indiquant qu’elle correspond à la génération, l’implémentation dans la sphère économique, et

2.1. Innovation et capacité d’innovation

la diffusion dans milieu social, de connaissances8 nouvelles relatives à un produit (bien ou service), un procédé de production, un mode de distribution (commerciali-sation ou autre), ou une forme d’organi(commerciali-sation, contribuant au développement dans une optique durable.