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des groupes

3.5.2 Limites de l’approche

Nous avons relevé trois limites majeures du modèle RZ. La première, d’ordre em-pirique, tient à l’indicateur retenu pour la mesure de l’aspect cohésif du capital social : la densité de réseau. La seconde, également d’ordre empirique, est relative au choix de l’ancienneté comme unique critère de diversité démographique. Et en-fin, la troisième, d’ordre théorique, concerne le caractère statique du modèle, qui ne permet pas de prendre en compte les interactions entre les deux aspects du CS.

3.5.2.1 La densité comme indicateur de capital social cohésif

Bien que l’argumentation théorique de Reagans et Zuckerman à propos de l’ap-proche « pessimiste » de la diversité se focalise sur les inconvénients que celle-ci génère en termes de « fermeture de réseau » (« network closure » cf. Capital social selon Coleman), les auteurs effectuent rapidement un glissement vers le concept connexe mais non-équivalent de densité de réseau, sans véritablement justifier ce choix :

« Plus particulièrement, réfléchir dans les termes de l’approche co-hésive du capital social de Coleman (Coleman 1988, 1990) sous-tend la vision pessimiste de la diversité démographique, tandis que l’approche

3.5. L’approche de Reagans & Zuckerman (2001)

du capital social par les ’trous structurels’ (Burt 1992) constitue la base de la vision optimiste.

La densité de réseau, ou ’cohésion’ à l’intérieur d’un groupe im-plique une absence de ’trous structurels’, et est censé faciliter l’identifi-cation au groupe (Portes and Sensenbrenner 1993), ainsi que le niveau de confiance interpersonnelle, ce qui facilite les échanges et l’action collective (Coleman 1988). De ce fait, la densité permet la convergence d’intérêt individuels vers la poursuite d’initiatives communes.7 »

Reagans et Zuckerman (2001, p. 503 ; traduction de l’auteur)

L’assimilation de la fermeture de réseau à la densité de réseau est problématique pour au moins 2 raisons. Tout d’abord, ces deux concepts ne rendent pas compte des mêmes caractéristiques d’une structure sociale, et peuvent varier de manière tout à fait différente. Pour s’en convaincre, considérons l’exemple des deux réseaux A et B illustré dans la figure 3.2. Les deux réseaux possèdent le même nombre d’acteurs (10) et le même nombre de liens (21). Ils ont donc la même densité de réseau, puisque nous rappelons qu’une densité de réseau simple (non-pondérée) correspond au nombre de liens existant dans un réseau (21 dans notre exemple) divisé par le nombre de liens possibles (dans notre exemple : 10 x 9 = 90 => la densité est donc égale à 21/90 = 0,2333)8.

A l’inverse, le degré de fermeture du réseau, ou degré de clustering, ou « cliquish-ness » correspond à la mesure dans laquelle

3.5.2.2 L’ancienneté comme unique critère démographique

Le choix de l’ancienneté comme unique critère démographique est loin d’être neutre. Si ce critère constitue sans nul doute un aspect démographique pertinent, et dont l’hétérogénéité au sein des groupes de travail a été étudié à maintes reprises, il présente malgré cela un certain nombre de particularités théoriques et même

7. « In particular, thinking consistent with the "closure" perspective (Coleman 1988, 1990)

underlies the pessimistic view of demographic diversity, and the "structural holes" approach (Burt 1992) is the basis for the optimistic view.

Network density or social "closure" inside a group indicates the likely absence of "structural holes," and is thought to foster identification with the group (Portes and Sensenbrenner 1993) and a level of mutual trust, which facilitates exchange and collective action (Coleman 1988). Density thus enables the joining of individual interests for the pursuit of common initiatives. »

8. Bien que le calcul soit légèrement différent dans le cas d’une densité pondérée, comme nous l’avons vu à la section précédente, l’argument est valable également, puisque le calcul du degré de fermeture est de toute façon différent. Pour des raisons de clarté de l’exposé, nous présentons donc ici un exemple avec un calcul de densité simple.

Figure 3.2 – Exemple théorique de 2 réseaux comprenant le même nombre d’ac-teurs (10), le même nombre de liens (21) et donc, la même densité (0,23), mais correspondant à des structures très différentes, y compris en termes de « cohé-sion » : dans la situation A, on voit clairement apparaitre 2 sous-réseaux très cohésifs mais séparés l’un de l’autre, tandis que dans la situation B, le réseau est moins cohésif mais n’est pas fragmenté.

techniques qui empêchent de le comparer à d’autres attributs démographiques, et qui le rendent encore moins généralisable pour des attributs culturels.

De plus, le fait d’avoir recours à un critère unique rend difficile la généralisation du propos. En effet, comme nous l’avons indiqué au cours du chapitre 2, la notion d’identité individuelle revêt un caractère éminemment multidimensionnel. Ainsi, le fait de ne prendre en compte qu’un attribut identitaire unique afin d’évaluer la diversité des groupes implique une grande dépendance des mesures à ce type particulier de diversité, plutôt qu’à la notion de diversité d’une manière générale. Dans le cadre d’une étude de la diversité culturelle, il conviendrait donc de prendre en compte simultanément différents attributs culturels pour l’évaluation de la di-versité culturelle, ainsi que du niveau d’hétérophilie du réseau, afin de pouvoir généraliser le propos.

3.5.2.3 Caractère statique du modèle

La troisième limite que nous souhaitons mettre en avant, revêt un caractère par-ticulièrement important au regard de notre problématique. Le modèle développé par Reagans et Zuckerman est statique : il s’intéresse à la diversité culturelle et au capital social à un instant donné du temps. Pourtant, nous avons vu au cours des sections 3.2 à 3.4 qu’il existe des interactions entre les aspects sécants et les

3.6. Synthèse : Le capital social sécant-cohésif

aspects cohésifs du capital social, ainsi qu’entre la diversité culturelle et le capital social. Dès lors, si le modèle RZ peut permettre d’expliquer le niveau d’innovation à un instant donné, il ne permet pas d’expliquer la répétition d’innovations au fil du temps, ou autrement dit la capacité d’innovation.

En effet, le modèle ne permet pas d’observer ce qui fait qu’un groupe obtient et de maintient au fil du temps, un niveau élevé de complémentarité entre les aspects sécants et les aspects cohésifs de sa structure sociale, lesquels ont pourtant une tendance naturelle à s’exclure mutuellement.

Dans le cadre de notre étude, une approche dynamique de la caractérisation de la structure sociale semble donc une condition sine qua none à l’observation de la relation « structure sociale - capacité d’innovation ».

3.6 Synthèse : Le capital social sécant-cohésif

Nous disposons à présent des éléments nécessaires pour proposer une modélisation originale de la relation structure sociale - capacité d’innovation à l’échelle des groupes de travail. Au cours de cette section, nous commencerons par effectuer une synthèse des éléments mis en lumière au cours du chapitre (section 3.6.1). Puis nous présenterons le concept de capital social sécant-cohésif (section 3.6.2) qui nous aidera par la suite à proposer une modélisation de la relation structure sociale

-capacité d’innovation (section 3.6.3). Enfin, nous évoquerons les recommandations

managériales qui découlent de cette modélisation (section 3.6.4).

3.6.1 Synthèse

En premier lieu, nous avons vu au cours de la section 3.2, que la relation entre la diversité culturelle d’un groupe de travail (GT) et sa capacité d’innovation est conditionnée par trop de variables intermédiaires différentes pour que la diversité culturelle puisse être considérée comme un facteur explicatif stable et systématique de la capacité d’innovation (hypothèse 1).

Par la suite, nous avons vu au cours de la section 3.3.1, que les aspects cohésifs du capital social d’un GT ont un impact positif sur sa capacité d’innovation, en particulier si ces aspects s’appuient sur une vision partagée par les membres du GT et une interdépendance des membres du GT en termes de tâche et de gain attendu (hypothèse 2).

Nous avons ensuite vu au cours de la section 3.3.2 que les aspects sécants du capital social des GT ont un impact positif sur leur capacité d’innovation, dans la mesure

où ils sont complémentaires à la cohésion du GT (hypothèse 3). De plus, nous avons noté que le temps a un impact négatif sur les aspects sécants du capital social, tandis qu’il a un impact positif sur ses aspects cohésifs (hypothèse 4). Dans la section 3.4.1, nous avons noté qu’en l’absence de dispositif organisationnels ou managériaux visant à développer la perception de la valeur de la diversité culturelle, cette dernière avait une tendance naturelle à influer négativement sur la cohésion des GT (hypothèse 5). Tandis que dans la section 3.4.2, nous avons vu que la relation entre diversité culturelle et portée externe d’un GT est conditionnée par le niveau de cohésion de celui-ci 6.

La présentation du modèle RZ (Reagans et Zuckerman, 2001) dans la section 3.5, ainsi que les résultats obtenus par ses auteurs, nous ont permis de vérifier qu’il existait bien un effet complémentaire des aspects cohésifs du capital social et de ses aspects sécants sur l’innovation des GT. Cependant, en soulignant une limite théorique majeure de ce modèle liée à son caractère statique, nous avons mon-tré pourquoi il ne pouvait pas être généralisé à la variable dépendante « capacité d’innovation » des GT. En effet, l’étude de la capacité d’innovation s’inscrivant dans le temps, il ne peut pas être fait abstraction des interactions mises en lu-mière au cours des sections 3.2 à 3.4 pour étudier l’impact de la structure sociale sur la capacité d’innovation. Ainsi, une modélisation pertinente de cette relation doit nécessairement intégrer les interactions complexes qui sont intrinsèques à la structure sociale elle-même.