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La géographie de l’innovation ou le rôle des interactions sociales au sein des territoiresinteractions sociales au sein des territoires

des organisation

5.2.3 La géographie de l’innovation ou le rôle des interactions sociales au sein des territoiresinteractions sociales au sein des territoires

Nous l’avons vu, Marshall fut l’un des pionniers de l’introduction du concept d’in-novation à l’analyse économique. Il montra notamment le rôle prépondérant de celle-ci dans la prééminence économique des districts industriels. Et plus précisé-ment, il mit en lumière le fait que dans ces districts, l’ « introduction de nouveauté au niveau des processus de production » par des travailleurs qualifiés et encastrés dans des réseaux sociaux locaux communs, avait pour effet de permettre une pro-pagation rapide des bonnes idées, et par suite, la création de nouvelles bonnes idées basées sur les précédentes (Belussi et Caldari, 2009, p. 337). C’est ce que Marshall a appelé les « grappes d’innovation » (Marshall, 1920). Avec cette notion on voit apparaitre le rôle de la proximité géographique dans la diffusion de connaissances, la production de connaissances, et l’innovation.

Mais malgré cette première immixtion de la géographie dans l’analyse économique de l’innovation, ça n’est que bien plus tard, au début des années 1990, que celle-ci y acquerra réellement une place à part entière. La dimension géographique avait d’ailleurs, jusqu’alors, été écartée de l’analyse économique dans son ensemble. C’est principalement à Paul Krugman que l’on doit sa « réhabilitation ». Krug-man montre en effet au tout début des années 90, à travers un modèle relativement simple, qu’il est possible d’expliquer formellement un fait empirique avéré et lar-gement ignoré par les économistes : la concentration géographique des facteurs de productions et des consommateurs (Krugman, 1991).

5.2. Développement et capacité d’innovation

Si l’inégale répartition des activités économiques constitue un fait empirique clai-rement observable, l’inégale répartition des activités d’innovation technologique en est un autre, encore plus flagrant (Feldman, 1994; Audretsch et Feldman, 1996). Ainsi, à la suite des travaux de Krugman, de nombreux auteurs vont diriger leurs recherches vers la compréhension et l’explication de ce phénomène. C’est ainsi qu’apparait la géographie de l’innovation. Reprenant les travaux de Marshall sur les « districts industriels », et notamment sur l’observation que celui-ci avait faite de l’existence d’un phénomène d’ « innovation par grappes », les premiers géo-graphes de l’innovation s’attachent à montrer qu’il existe bien un phénomène de « localisation » des flux de connaissances, et que ce phénomène est la cause prin-cipale de la concentration géographique des activité d’innovation technologique. Notons qu’une caractéristique importante des flux de connaissances est que, mal-gré leur valeur économique pour les firmes, ils échappent en partie aux mécanismes de marché. Ils constituent ce que l’on appelle des « externalités de connaissances ». Ainsi, le fait que les flux de connaissances, accessibles en partie gratuitement par le biais des externalité de connaissances, soient facilités par la proximité géogra-phique, permet d’expliquer pourquoi les firmes ont tendance à se concentrer dans l’espace (Audretsch et Feldman, 1996), et à se concentrer autour de centre de recherche publics tels que des universités (Jaffe, 1989b) .

La géographie de l’innovation va réellement prendre son essor à la suite d’une avan-cée méthodologique cruciale. Ce sont Adam Jaffe, Manuel Trajtenberg et Rebecca Henderson qui en seront les instigateurs. La principale contribution de leur article fondateur, intitulé « Geographic Localization of Knowledge Spillovers as

Eviden-ced by Patent Citations » (1993) est en effet méthodologique : ils montrent que

les flux de connaissance, dont tous les chercheurs ( à commencer par Krugman) considéraient jusqu’alors qu’ils étaient inobservables, et donc impossibles à mesu-rer et à analyser, sont en réalité observables – au moins partiellement – puisque ils sont en partie matérialisés par les citations présentes dans les brevets d’inven-tions. En effet, dans de nombreux offices de protection de la propriété intellectuelle (USPTO, EPO, JPO, etc.), un inventeur souhaitant déposer un brevet est tenu de citer tous les brevets, publications et autres écrits antérieurs sur lesquels il s’est appuyé pour aboutir à son invention. Il s’agit donc bien d’une matérialisation des flux de connaissances dont l’inventeur a bénéficié pour produire des connaissances nouvelles. Les auteurs s’appuient donc sur cet artefact pour développer une mé-thodologie permettant de tester la véracité de l’hypothèse de localisation des flux de connaissance. Au sein d’un ensemble de brevets, ils isolent 2 sous-échantillons de paires de brevets. L’un de ces sous-échantillons contient des paires de bre-vets « citant-cités » appartenant à la même sous-classe technologique, tandis que l’autre contient des paires de brevets appartenant également à la même sous-classe, mais choisis de manière aléatoire. Ils comparent ensuite pour ces 2 échantillons,

la probabilité que l’inventeur du premier brevet (ou l’un des inventeurs s’ils y a plusieurs co-inventeurs) réside dans la même localité4 que l’inventeur (idem) du second brevet. Ils observent que la probabilité de « co-localisation » des inventeurs est nettement plus grande pour les paires « citants-cités » que pour les paires aléa-toires, confirmant ainsi l’hypothèse du caractère localisé des flux de connaissances.

Malgré l’avancée majeure qu’elle représente dans l’étude empirique des flux de connaissances et de l’innovation, cette méthodologie a cependant fait l’objet de nombreuses critiques de différents ordres par la suite. Ces critique s’articulent autour de trois axes : la délimitation des sous-classes technologiques pertinentes (Thompson et Fox-Kean, 2005) ; la pertinence de la citation de brevet comme marqueur de flux de connaissance, aux vues du processus de « refereeing » associé au brevetage (Thompson, 2006) ; les causes de la plus forte co-locatisation des inventeurs de brevets « citants-cités », pas nécessairement imputable à des flux de connaissance localisés (Breschi et Lissoni, 2009).

Toutes ces critiques ont constitué autant de pistes de recherche ayant permis aux géographes de l’innovation d’approfondir la compréhension des mécanismes qui sous-tendent les flux de connaissances et l’innovation.

En se développant la géographie de l’innovation a notamment mis en avant le fait que la proximité spatiale n’était pas le seul type de proximité favorisant les flux de connaissance. La proximité au sein de différents types de réseaux sociaux a été no-tamment été mise en lumière (Agrawal, Kapur, et McHale, 2008; Autant-Bernard, Billand, Frachisse, et Massard, 2007; Autant-Bernard, Mairesse, et Massard, 2007; Breschi et Lissoni, 2009). Le fait que de nombreux réseaux sociaux soient géogra-phiquement localisés expliquerait ainsi le caractère localisé des flux de connaissance (Breschi et Lissoni, 2009). Il devient alors intéressant d’étudier les caractéristiques des réseaux sociaux aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des territoires, pour expliquer la capacité d’innovation de ceux-ci.

A ce stade, on commence donc à voir apparaitre le rôle que pourrait jouer la

structure sociale d’un territoire sur sa capacité d’innovation. En effet, le réseau social de celui-ci – qui constitue un élément de sa structure sociale – semble avoir

une influence non-négligeable sur la production et la diffusion de connaissances en son sein. Or, nous l’avons vu, ces phénomènes revêtent une importance capitale dans les processus d’innovation, et par suite dans la capacité d’innovation des territoires.

Précédant cette littérature dans l’intérêt porté aux relations entre les acteurs d’un territoire pour expliquer la capacité d’innovation de celui-ci, la littérature sur les

4. même aire métropolitaine américaine dans un premier temps, puis même Etat des USA dans un second temps

5.2. Développement et capacité d’innovation

systèmes nationaux d’innovation s’est cependant largement inspirée d’elle à

par-tir du milieu des années 1990, pour développer le concept de système régional

d’innovation. Nous présentons d’une manière générale, dans la section suivante,

la littérature sur les systèmes d’innovation. Comme nous l’évoquions à la fin de la section 5.2.2, cette littérature trouve également en partie ses sources dans les théories évolutionnistes.

5.2.4 Les systèmes régionaux d’innovation ou le rôle des