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des territoires

5.3.1 Diversité culturelle et capacité d’innovation

A l’échelle des territoires, différents travaux se sont penchés sur la relation

diver-sité culturelle - performance économique (Alesina et Ferrara, 2005; Borjas, 1994,

2003; Card, 2005; Ottaviano et Peri, 2006; Easterly et Levine, 1997; Alesina, Ba-qir, et Easterly, 1999). A cette échelle, la question porte principalement sur les aspects ethno-culturels de la notions de culture, à travers les attributs d’appar-tenance des individus à différents groupes ethniques (Alesina, Baqir, et Easterly, 1999; Alesina et Ferrara, 2005; Easterly et Levine, 1997), ou à travers leur statut d’immigrant ou de « natif » (Ottaviano et Peri, 2005; Borjas, 1994, 2003; Card, 2005). Ces travaux, s’intéressent à l’impact de la diversité culturelle sur différents aspects de la performance économique des territoires, tels que leur fonction de pro-duction macroéconomique (Alesina et Ferrara, 2005; Ottaviano et Peri, 2006), leur

7. Notons que lorsque nos arguments seront valables à la fois pour les territoires et pour les territoires-industrie, nous utiliserons la notation suivante : « territoire(-industrie) ».

5.3. Capacité d’innovation et structure sociale des territoires

croissance économique (Easterly et Levine, 1997), leur niveau moyen de salaires (Ottaviano et Peri, 2006; Card, 2005), la valeur foncière moyenne de leur biens immobiliers (Ottaviano et Peri, 2006), ou encore leur capacité à pourvoir des biens publiques satisfaisants les besoins de la population (Alesina, Baqir, et Easterly, 1999). Ces travaux donnent lieu à des résultats très hétérogènes concernant la re-lation diversité culturelle - performance économique, certains mettant en lumière un effet globalement positif de la DC sur la performance économique (Ottaviano et Peri, 2006), ou au contraire, un effet globalement négatif (Borjas, 2003). Cette hétérogénéité suggère une relation complexe entre les deux construits.

En vue d’apporter des éclairages moins instables, plusieurs travaux empiriques et théoriques plus récents se sont focalisés plus précisément sur la relation diversité

culturelle - innovation des territoires (Niebuhr, 2010; Hunt et Gauthier-Loiselle,

2008; Florida, 2007; Berliant et Fujita, 2011). Le postulat implicite de ces travaux est que l’innovation revêt un aspect central dans le développement des territoires. De ce fait, ils sous-entendent que le sens de l’impact de la diversité culturelle sur l’innovation peut être considéré comme prévalent pour l’évaluation de l’impact global de la diversité culturelle sur le développement économique des territoires. Or, de prime abord, les résultats de ces travaux apparaissent beaucoup moins instables que les travaux précédemment évoqués : ils mettent généralement en lumière un impact positif de la DC sur l’innovation. Ainsi, J. Hunt et M. Gauthier-Loiselle étudient l’impact de l’immigration qualifiée (étudiants étrangers) aux

Etats-Unis sur le nombre de brevets déposés par habitant, pour la période 1940-2000.

Les auteures montrent qu’il existe un impact positif significatif sur l’innovation, de ce type d’immigration (Hunt et Gauthier-Loiselle, 2008). G. Peri met en lumière le même type de résultat en montrant que dans les Etats américains (US), la part de

doctorants nés à l’étranger est positivement associée au niveau général de dépôts

de brevets (Peri, 2007).

A. Niebuhr propose quant à elle de tester, pour un échantillon de région

Alle-mandes, une fonction de production de connaissance dont la variable expliquée est

évaluée par les dépôts de brevets régionaux, et dont les déterminants principaux sont les investissements régionaux en R&D d’une part, la diversité culturelle de la

population active régionale d’autre part, ainsi que différentes variables de contrôle8

(Niebuhr, 2010). Le niveau de diversité culturelle est évalué par un indice d’Her-findhal qui est calculé comme la probabilité que deux individus tirés au hasard au sein de la population active aient la même nationalité. Outre l’indice de di-versité culturel de la population active totale, 3 autres indices sont calculés, pour différents sous-échantillons de populations au regard du niveau d’éducation : (1)

8. La répartition sectorielle de l’activité, l’intensité de la recherche universitaire locale, la taille moyenne des firmes, le type de région, et le capital humain.

les travailleurs ne possédant aucun diplôme formel de spécialisation, (2) les tra-vailleurs ayant effectué un apprentissage complet, (3) et les tratra-vailleurs ayant un diplôme universitaire. Il ressort des résultats que le niveau de diversité culturelle a un impact positif significatif sur l’innovation des régions, mais qui est principale-ment porté par la diversité culturelle des travailleurs hauteprincipale-ment qualifiés (diplôme d’université). L’auteure souligne par ailleurs que même pour les autres niveaux de qualification, l’indice de diversité culturelle est évalué à partir de la population active, et non celui de la population totale. Il s’agit donc de la diversité culturelle observée parmi les individus déjà insérés dans le marché du travail.

Au-delà de la stabilité apparente de ces résultats à propos de l’impact positif de la diversité culturelle sur l’innovation, il est, à notre sens, particulièrement impor-tant de souligner un certain nombre de spécificités des contextes empiriques dans lesquels ces résultats ont été mis en lumière. Premièrement, pour tous ces travaux, la variable explicative de diversité culturelle ne concerne qu’un sous-échantillon de population hautement qualifié (Hunt et Gauthier-Loiselle, 2008; Peri, 2007; Nie-buhr, 2010), ou à minima, déjà intégré sur le marché du travail (NieNie-buhr, 2010). La question de la transformation de la diversité culturelle en portée externe n’est donc pas intégrée à l’analyse. Or, nous avons mis en lumière au cours du chapitre 4, qu’au niveau organisationnel, cette relation est loin d’être automatique. Elle est au contraire conditionnée par de nombreux facteurs contextuels organisationnels et managériaux. Il est donc pertinent de postuler qu’à l’échelle des territoires, cette relation n’est pas non plus automatique, et qu’elle dépend également de facteurs contextuels. Or, ces derniers sont eux-mêmes fonction, non seulement des disposi-tifs de gestion mis en œuvre par les organisations implantées sur le territoire, mais également des mécanismes institutionnels qui sont en vigueur dans les territoires, et qui sont destinés à structurer les interactions entre les acteurs du territoire. Deuxièmement, ces travaux ont tous recours à une approche de l’innovation cen-trée sur une seule des trois dimensions de la capacité d’innovation présentée à la section 5.2.6 : le potentiel brut d’innovation, ou autrement dit, la quantité d’in-ventions (dépôts de brevets) ayant émergé sur le territoire au cours d’une période donnée. Cette approche n’intègre donc pas les deux autres dimensions de la capa-cité d’innovation, à savoir la valeur économique et technologique des inventions, et leur capacité à répondre aux problématiques collectives du territoire. A cet égard, notons que dans le sillage du Manuel d’Oslo (OCDE, 2005), de nombreux travaux considèrent les déclarations d’entreprises à propos de leurs nouveaux produits, procédés, formes organisationnelles, ou encore modes de distribution, comme des évaluations plus pertinentes de l’innovation à proprement parler, en particulier en termes de valeur économique (deuxième dimension de la capacité d’innovation). C’est le cas notamment de l’article de N. Lee et M. Nathan, qui s’intéresse à la relation diversité culturelle - innovation pour un échantillon de 7400 firmes

im-5.3. Capacité d’innovation et structure sociale des territoires

plantées dans la région londonienne en ayant recours à ce type d’évaluation de l’innovation. La stratégie empirique des auteurs consiste à évaluer l’impact d’une composition culturellement diversifiée des équipes de management et de proprié-taires sur la mise en place de différentes formes d’innovations organisationnelles : génération de nouvelles idées de produits et de procédés, et commercialisation de nouveaux produits (Lee et Nathan, 2011). Or les auteurs montrent que la diversité culturelle des équipes de management et de propriétaires des firmes Londoniennes, est associée à un léger avantage en termes de génération de produits et de procé-dés nouveaux. Ce résultat est cohérent avec différents autres travaux ayant mis en lumière le rôle prépondérant de la diversité culturelle pour l’innovation à travers le prisme de l’entrepreneuriat (Alter, 2012; Wadhwa, Saxenian, Rissing, et Gereffi, 2007). Dans une vaste analyse des créations d’entreprises de hautes technologie aux Etats-Unis pendant la période 1995-2005, Wadwa et al. montrent par exemple que pour plus d’un quart de ces créations, au moins l’un des fondateurs est un immigrant (Wadhwa, Saxenian, Rissing, et Gereffi, 2007). L’analyse qualitative menée par N. Alter dans le contexte Français, à partir de multiples entretiens avec des « patrons atypiques » à la réussite économique particulièrement notable – considérés comme « atypiques » notamment pour leur origines ethno-culturelles – permet de mieux comprendre les mécanismes psycho-sociologiques par lesquels de tels entrepreneurs parviennent à transformer leur « différence » en une ressource économique et une capacité d’innovation particulière(Alter, 2012). Or à propos de l’entrepreneuriat, rappelons que A. Larson (2000) a mis en lumière le rôle par-ticulier de cette forme d’innovation pour la troisième dimension de la capacité d’innovation : le degré de réponse aux problématiques collectives territoriales (cf. section 5.2.5).

Il ressort donc de ces travaux que la diversité culturelle parmi les créateurs

d’entre-prise et/ou parmi les équipes de management des entred’entre-prises, joue un rôle positif

sur la capacité d’innovation des territoires telles que nous l’avons définie, c’est à dire dans une approche tridimensionnelle (cf. section 5.2.6). Mais là encore, il convient de souligner que les analyses faisant apparaitre ces résultats n’endogénéisent pas les mécanismes organisationnels et institutionnels par lesquels le niveau de diver-sité culturelle d’une population parvient ou ne parvient pas à se retrouver au sein de la population des entrepreneurs et des managers d’entreprises. En particulier, le rôle crucial des mécanismes institutionnels visant à limiter les discriminations lors de l’accès au marché du travail, à l’éducation, ou encore aux financements, n’est pas observé.

Pourtant, plusieurs travaux se sont attachés à mettre en lumière des décalages significatifs entre différents modèles institutionnels territoriaux – en particulier à l’échelle nationale – dans leur capacité à limiter les phénomènes de discrimina-tion, et à faire de la place à la diversité des cultures (Silj, 2010; Bertossi, 2010;

Modood, 2013). Ainsi, l’ouvrage de T. Modood intitulé Multiculturalism, s’attache précisément à réfléchir sur les configurations institutionnelles qui permettent à la diversité culturelle de s’exprimer pleinement, tout en favorisant le maintien d’un niveau élevé de cohésion et de paix sociale (Modood, 2013). La lutte efficace contre les phénomènes de discrimination, ainsi que la capacité à pratiquer au fil du temps des accommodations institutionnelles prenant en compte la diversité culturelle des populations, constituent selon l’auteur, des éléments centraux de cette approche du multiculturalisme. Il est intéressant de noter que l’on retrouve là deux élé-ments que nous avons identifiés au chapitre 4, comme des variables médiatrices primordiales de la relation diversité culturelle - capacité d’innovation à l’échelle organisationnelle (hypothèses 9 et 10).

L’ouvrage collectif intitulé European Multiculturalisme Revisited dirigé par A. Silj (2010) propose, quant à lui, une analyse comparative des modèles d’intégration de six pays européens : la Grande-Bretagne (Malik, 2010), la France (Amiraux, 2010), l’Italie (Allievi, 2010), l’Allemagne (Lanz, 2010), le Danemark (Jensen, 2010), et les Pays-Bas (Sunier, 2010). Les particularismes de chacun de ces modèles sont présentés à la lumière de leurs contextes historiques respectifs. M. Malik et T. Sunier expliquent ainsi respectivement que dans les modèles institutionnels Bri-tanniques et Hollandais, le multiculturalisme est placé au centre du modèle d’in-tégration (Malik, 2010; Sunier, 2010). La lutte contre les discriminations passe donc par l’existence de « statistiques ethniques », la mise en place d’enquêtes et de politiques publiques explicites visant à les limiter, ou encore la prise en compte des revendications des différents lobbys communautaires. Cependant, les auteurs montrent que ces modèles ont été sévèrement mis à mal depuis le début des années 2000, par un enchainement d’évènements marquants9 qui ont poussé les popu-lations et leurs gouvernant à une plus grande méfiance à l’égard de la diversité culturelle, et à une plus grande rigidité vis-à-vis des particularismes culturels. A l’inverse des modèles Britannique et Hollandais, la France et le Danemark, sont quant à eux caractérisés par des modèles d’intégration assimilationnistes comme le soulignent respectivement V. Amiraux et T.G. Jensen. Dans ce type de modèle, l’équité et la cohésion sociale sont assurées par l’adhésion de chaque citoyen à un corpus de valeurs et de principes fondamentaux. L’intégration des immigrants passe par leur capacité à assimiler ces valeurs et principes, et à abandonner les héritages culturels qui ne concordent pas avec ceux-ci. Dans ce contexte, la lutte contre les discriminations passe par la non-reconnaissance des différences et des spécificités culturelles, et par un traitement indifférencié accordé à chacun des ci-toyens. Les auteurs montrent cependant que l’efficacité de ce type de modèle dans

9. Les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis qui a eu un raisonnement planétaire, mais aussi l’assassinat du réalisateur Théo Van Gogh en 2004, ou encore les attentats de Londres en juillet 2007.

5.3. Capacité d’innovation et structure sociale des territoires

la lutte contre les discriminations a également été largement remis en question avec l’explosion de la diversité culturelle des populations au cours des dernières décennies (Amiraux et Simon, 2006; Schnapper, 1999). Le modèle Allemand est présenté pour sa part, comme peu enclin par nature à l’expression du multicul-turalisme, notamment du fait du droit du sang10 qui le caractérise, mais comme présentant pourtant une forme récente de valorisation de la différence culturelle (Lanz, 2010). Enfin, le modèle italien est caractérisé par une « absence de modèle » pour la gestion des questions de multiculturalisme (Allievi, 2010). L’auteur sou-ligne les avantages que présente cette absence de modèle, mais met également en lumière ses limites, notamment en termes de gestion des discriminations. Ainsi, au regard de cette analyse comparée, C. Bertossi conclue qu’aucun des modèles ins-titutionnels des pays européens évoqués n’est particulièrement cohérent au regard des réalités empiriques auxquelles il fait face en termes de diversité culturelle, et les principes institutionnels sur lesquels il repose (Bertossi, 2010). L’auteur met ainsi en lumière, non pas la supériorité d’un de ces modèles par rapport à un autre, mais plutôt l’impérieuse nécessité d’accorder les institutions des territoires nationaux aux problématiques concrètes auxquelles ils font face en termes de multicultura-lisme. Il considère en effet qu’une telle adéquation est une condition nécessaire à l’occurrence simultanée de cohésion sociale et de diversité culturelle. Ce résultat rejoint celui duquel découle l’approche normative du multiculturalisme proposée par T. Modood.

Au regard de ces différents éléments, qui confirment l’existence de parallèles entre l’échelle organisationnelle et l’échelle territoriale au regard de la modélisation de la relation diversité culturelle - capacité d’innovation, nous proposons de retenir les hypothèses suivantes :

Hypothèse. 1c. A l’échelle d’un territoire(-industrie), la diversité culturelle ne

constitue pas un facteur explicatif stable et systématique de la capacité d’innova-tion.

Hypothèse 18. A l’échelle d’un territoire(-industrie), la capacité des institutions

à reconnaitre les particularismes culturels et à pratiquer des accommodations né-cessaires à leur expression constitue une variable modératrice de la relation entre diversité culturelle et portée externe du territoire(-industrie).

Hypothèse 19. A l’échelle d’un territoire(-industrie), la concordance de