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capacité d’innovation

4.2.5 Stratégie et Knowledge Management

Très étroitement lié à l’approche par les capacités dynamiques, le Knowledge

Ma-nagement s’est lui aussi développé à partir du début des années 1990. Ce

cou-rant s’inscrit également dans la lignée des théories évolutionniste et constitue une « théorie de la firme » alternative à celles des coûts de transaction (Williamson, 1981) ou de la Théorie de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). Elle considère que la firme trouve principalement sa raison d’être dans sa plus grande aptitude que le marché à organiser les échanges et transferts de connaissances entre individus (Kogut et Zander, 1992).

Dans ce sens, les firmes sont assimilées à des entités « créatrices de connaissances » (Nonaka, Toyama, et Nagata, 2000; Nonaka et Toyama, 2005). Les firmes les plus performantes sont donc celles qui parviennent le mieux à acquérir, gérer, utiliser et créer des connaissances (Nonaka et Takeuchi, 1995).

Par rapport aux capacités dynamiques, le Knowledge Management est caractérisé par une pluridisciplinarité particulièrement marquée. De nombreux travaux issus de domaines aussi divers que les sciences cognitives, la linguistique, les technologies

4.2. Stratégie et capacité d’innovation

de l’information, les sciences de la documentation, l’écriture technique, le journa-lisme, l’anthropologie, la sociologie, les sciences de l’éducation, le « storytelling », les technologies collaboratives, et bien sûr les sciences de gestion contribuent en effet à alimenter ce champ de recherche (Dalkir, 2013).

Parmi ces différentes approches du Knowledge Management, l’une est particu-lière intéressante pour notre recherche : celle qui s’inspire de la sociologie néo-institutionnelle et de l’analyse des réseaux sociaux(Tsai et Ghoshal, 1998; Tsai, 2000, 2002; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Cette littérature s’intéresse en effet à l’im-pact de différents aspects de la structure sociale des firmes sur leur capacité à créer des connaissances, et par suite, conformément à la logique du Knowledge Mana-gement, à maintenir durablement un avantage concurrentiel. Or pour caractériser ces structures sociales, certains auteurs de ce courant mobilisent explicitement le concept de capital social (Tsai et Ghoshal, 1998; Tsai, 2000; Nahapiet et Ghoshal, 1998).

Un article de J. Nahapiet et S. Ghoshal, intitulé « social capital, intellectual

capi-tal, and organizational advantage » (1998) joue un rôle particulièrement important

dans la construction de notre raisonnement. En effet, ces auteurs soulignent le rôle du capital social dans la formation de ce qu’ils appellent le capital intellectuel, et qui est à l’origine de l’avantage concurrentiel des organisations. Pour ce faire, ils commencent par préciser que le capital intellectuel est composé non seulement des

connaissances (« Knowledge ») d’une organisation, mais également de la capacité

à chercher à connaitre (« Knowing ») de cette organisation. Ils ajoutent que l’éva-luation du capital intellectuel d’une organisation se situe à l’échelle des individus, mais également à l’échelle collective.

Ayant ainsi défini le capital intellectuel, ils s’attachent à expliquer les mécanismes par lesquels celui-ci peut être généré. A cet égard, ils proposent que la création de capital intellectuel est principalement due à des mécanismes de combinaison d’éléments existants (connaissances, technologies, etc.), ainsi qu’aux d’échanges sociaux permettant à de tels combinaisons de mettre en jeu les connaissances d’une pluralité d’acteurs.

Les auteurs identifient ensuite quatre conditions nécessaires à l’occurrence des mécanismes de combinaison et d’échange : (1) que des opportunités de combinaison et d’échange existent ; (2) que les acteurs de l’organisation perçoivent la valeur potentielle de ces combinaisons et échanges ; (3) que les différents acteurs aient tous une incitation individuelle (un intérêt personnel) à la mise en œuvre de ces combinaisons et échanges ; et (4) que les acteurs aient une capacité à générer de nouvelles combinaisons.

Suite à cette analyse du capital intellectuel et de la manière dont il est créé, les auteurs s’attachent à montrer le rôle du capital social dans ce processus. Notons

tout d’abord qu’ils définissent celui-ci comme la somme des ressources effectives

et potentielles encastrées dans, dérivées de, et accessibles par le réseau de relation possédé par un individu ou par une unité sociale. Cette définition demeure donc

très englobante, à l’image de celle proposée par Coleman (cf. section 2.3). Ils notent ainsi qu’il convient d’identifier les aspects8 particuliers de ce concept générique, ayant un intérêt particulier sur la création de capital intellectuel.

Pour ce faire, ils commencent par faire la distinction entre trois dimensions du capital social mise en lumière par la littérature : les dimensions structurelle,

rela-tionnelle et cognitive. Ils associent un certain nombre d’aspects du capital social à

chacune de ces dimensions. La dimension structurelle regroupe des caractéristiques configurationnelles ou morphologiques du réseau social, évaluées par des mesures telles que la densité, la connectivité ou encore la hiérarchie. La dimension rela-tionnelle regroupe des caractéristiques liées au contenu des relations, notamment en termes de confiance (confiance accordée9 et confiance reçue10), de normes re-lationnelles établies et de sanctions en cas de déviance à la norme, d’obligations et d’attentes générées par les relations, ou encore d’identité et d’identification associées aux relations. La dimension cognitive quant à elle regroupe des caracté-ristiques liées aux éléments cognitifs qui sont communs aux acteurs du réseau, tels qu’un langage ou des codes communs, ou encore des mythes et récits fondateurs communs.

Ayant effectué cette distinction, ils montrent enfin que plusieurs aspects du capital social (relevant respectivement de l’une ou l’autre des trois dimensions évoquées), ont un impact sur la création de capital intellectuel, du fait de l’influence qu’ils ont sur les quatre conditions d’émergence des mécanismes de combinaison et d’échange (cf. figure 4.1 pour une représentation schématique du modèle développé par ces auteurs). Plus précisément, ils considèrent que les aspects relevant de la dimen-sion structurelle du capital social affectent principalement la première condition :

opportunités de pratiquer des échanges et combinaisons (« Acces to parties for combining/exchanging intellectual capital » dans la figure 4.1).

Les aspects relevant de la dimension cognitive quant à eux, affectent principalement la quatrième condition : capacité à effectuer des combinaisons (« Combination

capability » dans la figure 4.1).

Et enfin les aspects relevant de la dimension relationnel affectent principalement les première, deuxième et troisième conditions : opportunités de pratiquer des échanges

et combinaisons, perception de la valeur potentielle des combinaisons et échanges

(« Anticipation of value through combining/exchanging intellectual capital » dans la figure 4.1) et incitation individuelle à la mise en œuvre de ces combinaisons et

8. Les auteurs parlent de « facets » 9. « trust »

4.2. Stratégie et capacité d’innovation

Figure 4.1 – Modélisation théorique proposée par J. Nahapiet et S. Ghoshal de la relation entre capital social, mécanismes de combinaison et d’échange, et création de capital intellectuel (Nahapiet et Ghoshal, 1998, p. 251)

échanges (« Motivation to combine/exchange intellectual capital » dans la figure

4.1).

Malgré l’apport majeur que constitue cet article en termes de modélisation du lien entre structure social et performance, il comporte un certain nombre de limites. L’une d’entre elles, que soulignent explicitement les auteurs eux-mêmes, tient dans le fait que les interactions entre les différents aspects et dimensions du capital social ne sont pas prises en compte, alors même que de nombreux travaux ont souligné l’impact que pouvaient avoir certains aspects du capital social sur d’autres aspects (Les auteurs eux mêmes citent notamment Nohria et Eccles, 1992, Granovetter, 1985, ou encore Krackhardt, 1992).

Compte tenu du fait que nous nous sommes attachés, au cours du chapitre 3 à démontrer l’importance des interactions entre les aspects cohésifs et sécants du capital social, l’invitation des auteurs à pousser plus loin cette réflexion semble parfaitement cohérente avec notre argumentation.

En retenant la modélisation proposée par (Nahapiet et Ghoshal, 1998) comme base de représentation de la relation structure sociale - capacité d’innovation pour

l’échelle organisationnelle, nous nous attacherons, dans la suite de ce chapitre, à mettre en lumière la pertinence du concept de capital social sécant-cohésif pour l’endogénéisation des interactions qui existent entre les différents aspects du capital social.

Mais auparavant, notons qu’une série de travaux de management stratégique, ba-sés eux aussi sur les théories évolutionnistes, les capacités dynamiques et/ou le Knowledge Management, s’est intéressée au lien structure sociale - capacité

d’in-novation, en introduisant une dimension liée au développement durable à la

mo-délisation. Cette littérature prend sa source dans la théorie des parties prenantes. Nous les présentons dans la section suivante.