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Définitions et concepts

2.3.1 Capital social

Le concept de capital social a été introduit dans les années 1980 par différent auteurs (Bourdieu, 1980; Coleman, 1988) cherchant à créer des ponts entre les analyses « sur-socialisées » (Granovetter, 1985) issues de la sociologie, et les ana-lyses « sous-socialisées » (ibid.) issues des sciences économiques.

L’idée développée par P. Bourdieu est que, outre le « capital économique » (« ca-pital financier » ou « caca-pital physique ») de l’analyse économique traditionnelle, et outre le « capital humain » introduit par G. Becker dans les années 1960, il existe d’autres formes de capital que les individus peuvent accumuler et échanger (Bourdieu, 2008). En particulier, il identifie le capital culturel et le capital social. Si le premier correspond aux formes incarnées, objectivées et institutionnalisées des ressources culturelles que possède un individu, le second correspond quant à lui à

« l’agrégation des ressources effectives et potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable plus ou moins institutionnalisé de re-lations d’accointances et de reconnaissances mutuelles – ou en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe – qui fournit à chacun de ses membres l’appui du capital collectivement détenu par le groupe, et qui donne ainsi à chacun du crédit, dans tous les sens du terme. »

(Bour-dieu, 2008, p.286)

Par l’expression « ressources effectives et potentielles » Bourdieu fait référence à deux types de ressources possédées par un individu : d’une part la taille de son réseau, ou autrement dit, le nombre de relations qu’il peut mobiliser ; il s’agit de « ressources effectives ». Et, d’autre part, le volume de capital (économique, culturel et social) détenu par chacun des individus auxquels il est connecté ; il s’agit alors de ressources potentielles (Bourdieu, 2008, p.286). Cette approche du capital social (CS), centrée sur l’individu et son réseau de relations sociales, permet de mieux comprendre les mécanismes sociologiques de domination, de reproduction

sociale ou encore de distinction, qui constituent les thématiques de prédilection de

Bourdieu.

J. Coleman de son côté, propose une approche différente de ce concept. Il en donne une définition fonctionnelle, postulant que le capital social ne consiste pas en une entité bien précise, mais plutôt en une variété d’entités ayant toutes deux éléments en commun : d’une part, chacune d’entre elles constitue un aspect particulier des structures sociales qu’elles caractérisent ; et d’autre part, chacune facilite certaines actions des acteurs (individus ou organisation) à l’intérieur de ces structures (Co-leman, 1988, p.S98). L’auteur donne ensuite différents exemples de tels aspects de structures sociales constituant des formes de capital social, telles que les normes en vigueur, les valeurs partagées, les engagements de réciprocité, ou encore, les réseaux de relations sociales.

Cette approche diffère donc de celle de Bourdieu à plusieurs niveaux : d’une part elle ne s’intéresse pas uniquement au capital social des individus mais également à celui d’acteurs collectifs tels que les organisations. D’autre part, si elle considère que le réseau de relations sociales d’un acteur constitue un élément de capital social, elle ne considère pas que celui-ci en constitue le seul et unique aspect ; tout aspect d’une structure sociale susceptible de favoriser les actions d’un acteur à l’intérieur de la structure peut être considéré comme un élément de capital social. Enfin, elle précise explicitement que les différents aspects du CS ne sont pas pertinents et utiles pour toutes les actions que souhaitent accomplir les acteurs. Ce faisant, Coleman laisse la place à une vision du capital social dans laquelle la détermination des aspects de CS pertinents pour une étude donnée dépend de la variable-objectif étudiée.

2.3. Capital social et réseau social

Par la suite, R. Burt a mobilisé le terme de capital social pour désigner plus particulièrement un aspect spécifique de la structure sociale au sein de laquelle un acteur est encastré : le fait qu’elle comporte des trous structurels, ou autrement dit, le fait que l’acteur occupe une position sécante entre deux sous-parties distinctes d’une structure sociale plus large (Burt, 1992, 2004, 2008).

R. Putnam, quant à lui, a largement contribué à populariser ce concept en élar-gissant encore le spectre des réalités qu’il recouvre ainsi que l’échelle d’analyse à laquelle il est appréhendé. En effet, cet auteur considère que le CS peut être évalué à l’échelle d’une société dans son ensemble et qu’il tient dans « les caractéristiques

de l’organisation sociale, telles que les réseaux, les normes et la confiance, qui fa-cilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel » (Putnam, 1995,

p.67 ; traduction de Ponthieux, 2006).

Le caractère hétéromorphe du CS, ainsi que son aspect très englobant (en par-ticulier pour les approches de Coleman et Putnam) lui ont valu de nombreuses critiques. A. Portès a reproché notamment à certaines modélisations de ses anté-cédents et conséquences leur caractère « tautologique » et « circulaire » (Portes, 1998). D’autre auteurs ont souligné que le CS s’apparentait trop à un « concept-parapluie » (Hirsch et Levin, 1999), c’est à dire à un concept sous lequel peuvent être regroupés trop d’éléments analytiquement différents (Adler et Kwon, 2002; Lappe et Du Bois, 1997). S. Durlauf pour sa part, a mis en lumière le fait que son caractère trop vague et « élusif » implique que les dispositifs empiriques (en particulier économétriques) mis en place pour tester son impact sur différentes va-riable économiques ne présentent généralement pas la clarté et la précision néces-saires pour valider les théories avancées (Durlauf, 2002). D’autre auteurs encore ont souligné le danger associé à une utilisation de ce concept dans une optique trop utilitariste, pouvant entrainer des effets plus néfastes que bénéfiques sur les structures sociales (Méda, 2002; Edelman, Bresnen, Newell, Scarbrough, et Swan, 2004).

Malgré ces critiques, si l’on considère la définition de Coleman comme une invita-tion à décliner le concept de capital social sous autant de formes différentes, que d’actions/objectifs différents étudiés, alors cette définition s’avère particulièrement utile à tout chercheur désireux d’étudier l’influence de la structure sociale sur une variable économique donnée.

Nous reviendrons en détail sur ce point au cours des chapitres 3, 4, et 5, mais nous pouvons d’ores et déjà noter que c’est dans cette optique que s’inscrira notre travail. Notre variable-objectif étant la capacité d’innovation, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux aspects du capital social qui en sont des facteurs explicatifs. Nous proposerons au cours de notre argumentation, un concept plus spécifique que celui de capital social pour désigner l’ensemble de ces aspects de structure sociale

ayant un impact sur la capacité d’innovation d’une unité sociale : le capital social

sécant-cohésif.

A ce stade, nous nous contenterons de conserver la définition générale de J. Cole-man du Capital social :

Définition. D3: « Le capital social est défini par sa fonction. Il ne s’agit pas d’une

seule entité mais d’une variété d’entités différentes, ayant toutes deux éléments en commun : (1) elles consistent toutes en un aspect des structures sociales, et (2) elles facilitent certaines actions des acteurs – individuels ou collectifs – composant la structure. (. . . ) Comme le capital physique ou le capital humain, le capital social n’est pas complétement fongible, mais peut être spécifique à certaines activités. Une forme donnée de capital social qui a une valeur dans la facilitation de certaines actions, peut être inutile, voire nuisible pour l’accomplissement d’autres actions. »

(Coleman, 1988, p. S98 ; traduction de l’auteur)